Sur Twitch, 95 % des streamers ont moins de cinq visionneurs en moyenne, selon les rapports réguliers de Twitch Trackers. Pour autant, appartenir à cette écrasante majorité est loin d’être vu comme une fatalité. Rencontre avec ces petites pépites qui forment la majorité silencieuse du streaming français.
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Une opportunité “de rencontrer de nouvelles personnes”
Pour plus de la moitié d’entre eux, le confinement de 2020 a eu un impact décisif sur leur envie de se lancer dans le stream avec ce qu’ils avaient à disposition : du matériel prêté, quelques fois offert. Twitch a l’avantage sur d’autres plateformes comme YouTube de ne pas demander beaucoup de moyens : on peut commencer sans caméra et sans compétences de montage, avec un simple PC et une bonne connexion Internet. Twitch est devenu pour beaucoup un refuge pour tromper l’ennui et maintenir un lien social, tout en permettant de développer des projets stimulants.
Pris au jeu, le streaming représente pour eux l’opportunité d’“extérioriser et de rencontrer de nouvelles personnes” avec qui ils ont la possibilité de tisser des relations privilégiées, comme l’explique Socrqte, streamer jeux vidéo qui compte un peu plus de 400 followers sur sa chaîne.
Si les premiers visionneurs sont souvent des amis et des proches, beaucoup ont construit leur communauté “au gré des raids et du bouche-à-oreille”. Face à l’afflux grandissant de nouveaux streamers, des outils en ligne comme StreamPro ou PetitStream ont également vu le jour. Ils donnent un petit coup de pouce aux vidéastes en les mettant en lumière quelques minutes lorsqu’ils sont en direct ou en leur apportant des conseils pour faire grandir leur communauté.
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“Avoir une toute petite communauté permet de les connaître vraiment bien”
Des curieux se sont retrouvés sur leurs streams un peu par hasard et y sont restés avant de devenir des fidèles de leur communauté. “Avoir une toute petite communauté permet de les connaître vraiment bien, pour beaucoup ils me racontent leurs histoires ou leurs problèmes et même moi, ça m’est déjà arrivé de leur raconter des galères”, relate Eteriia, streameuse qui compte 388 followers sur sa chaîne.
De l’autre côté de l’écran, les viewers apprécient cette proximité plus directe. Elle permet une ouverture à des véritables discussions et pas simplement un échange basé sur la sélection de “commentaires au hasard”, explique Mayelle, une adepte repérée sur l’un de ces “petits streams”.
Pendant leurs lives, les petits streamers et streameuses ont la possibilité de former des espaces de discussion intimes, mais ouverts à tous. Cette situation explique pourquoi plusieurs streamers et streameuses confient ne pas vouloir “trop grandir”. La streameuse xena_la_guerriere, qui compte 545 followers, explique notamment qu’une plus grosse communauté implique forcément plus de pression : “Le stream devient plus lisse parce qu’il faut plaire à un maximum de personne”. Et cela vaut davantage pour les vidéastes qui proposent des contenus engagés : “Je sais que je peux aborder très frontalement des sujets politiques et parler de mes convictions sans risquer de déclencher des débats interminables avec des gens qui ne veulent pas comprendre”, témoigne la streameuse AlineAndOut qui propose régulièrement des émissions de sensibilisation aux questions de transidentité, étant elle-même trans. Un avis que partage Xena qui anime de son côté des radios libres autour des questions de sexualité.
Xena_la_guerrière (au centre de l’image 1) et AlineAndOut (image 2) valorisent leur engagement en proposant des discussions sur des questions de sexualité ou de transidentité. // Twitch : Xena_la_guerriere | YouTube : AlineAndOut
Pour autant, aucun d’entre eux ne cache son envie de monter en notoriété et de pouvoir un jour vivre du streaming, d’autant plus que le manque de visionneurs peut décourager le streameur ou la streameuse en créant une “lourde sensation d’être seul”. Mais la réalité d’un milieu déjà saturé rend difficile la possibilité de se faire une place.
Un laboratoire d’expérimentation
En contrepartie, pour Socrqte, “l’avantage de streamer pour une petite communauté, c’est que l’on peut expérimenter plus de choses”. Les petits streameurs et streameuses se sentent moins contraints de devoir quelque chose à ceux qui les suivent, d’autant qu’il est souvent difficile de proposer des contenus réguliers quand on doit allier une activité professionnelle et une vie de famille. D’ailleurs, nombre d’entre eux avancent l’idée qu’ils streament pour eux avant de streamer pour ceux qui les regardent.
De cette manière, si le gaming a été une rampe de lancement, certains ont pris la liberté de se reconvertir dans des contenus plus “niche” pour proposer des contenus qui correspondent davantage à leurs envies. C’est notamment le cas de Benjamin de la chaîne Xyphonn, ex-vendeur en animalerie ayant commencé par du gaming, qui se dirige progressivement “vers un contenu en rapport avec les animaux”, en particulier avec la création de son émission WeZoo ou il donne des conseils animaliers.
Grâce à leur microcommunauté, les enjeux sont moindres pour ces petits streameurs et streameuses. Ils ne sont pas tenus à des impératifs de professionnalisation et se sentent libres de partager des passions personnelles, faisant ainsi exister des sujets peu abordés dans les branches les plus mainstreams de la plateforme.
C’est de cette manière que le streameur GeekoEssence, a décidé d’adapter ses émissions aux personnes sourdes et malentendantes :
“J’avais remarqué que le Twitch français ne comportait pas de contenu militant en lien avec la LSF [Langue des Signes Française, ndlr] et la culture sourde. Du coup, j’ai eu envie de partager des infos de ma TL pour tenter d’amener les gens à découvrir la langue, la culture sourde et aller ensuite voir des créateurs et des créatrices sourdes.”
Régulièrement, le vidéaste invite des spécialistes de ces questions sur ses lives ainsi que des traducteurs et des traductrices pour renforcer l’accessibilité à son contenu.
Sur sa chaîne Twitch, le streamer GeekoEssence propose des contenus qui vont de la sensibilisation à la culture sourde en passant par des tutos culinaires et des sessions de gameplay, devant une audience dépassant rarement les 10 visionneurs. // Twitch GeekoEssence
Initiations à l’art ou à la musique, séances de thérapie, sessions culinaires, éducation parentale, construction de Lego ou encore explorations en urbex… La plateforme regorge de contenus plus originaux les uns que les autres rarement suivis en direct par plus de cinq spectateurs. Ces créateurs font de Twitch un terrain d’expérimentation et de recherche où chacun et chacune tente de trouver un moyen de transmettre sa passion pour en faire un contenu attractif et divertissant.