(© BioWare/Electronic Arts)
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Pour l’industrie vidéoludique, il n’est pas choquant d’étaler une franchise sur une vingtaine d’années. Pourtant, les suites et (surtout) les remakes peuvent être autant attendus et acclamés par les joueurs que vivement critiqués – les fans dénonçant souvent une certaine forme de paresse de la part des studios et des éditeurs. Cela nous renvoie à la question de la frilosité des éditeurs de prendre des risques, car ils savent qu’une suite ou un remake d’une franchise déjà connue aura un minimum de succès.
Ainsi, lorsqu’un gros éditeur comme Electronic Arts donne un budget de jeu triple A (c’est-à-dire d’un blockbuster vidéoludique) à un studio de renommée comme BioWare (Dragon Age, Mass Effect, Star Wars : Knights of the Old Republic) pour créer un tout nouveau jeu, on se pose beaucoup de questions.
En effet, si on sort du circuit des studios indépendants, il est devenu très rare qu’un jeu AAA ne fasse pas partie d’une franchise déjà établie. Pour preuve, en 2018, dans le Top 20 des jeux les plus vendus en France, seul un titre n’est pas une suite, un remake ou une adaptation vidéoludique (comme Spider-Man) – il s’agit de 1-2 Switch, qui arrive à la 20e place du classement…
Alors pourquoi Anthem a-t-il été décrié dès l’annonce de son lancement, en 2017 ? Difficile de cibler les raisons qui motivent chaque joueur à défoncer Anthem, tant elles sont nombreuses. Il est vrai que l’éditeur Electronic Arts n’a pas très bonne réputation auprès de la communauté des gamers – notamment en raison de ses nombreuses erreurs récentes dans sa politique de “loot boxes” et de microtransactions intégrées aux jeux (déjà payants).
Cependant, s’il y a bien une critique qui a été faite de manière unanime dans le milieu, c’est la comparaison entre Anthem et Destiny 2, un autre jeu de coopération en ligne sorti en 2017 et qui, malgré un bel accueil critique, n’avait pas reçu l’approbation des joueurs qui l’ont vite délaissé, notamment faute de contenus à se mettre sous la dent.
Lorsque nous l’avions interrogé à ce sujet il y a un mois, Ben Irving (lead producer d’Anthem) avait répondu en soutenant que face à une nouvelle franchise, les gens ont besoin de repères : ce genre de comparaisons est donc inévitable, et Ben Irving n’attendait que la sortie du jeu pour prouver que son jeu n’était pas un calque de Destiny 2.
Maintenant qu’Anthem est accessible depuis quelques semaines, que peut-on dire à son sujet ?
Un univers réussi, mais une intrigue convenue
(© BioWare/Electronic Arts)
Les studios BioWare n’ont jamais caché leur amour pour les histoires. Que ce soit pour les Dragon Age ou les Mass Effect, il y a toujours eu un vrai soin porté à l’univers des jeux, aux personnages et à l’intrigue. Toutefois, lorsqu’il s’agit d’un titre dont le gameplay est principalement en ligne, on peut être dubitatif face à la volonté de vouloir créer une histoire “personnelle” pour chaque joueur.
Le choix qui a été fait pour Anthem est de séparer les deux dimensions : d’un côté vous vous battez lors de vos missions avec des compagnons rencontrés aléatoirement et/ou avec vos amis, tandis que tout ce qui se passe entre les missions s’inscrit dans une trame narrative bien définie, plus proche de celle d’un jeu en solo.
Sur le plan de la direction artistique, Anthem est quasi irréprochable. Le monde de Bastion, au cœur de vos aventures, est absolument magnifique. Si aux premiers abords on ne fait pas attention à tous les détails, trop occupés que nous sommes à virevolter à toute allure dans les cieux de cette (relativement) grande carte, il faut admettre que ce terrain de jeu a été construit avec minutie.
Les décors s’enchaînent mais se ressemblent peu, si bien qu’on souffre à peine de la lassitude de repasser dans des lieux, inhérente aux jeux en ligne à progression. Anthem est complètement au niveau de ce qu’un jeu triple A devrait pouvoir fournir en 2019 : entre les graphismes, les animations, la modélisation des monstres et des personnages, ou encore les effets pyrotechniques, c’est une vraie réussite. On regrettera simplement que les versions pour consoles n’aient pas accès aux 60 images par seconde (IPS).
En revanche, si la construction de l’écosystème de Bastion est réussie dans sa représentation visuelle, l’univers d’Anthem est lui clairement moins inspiré. On sent pourtant une vraie tentative de la part de BioWare de fournir une trame au jeu, avec une mythologie, une histoire et des factions, mais la plupart des idées ont malheureusement toutes un (léger) goût de déjà-vu.
Déjà, le fait que le jeu soit en ligne brise l’immersion narrative : il aurait fallu un scénario bien plus convaincant. Si l’univers a sa cohérence, l’intrigue accumule des idées très convenues, sans saveur et rarement surprenantes. On saluera tout de même les doublages très réussis, pour la VF comme la VO, ce qui rend au moins certains PNJ un peu attachants.
“I believe I can fly”… and fight ?
S’il y a une chose sur laquelle le marketing d’Anthem a insisté, c’est bien la capacité de voler des personnages. Et pour cause : c’est une véritable réussite. Les mécaniques de vol sont impressionnantes, tant au niveau des sensations formidables qu’au niveau de la maniabilité et de son utilisation dans le gameplay.
La prise en main – qu’elle soit au clavier et à la souris, ou à la manette – se fait en l’espace de quelques minutes, tandis que la sensation de liberté et de vitesse plonge tout de suite le joueur au cœur de l’aventure. Le “plus vieux rêve de l’humanité” est de plus une vraie mécanique à utiliser pendant les combats, mais BioWare a été très subtil dans sa façon d’intégrer le vol libre sans que ce dernier ne gâche l’expérience – en permettant, par exemple, une fuite trop facile ou en aboutissant à des mouvements chaotiques –, principalement grâce au système de surchauffe, particulièrement instinctif.
(© BioWare/Electronic Arts)
Les combats ne sont pas en reste : dans votre seyant Javelin (l’exosquelette bardé d’armes), le sentiment de surpuissance est extrêmement agréable. Notons que le gameplay varie bien d’un Javelin à l’autre. Ce système de “classes” est en plus assez souple. Vous pourrez ainsi utiliser les quatre modèles sur une seule partie, au fil de votre progression. En outre, ces costumes sont personnalisables, via les nombreuses armes, capacités et équipements disponibles. En revanche, il y a encore certains déséquilibres : l’Intercepteur est clairement le plus difficile à jouer, tandis que le Tempête permet beaucoup plus d’erreurs.
Si les premières minutes peuvent paraître brouillonnes, le maniement du Javelin devient assez instinctif à mesure que vous explosez des Scars et des Proscrits. Vous avez tout un arsenal à votre disposition, des grenades aux fusils à pompe, en passant par la magie et les fusils sniper. Par ailleurs, les réflexes de soin et de fuite viennent assez rapidement. De plus, la difficulté étant croissante, vous serez amenés à élaborer de vraies tactiques, notamment avec le système de combos.
Malheureusement, cette mécanique est quelque peu sous-exploitée puisque la plupart des exosquelettes (surtout le Tempête) peuvent faire des combos tout seuls, sans l’aide de vos coéquipiers. On regrettera d’ailleurs que la coopération réfléchie ne soit pas forcément essentielle, chacun pouvant plus ou moins vaquer à ses petites tâches personnelles, sans faire gaffe aux autres. En même temps, cela permet aussi de s’en sortir lorsque vous jouez avec de parfaits inconnus, ce qui arrivera très souvent.
Un hymne qui tourne en rond ?
Nous arrivons maintenant au principal problème d’Anthem – le même problème qui avait d’ailleurs été reproché à Destiny 2, comme si la comparaison à outrance avait fini par maudire le titre de BioWare. Anthem manque (pour le moment) cruellement de contenus. Il y a certes un niveau 30 à atteindre en une vingtaine d’heures minimum, ainsi qu’une carte assez vaste, mais les missions se ressemblent et se confondent. Il faut aussi considérer la dimension RPG, qui vous forcera à passer de longues heures à peaufiner votre équipement et même farmer – même si ce n’est pas trop fastidieux.
<em>La routine peut parfois miner un peu l’équipe.</em> (© BioWare/Electronic Arts)
Si les quelques missions scénarisées de la quête principale ont quelques rebondissements, cela ne permet pas de contrebalancer les fastidieuses mini-quêtes, qui ne jouent que sur une dizaine de mécaniques (défense, balisage, éliminations, etc.).
L’exploration libre est à l’image du reste : les événements automatiques sont assez fades et ne donnent pas forcément envie d’y consacrer son après-midi. Bien entendu, il y a aussi de grands moments réussis – on pense notamment aux boss, plutôt impressionnants. Mais ils sont très peu nombreux, à l’instar des factions ennemies, qui se comptent sur les doigts de la main.
Un autre problème reste celui de la difficulté. Il y en a certes pour tous les goûts, mais au fur et à mesure, on se rend rapidement compte que la complexité d’une quête tient surtout du nombre astronomique de points de vie des ennemis. Cela mine la coopération, et donc même si le jeu solo devient très difficile, le multijoueur n’est clairement pas un exemple de coopération vidéoludique – à moins de ne jouer qu’avec des bons ami·e·s.
Cependant, il est essentiel de rappeler que Anthem est un jeu dont le contenu est amené à évoluer. BioWare est plutôt connu pour être à l’écoute de ses joueurs, et les récents patches sont là pour le prouver. Reste à voir si l’aventure sera soutenue par la communauté et par Electronic Arts. Réponse dans quelques mois.
Résultats : C+
Anthem est loin d’être la catastrophe que l’on redoutait et réussit à avoir bien plus de caractère qu’un Destiny. Toutefois, le manque de contenus et de diversité gâche le jeu. Si vous avez une bande d’ami·e·s pour jouer tous ensemble, foncez, vous ne le regretterez pas. Toutefois, seul, l’ennui peut rapidement vous gagner, la routine du jeu n’étant pour le moment qu’une accumulation stupide de quêtes répétitives.
Espérons que BioWare et EA sauront écouter les gamers et donner au jeu le contenu qu’il mérite, car il reste un bijou de technique et a encore un gros potentiel sur le plan du gameplay – même si on ne peut qu’apprécier les efforts déployés pour cette toute nouvelle franchise.
Ce qui est cool :
- Le monde de Bastion et la direction artistique très inspirée.
- Un gameplay jouissif, efficace et instinctif.
- La sensation de vol et d’exploration libre, absolument incroyables.
- Jouer avec ses potes, un bonheur fou.
Ce qui est moins cool :
- Une intrigue convenue et décevante.
- Un cruel manque de contenus (pour le moment).
- Peu de variété dans les missions et les ennemis.
- Pas assez de coopération pour un jeu en ligne.