Les masculinistes l’avaient érigé en roi. Andrew Tate, auteur de propos sexistes, s’est fait couper la tête sur les réseaux sociaux. L’influenceur anglo-américain a été banni, en octobre dernier, pour “incitation à la haine et à la violence”. Mais la relève est assurée : la voix des penseurs antiféministes est portée par ses confrères influenceurs, autoproclamés coachs en séduction.
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Blancs, hétérosexuels et de classe moyenne, ces hommes aux allures de startupers diffusent leurs conseils nimbés de misogynie, le tout en s’appuyant sur le développement personnel. Ils sont les héritiers des Pick up artists (PUA). Née en 1970, cette communauté revendique la maîtrise de l’art de conclure avec une femme. Si séduire n’est pas un crime, des “pros de l’amour” vont jusqu’à flirter avec les théories masculinistes. “Ils adoptent un discours viriliste, martial et réactionnaire”, analyse Mélanie Gourarier, chargée de recherche au CNRS, anthropologue et autrice de Alpha mâle : Séduire les femmes pour s’apprécier entre hommes (éditions Seuil). S’il est difficile de connaître l’ampleur du réseau de love coachs, certains réunissent plusieurs centaines de milliers d’abonnés.
Costard gris, facettes blanches et sourire aux lèvres, Illan Castronovo s’est lancé dans le business du coaching. L’ex-candidat de téléréalité est visé par une information judiciaire après deux plaintes pour violences sexuelles, ce qui ne l’empêche pas de se revendiquer comme un exemple à suivre. “Il n’y a que la Coupe du monde que je n’ai pas soulevée”, dit l’influenceur qui pèse 1,5 million d’abonnés sur TikTok. Sur son site TheSeductor, une formation s’échange contre 39,90 euros. La promesse : “Devenir ce mec qui est toujours accompagné”.
Pour ces hommes, le jeu de la séduction fait office d’arène pour se transformer en mâles alpha. “Plus je passais du temps avec eux, plus je me rendais compte qu’il se jouait autre chose que la rencontre hétérosexuelle. […] L’idée, c’est de montrer qu’il y a une part de la séduction hétérosexuelle qui ne vise pas la question du couple, mais plutôt un autre type de relation entre hommes”, insiste Mélanie Gourarier.
Regard assuré, torse bombé et voix posée, le coach love 26mentality (plus de 550 000 abonnés) se fait appeler “Fils de boss” sur TikTok. Il ponctue chacune de ses phrases d’un “chef” s’adressant à ses adeptes. Les femmes deviennent dans sa bouche des “femelles” et sont déshumanisées. Du gibier à chasser. “Je ne peux pas dire s’ils promeuvent tous un discours antiféministe, mais ils ont un certain nombre de choses en commun. Par exemple, ils défendent un projet de société qui donne à la femme un statut d’objet”, indique Mélissa Blais, militante féministe, doctorante en sociologie à l’UQAM et professionnelle de recherche à l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF). En plus d’être réifiées, les femmes sont classées, hiérarchisées et diabolisées : “Top 3 des femmes les plus toxiques”, “les femmes à éviter”, “critères d’une femme de valeur”.
Les discours sexistes viennent compléter des mises en pratique problématiques avec, au premier rang, la drague de rue : dans une série de vidéos, on y voit le coach aborder des femmes dans la rue, frôlant le harcèlement. L’homme les abreuve de questions et, mal à l’aise, elles donnent leur numéro. La “drague de rue” est présentée, avec la manipulation, comme un incontournable. Dans une courte séquence, Le Sédacteur explique comment “toucher une femme” pour “sexualiser un date”. Comprendre : comment la pousser à coucher avec lui.
D’autres font la promotion de la culture du viol, selon Paul Conge journaliste et auteur du livre Les Grand-remplacés : Enquête sur une fracture française (éditions Arkhê) : “Certains coachs en séduction proposent des astuces pour tordre le consentement, qui s’apparentent parfois à de la manipulation psychique. Le problème qu’ils posent est le suivant : une fille dit non, comment lui faire dire oui.”
“Ces hommes ne voient Metoo que par le prisme de la dérive du féminisme et ils y perçoivent un changement anthropologique contre lequel il faut réagir“, continue celui qui a infiltré cette communauté. Les femmes ne répondraient plus aux demandes des hommes. S’estimant mal lotis dans le jeu de la séduction, ils veulent reprendre le pouvoir. “D’après eux, les hommes se trouveraient aujourd’hui dans une position défavorable. Comme s’il y avait eu une inversion du rapport de pouvoir. Ils seraient donc discriminés, en tant qu’hommes ! En adoptant un discours victimaire, ils disent qu’il faudrait travailler sur une remasculinisation de la société”, poursuit Mélanie Gourarier. Ces idées sont loin d’être nouvelles puisqu’on les retrouve à travers l’histoire, exprimées dans des espaces plus largement réactionnaires. En 2006, Éric Zemmour sort Le Premier sexe (éditions J’AI LU) mettait en garde contre la perte de virilité de l’homme.
Certes, les love coachs ne sont pas les seuls à venir grossir les rangs des masculinistes, mais leur présence sur TikTok accroît leur visibilité auprès des plus jeunes. “Les coachings en séduction sont souvent la porte d’entrée de la manosphère, et la porosité des communautés a été démontrée dans les recherches. Les hommes qui espèrent conquérir leur proie grâce aux astuces des coachs sont parfois déçus”, prévient Mélissa Blais. Au risque de voir quelques adeptes frustrés rejoindre la sphère des Incels, involuntary celibate. Ces célibataires involontaires se considèrent victimes des femmes qui refusent d’avoir des rapports sexuels avec eux. Parmi les Incels, on trouve des terroristes qui assassinent au nom de cette soi-disant injustice. Aux antipodes de l’amour pourtant prôné par les coachs en séduction.