Hong Kong : la manif la plus tech de tous les temps

Hong Kong : la manif la plus tech de tous les temps

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(© Miguel Candela/SOPA Images/LightRocket via Getty Images)

Lasers, reconnaissance faciale, flyer numérique : dans la ville-État, contestation et répression s'arc-boutent sur la technologie.

Le 28 juillet dernier, sur Twitter, le journaliste Alejandro Alvarez poste une vidéo étrange filmée depuis Hong Kong. Elle s’ouvre sur la police anti-émeute hongkongaise, en armure et bouclier de plexiglas, comme assaillie par une nuée de taches vert fluo. La caméra tourne, ouvre le champ. Les forces de l’ordre sont perchées sur un pont piéton, au-dessus d’une avenue. Sous eux, à une centaine de mètres, le cortège de manifestants, couvert par une canopée de parapluies, les arrose de faisceaux laser.

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Dans les nuages de lacrymo, la scène urbaine convoque immédiatement nos références visuelles de science-fiction. La réalité est encore plus troublante : les manifestants, apprend-on, utilisent ces lasers pour désactiver les caméras de reconnaissance faciale de la police. Quelques jours plus tôt, le 26 juillet, une enquête du New York Times révélait comment, dans l’ombre des cortèges, le bras de fer entre manifestants et forces de l’ordre s’était déplacé sur le terrain de l’anonymat et de la biométrie.

Quand le visage devient une arme

Aujourd’hui, assure le quotidien américain, “les visages sont devenus des armes” dans les deux camps. À proximité immédiate du plus grand système de surveillance électronique au monde, la police hongkongaise pioche dans les outils de surveillance biométrique à sa disposition – un réseau dense de caméras, couplé à des algorithmes de reconnaissance faciale, voire de l’IA pour recenser les cortèges. Et va jusqu’à forcer certains manifestants à déverrouiller leur téléphone à l’aide de leur visage, pour récupérer les informations stockées sur l’appareil.

En face, de nouvelles stratégies émergent. Dans les cortèges, le mot d’ordre est désormais de désactiver Face ID et Touch ID avant le début des hostilités, affirme le site d’actualité chinois Abacus. Les caméras de surveillance sont aveuglées à la bombe de peinture. Les visages sont dissimulés par des masques. Les groupes s’abritent sous les parapluies, pour se protéger de la surveillance autant que du gaz.

Dans cette guerre de l’identification, la police et les manifestants se rendent coup pour coup : quand les agents enlèvent leurs badges d’identification, une chaîne Telegram apparaît pour révéler les identités et adresses des officiers de police – une pratique connue en ligne sous le nom de doxxing. La chaîne, “Dadfindboy”, attire rapidement des dizaines de milliers d’abonnés. La méthode est rapidement reprise par des pro-gouvernement, qui cherchent à leur tour à démasquer les manifestants les plus radicaux. Une nouvelle violence émerge, silencieuse et immatérielle.

AirDrop, mieux que Telegram et le flyer

Quelques jours après ces premières images surréalistes, Abacus révélait un autre pan du conflit hongkongais : celui de la guerre des communications numériques. Jusqu’à début août, les manifestants utilisaient encore majoritairement les messageries chiffrées Telegram et Signal, qui permettaient une circulation des informations pratiques (comme le lieu et l’heure des rassemblements, voire les besoins en matériel médical) à un grand nombre de personnes. Mais depuis août et l’intensification de l’insurrection, qui a culminé ces derniers jours en grève générale, le gouvernement a durci le ton. Et pas uniquement celui de Hong Kong : le 13 juin, c’est Pékin qui lançait une série de cyberattaques contre Telegram, rendant le service temporairement inaccessible.

Pour passer sous les radars de la police, les Hongkongais sont donc passés à d’autres plateformes, comme… Pokémon Go, Tinder, voire AirDrop. Le 27 juillet, pour contourner l’interdiction de manifester imposée par la police, les organisateurs de la marche décident d’organiser une partie de chasse aux Pokémon géante. L’alibi n’a pas tenu, et près de 15 manifestants ont été arrêtés. D’autre part, le 1er août, un utilisateur hongkongais de Twitter partageait un profil Tinder ayant pour photo de profil… l’agenda des blocages et manifestations à venir.

À d’autres occasions, poursuit Abacus, les Hongkongais s’échangent des “flyers numériques” dans les transports publics via le dispositif de transfert de fichiers entre iPhones, AirDrop, pour partager notamment les appels à la grève générale du 5 août en toute discrétion. Selon le South China Morning Post, la technique aurait également été utilisée pour informer la population chinoise, rendue partiellement aveugle par la censure des réseaux sociaux locaux comme Weibo, WeChat et Baidu, de l’avancée de la situation. Pour passer entre les mailles du “Grand Firewall” de Pékin, des touristes étrangers transitant de Hong Kong à la Chine transporteraient les informations sur leurs téléphones pour les partager via AirDrop une fois la douane franchie.

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La Chine n’a pas bougé, mais…

Outre ces moyens inédits d’organisation en ligne (mais aussi IRL, comme on a pu le constater avec ces filets de plastique anti-voltigeurs où cette technique de neutralisation des gaz lacrymogènes), les technologies de communication ont une place prépondérante dans le jeu d’échecs sous haute tension qui se déroule entre les autorités hongkongaises et les citoyens. Pour gagner la guerre de l’information, toutes les plateformes sont réquisitionnées, rappelle Abacus – Periscope, Twitch, ou encore l’application anti-censure Firechat, développée en 2014 à… Hong Kong. Sa fonction : créer un réseau mobile de secours (un réseau local dit “maillé”, ou mesh) en cas de coupure Internet grâce à la fonction Bluetooth des appareils.

Déjà étouffante, l’atmosphère est devenue irrespirable après la grève générale du 5 août, qui a vu près d’un million de personnes investir les rues (sur les 7 millions d’habitants que compte la cité-État) et la réponse policière franchir de nouveaux paliers de violence (148 personnes ont été arrêtées et près de 800 grenades lacrymogènes tirées, le plus haut total en six mois de manifestations). Si le projet de loi facilitant l’extradition de Hongkongais vers la Chine, catalyseur de la contestation, a depuis été retiré, les manifestants demandent désormais la démission de la cheffe de l’exécutif Carrie Lam, soutenue mordicus par Xi Jinping.

De quoi agacer le pouvoir chinois, qui ne tolère que peu ce type de remous sociaux dans un territoire toujours régi par un statut d’exception depuis son indépendance, négociée aux Britanniques en 1984. Réponse sèche de Pékin : le 6 août, le porte-parole du bureau chinois des affaires de Hong Kong et Macao, Yang Guang, a promis que “ceux qui jouent avec le feu périront par le feu”.

Si tout interventionnisme militaire reste pour le moment exclu du côté de Pékin, l’Armée populaire de libération (APL) ne s’interdit pas de grogner. La semaine dernière, elle diffusait une vidéo comminatoire qui montrait ses soldats réprimant une émeute hongkongaise en 1997. La garnison chinoise stationnée à Hong Kong, forte de plusieurs milliers d’hommes, rappelait quant à elle que la loi lui permettait d’intervenir à sa guise. Les prochains jours s’annoncent déterminants pour l’indépendance de la péninsule.