“Ce ne sera pas une base de recrutement essentielle dans notre stratégie mais ça peut aider” : dans un entretien accordé à 20 Minutes en octobre dernier, Damien Comolli, patron du TFC, expliquait que son club allait bientôt utiliser Football Manager. Car ce jeu vidéo de gestion d’un club de foot sert aussi à des clubs professionnels, attirés par la large base de données du jeu, susceptible de leur permettre de dénicher des pépites.
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Vanté pour son réalisme et la précision des statistiques sur les joueurs, ce jeu qui existe depuis une trentaine d’années est même apprécié par des stars comme Antoine Griezmann, qui aime à se mettre dans la peau d’un manager le temps d’une partie. Les recruteurs, eux, ont rapidement vu le profit qu’ils pouvaient tirer de cette simulation et de son “incroyable” base de données.
“En France, je connais très bien le National et leurs données sont vraiment très proches de la réalité”, admire Kévin Lesportes, responsable du recrutement de Dunkerque et adepte de “FM” depuis plus de dix ans.
À l’heure où la data devient un ingrédient fondamental du recrutement, le jeu développé par le studio anglais Sports Interactive, qui revendique deux millions de copies écoulées en 2020, est un bon moyen de repérer des profils prometteurs.
“Si un joueur m’intéresse, par curiosité je vais jouer avec lui sur Football Manager et voir comment il s’entraîne et progresse. Mais je ne me fie pas à 100% au jeu”, dit-il à l’AFP. “Rien de tel que voir des matches pour voir les comportements et attitudes des joueurs, ou leur replacement.”
Jonathan Beilin, ancien recruteur pour Nice (2009-2013), se targue d’avoir déniché l’arrière gauche argentin Fabian Monzon ou le défenseur serbe Nemanja Pejcinovic grâce au jeu :
“J’avais des listes avec 8 défenseurs droits, 7 défenseurs gauches, 12 défenseurs centraux… et je savais que si j’avais un jour la possibilité d’en faire signer un jour un à Nice, je pourrais le proposer.”
Le Toulouse FC, candidat à la remontée en Ligue 1 qui mise sur une utilisation des données “extrêmement évoluée”, envisage donc aussi de s’en servir, notamment sur le suivi des blessures, a de nouveau dernièrement expliqué à l’AFP son président Damien Comolli.
1 300 scouts dans 51 pays
“On remonte de 5 à 8 ans en arrière pour regarder l’historique des blessures avant de faire venir (un joueur)”, détaille-t-il, saluant une base de données “unique” sur cet aspect.
Ce qui fait la force de “FM”, c’est son réseau de “scouts”, quelque 1 300 observateurs bénévoles dans 51 pays, chargés d’alimenter la base de données avec les joueurs de leurs championnats, y compris dans les divisions inférieures et les catégories de jeunes.
“Les gens vont devoir fouiller les forums, différentes sources, par exemple pour avoir le staff technique dans toutes les catégories”, égrène Benjamin Miquet, coordinateur de ces observateurs pour la France.
Parmi ces bénévoles, “des supporters, des gens liés à leur club, du service de presse ou du staff technique, des gens qui aiment simplement l’analyse de données…”, détaille Facundo Delgado, coordinateur de 60 “scouts” en Argentine. Pour chaque joueur, ils doivent renseigner plusieurs dizaines d’attributs. Certains sont objectifs (taille, poids, âge…) et d’autres basés sur la comparaison (vitesse, technique…).
Avec parfois des ratés, à l’exemple du Biélorusse Maxim Tsigalko, pépite de Championship Manager 2001-2002 (l’ancien nom de FM), dont l’ex-club, le Dinamo Minsk a annoncé la mort vendredi à 37 ans. Collectionneur de buts virtuels, il a eu une carrière réelle plus modeste : seulement deux sélections avec le Belarus et des contrats dans des championnats subalternes (Belarus, Kazakhstan, Arménie).
L’aspect le plus difficile à juger est le mental, affirme Federico Aranda, chargé des observateurs en Uruguay. Il raconte utiliser ses contacts au sein des clubs ou de la fédération pour renseigner des attributs comme le “professionnalisme”, basé notamment sur l’hygiène de vie des joueurs. “Avoir accès à ces informations restreintes, via des joueurs, préparateurs physiques ou entraîneurs, des gens qui sont dans la cuisine interne d’un club, pour nous c’est du pain bénit”, raconte-t-il.
“Nous travaillons avec des clubs qui vont du niveau Ligue des champions à la huitième division”
Et ces données brutes, Sports Interactive n’hésite pas à les monnayer. L’identité de la plupart des clubs qui y ont recours, comme le montant des contrats, est tenue secrète. “Nous travaillons avec des clubs qui vont du niveau Ligue des champions à la huitième division, en Europe et aux Etats-Unis”, assure Tom Markham, chef du développement commercial à Sports Interactive.
“Beaucoup de clubs qui utilisent nos données nous disent qu’elles sont très bien pour les données physiques (taille, poids) par exemple, les langues parlées, les nationalités, les droits… et puis d’autres choses comme les données économiques sur le salaire, l’expiration du contrat…”, ajoute-t-il.
Les données de performance peuvent également servir à l’heure de renégocier un contrat d’un joueur dans la vraie vie, assure Tom Markham. “Par exemple, Pierre-Emerick Aubameyang, à Arsenal : il a 31 ans, et comme il mise beaucoup sur sa vitesse, est-ce que sachant cela on va lui proposer un contrat de trois ans, d’un an…?”, s’interroge-t-il.
Konbini Sports avec AFP