À l’heure d’écrire ces lignes, le hashtag #FaceApp trônait fièrement en cinquième position du Twitter français, talonné par son pendant incitatif #FaceAppChallenge. Ces derniers jours, les flux des plateformes sociales ressemblent étrangement au trombinoscope d’un Ehpad hyper sélect ou un Nadal de 80 balais taperait le carton avec des Bleus grisonnants sous les yeux de millions d’internautes du troisième âge. Vous l’aurez compris, l’application mobile FaceApp (re)fait parler d’elle avec ses filtres de vieillissement du visage. Et ressuscite les critiques de sa politique de gestion de la vie privée.
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Pour commencer, rappelons que FaceApp n’est pas exactement un petit nouveau dans la cour de récré des applis mobiles qui cartonnent. En janvier 2017, l’appli russe – sa maison-mère, Wireless Labs, est basée à Saint-Pétersbourg – déboule sur iOS puis sur Android avec une recette déjà éculée : un ravalement de façade algorithmique qui vous permet de voir votre visage plus jeune, plus vieux, différemment sexué, différemment coiffé, souriant, et même transposé dans un autre type ethnique. Et tant pis si l’appli avait tendance à blanchir un peu les peaux au passage (le créateur du programme, Yaroslav Goncharov, avait alors tout mis sur le dos de son IA avant de rapidement retirer l’option), le produit cartonne.
En 2019, FaceApp signe donc son grand retour en proposant la même chose, mais en mieux. Côté algorithmique, c’est vrai, la mise à jour est impressionnante. Tout le monde semble avoir succombé à la gérontophilie esthétique, et les barbons produits par l’appli penchent désormais plus clairement vers le photoréalisme que vers les retouches maladroites de la version 2017. Voilà : en 2019, l’intelligence artificielle mobile vous permet d’obtenir une projection fidèle de votre vieillissement. À quel prix ?
Non, FaceApp n’aspire pas votre photothèque…
Ô absence totale de surprise : comme tant d’autres start-up avant elle, FaceApp a pour intention de monétiser les données personnelles que vous lui fournissez en guise de droit d’entrée à son service. C’était déjà le cas lors de son lancement en 2017, et ça l’est toujours autant (au grand dam de celles et ceux qui vous exhortaient déjà à faire gaffe). Il faut cependant trier le bon grain de l’ivraie parmi les critiques faites au logiciel, et en expliquer le fonctionnement.
Lorsque vous décidez de vous transformer en petit vieux, la photo que vous avez transmise à FaceApp voyage sur ses serveurs, où s’opère le ravalement de façade. C’est pour cette raison que FaceApp vous demande d’autoriser une connexion Internet lorsque vous l’installez. Côté consentement, c’est moyen, puisque l’appli ne le mentionne pas clairement. En revanche, le fait que l’appli ou ses développeurs soient russes n’est pas (et ne devrait pas être) un argument pour expliquer sa supposée nocivité. D’autre part, et contrairement à ce qu’ont affirmé plusieurs médias, résume TechCrunch, FaceApp ne s’octroie pas l’accès à toute votre photothèque sans vous en demander la permission. En revanche, un obscur mécanisme d’iOS vous permet de choisir une seule photo de votre photothèque depuis l’appli sans l’avoir au préalable autorisée à y accéder.
…mais s’approprie votre image
Le plus grave, avec FaceApp, est écrit noir sur blanc dans les conditions générales d’utilisation (CGU) du service… et c’est peut-être ça le pire. Si vous aviez pris le temps de les lire avant de commencer à jouer avec, vous auriez peut-être appris que FaceApp récolte vos informations de géolocalisation et certaines parties de votre historique de navigation (adresse IP, URLs des pages visitées, clics, type de navigateur, etc.) pour vous offrir du “contenu personnalisé” — spoiler alert, on appelle ça des pubs ciblées. Ça fait déjà beaucoup pour une minute de fun, surtout lorsqu’on se souvient que les photos des utilisateurs servent à entraîner l’algorithme de l’appli, mais soit.
Et votre visage, alors ? Là, ça se corse. Lorsque vous transmettez une photo à FaceApp, vous lui conférez le droit “permanent, irrévocable, non-exclusif, libre de droits […]” de “l’utiliser, la reproduire, l’adapter, la modifier, la publier, la traduire, la distribuer et l’afficher” sur tous les types de médias existants ou à venir, y compris dans le cas du rachat de FaceApp. En gros, vous cédez tous vos droits à une entreprise. Bonne chance pour venir vous plaindre si vous vous croisez un jour dans un couloir de métro à faire de la pub pour des fuites urinaires en 4 par 3. Est-ce que c’est légal ? Par rapport au RGPD, on est loin du compte.
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Des CGU vagues, du partage à des tiers, des permissions intrusives et du ciblage publicitaire : au fond, rien de nouveau sous le soleil du capitalisme de la donnée, et plus récemment de la donnée biométrique. Comme le rappelait très justement le white hat français “Elliott Alderson” sur Twitter, les CGU de FaceApp (surtout la partie qui vous voit céder tous vos droits d’image à l’entreprise) sont quasiment mot pour mot celles de Snapchat. Même Microsoft s’y est essayé avec la plateforme How-Old.net, en 2015, pour récolter des visages en vue d’entraîner son algorithme de reconnaissance faciale automatisée. FaceApp est donc revenue, plus irrésistible que jamais, pour vous vendre un divertissement éphémère contre la potentielle exploitation à vie de votre image. Gratuité contre données, en apparence sans aucun risque. En l’absence de conséquences massives et concrètes pour les utilisateurs, le contrat faustien continue de fonctionner.