Hot take, c’est deux membres de notre rédaction qui s’opposent avec beaucoup de recul (non) sur des sujets très importants du quotidien.
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Pierre et Julie partagent le même bureau. Au fil du temps, Pierre a constaté que Julie ne lisait jamais tous ses mails, laissant des centaines de messages à l’abandon dans sa boîte de réception — couronnée d’un affreux “+99”. Pierre, lui, lit TOUT. Dans sa boîte de réception, rien ne dépasse, car il a horreur de ça. Alors, peut-on laisser des centaines de mails non lus dans sa boîte de réception ?
Julie, pro-mails non lus
À l’heure où j’écris ces lignes, 3 232 mails non lus m’attendent sagement dans une de mes boîtes de réception. Dans l’autre : 1 289. Et la dernière : 352. Ces nombres vous ont fait bondir ? Vous ne pourriez pas supporter le poids de tels chiffres ? Moi pourtant, ça ne me dérange absolument pas. Et je vais vous expliquer pourquoi il est temps, en 2022, de se libérer de l’injonction du “0 non lu.” Du sacro-saint zéro.
Déjà, il y a méprise quant à la considération de la team “mails non-lus”. Avoir des messages non lus ne veut pas dire que l’on ne lit rien. Que l’on est bordélique. Mais simplement que l’on sélectionne. Tout dépend de la priorité du message. On reçoit un mail que l’on sait important ou urgent : on l’ouvre et on le lit. Point. L’affaire est réglée, on ne procrastine pas. On sait que les mails que l’on n’a pas encore ouverts sont de moindre importance. On fait appel à son sens des priorités et on hiérarchise soi-même.
Mais ceux qui marquent tout en “lu”, alors qu’ils n’ont vraiment parcouru qu’un message sur une centaine : sont-ils mieux que nous ? Qui croyez-vous tromper ? Vous pensez vraiment qu’il suffit de cocher une case pour apaiser son esprit ? C’est cacher la poussière sous le tapis, ni plus ni moins. Tout pour l’apparence, rien pour le fond. C’est simple, ceux qui prétendent avoir lu tous les mails dans leur boîte de réception sont d’horribles sophistes. Et des menteurs.
Ensuite, passons à ceux qui ont zéro mail non lu car ils lisent vraiment tout. Ceux-là sont peut-être pires. Car, s’ils sont irréprochables à tout moment et se jettent sur un mail aussitôt ce dernier reçu, c’est qu’ils vivent dans l’urgence. L’urgence de la lecture, l’urgence de la réponse. Mais ceux qui ne lisent pas tout, au contraire, ont réussi à se libérer de cette injonction temporelle. Laisser des mails non lus, c’est faire preuve de recul, de distance. De maturité. Et privilégier la lenteur sage et réfléchie à l’urgence déraisonnée.
Imaginons que si, finalement, on a le temps de tout lire. Pourquoi ne pas le faire ? Par flemme ? Non. Refuser d’avoir zéro mail non lu, accepter sans honte d’afficher des nombres à trois chiffres, des notifications rouges, des “+99” en haut de sa boîte de réception, c’est refuser l’impératif social du zéro. C’est dire non à une façade modèle bien superficielle et accepter au contraire l’imperfection numérique. En bref, renouer avec son humanité. Créer une harmonie entre le numérique et l’humain. Et affirmer ses défauts, pour ne plus avoir à les cacher.
Pierre, pro-mails lus
Conserver des mails non lus, c’est un manque à gagner : on risque de passer à côté d’informations précieuses que l’objet du mail ne disait pas. Notamment des communiqués de presse dont on nous abreuve, mais qui parfois cachent une pépite.
Conserver des mails non lus, c’est angoisser : les chiffres agglutinés derrière l’intitulé “Boîte de réception” rappellent à tous ceux obsédés par le ménage (dont je fais partie) qu’il faudra passer à l’action, un jour ou l’autre. Et ceux de notre espèce savent tous que la procrastination est un fardeau insidieux encore sous-étudié par la science.
Conserver des mails non lus, ne l’oublions pas, est aussi un manque de respect : au beau milieu de la jungle, il y a forcément un mail écrit par un humain en attente de réponse. Nous sommes à deux doigts du ghosting.
Enfin, et c’est peut-être le plus grave, conserver des mails non lus pollue. Car on sait que stocker des mails (lus ou non lus) dans sa boîte a un coût écologique en faisant tourner les data centers. Or, ceux qui lisent leurs mails sont plus susceptibles de supprimer ceux qui sont inintéressants. Ceux qui ne les lisent pas, par définition, ne les suppriment pas. Lire (et supprimer) ses mails, c’est être citoyen du monde.