C’est un séisme dont les retombées sont encore imprévisibles. Mais assurément, cette soirée du 18 avril fera date dans l’histoire récente du football. Dopés par un appétit pécuniaire dont on ne distingue pas encore les limites, 12 clubs dissidents (Arsenal, Manchester United, Manchester City, Liverpool, Tottenham, Chelsea, AC Milan, Inter Milan, Juventus, Real Madrid, Atlético de Madrid et FC Barcelone) ont donc fait vœu de sécession de la “Vieille Europe”.
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En se mettant unilatéralement à la marge, ce club des 12 officialise une volonté tacite depuis des années : celle de voir les puissants se former en un club fermé, lucratif, au sein duquel il pourrait dicter ses propres règles. Ce projet de Ligue semi-fermée, sorte d’incarnation de ce nouveau monde, devra néanmoins s’affranchir de quelques réserves non négligeables pour transformer l’essai. En voici trois, parmi tant d’autres.
La Super Ligue bafoue les principes du mérite sportif
Un rond de serviette garanti, pas de risque de rétrogradation, une dotation minimale garantie… pour les 15 membres permanents du format présenté, ça ressemble à du “tout bénef”. Et ce, malgré le coup porté à la glorieuse incertitude du sport… “L’une des raisons pour lesquelles le football est le sport le plus populaire au monde, c’est parce que les faibles peuvent battre les puissants“, rappelait récemment Marcelo Bielsa, questionné sur l’émergence de ce projet. Le coach argentin s’ajoute à la longue liste des joueurs et entraîneurs, actuels ou passés, à s’exprimer contre ce projet.
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Il faut dire qu’en adoptant le principe de caste plutôt que celui du mérite, la Super Ligue bafoue l’essence même du sportif pour se placer dans le camp du financier. L’aléa, c’est bien connu, est l’ennemi de ce dernier. Il lui fait peur. Et les principes originels du sport ne font plus le poids face à la nécessité pour les investisseurs de sécuriser leur mise. En agissant pour l’immobilisme des forces en présence, la Super Ligue décrète les statuts, pour mieux les asseoir derrière. En sécurisant les prises de risques financières, qui favoriseront les investissements à long terme. Et tant pis pour les principes. L’argent n’a pas d’odeur pour les clubs qui courent vainement après une gloire pas si lointaine (Arsenal, Manchester United ou l’AC Milan), ou ceux dont la gestion financière est en déliquescence (FC Barcelone). L’assurance d’un ticket d’entrée à 350 millions d’euros minimum par saison ne pèse pas lourd face aux grands principes. Surtout après les pertes engendrées par la crise sanitaire. À titre de comparaison, Liverpool, lors de sa victoire en 2019, a récolté un peu plus de 110 millions d’euros de prize money.
La Super Ligue n’a pas (encore) l’adhésion de son public
Il n’aura pas fallu attendre longtemps pour que s’organise la levée de boucliers aux quatre coins de l’Europe, où de nombreux supporters se sont mobilisés pour dire non à cette révolution par le haut. À Liverpool, historique bastion ouvrier du Royaume-Uni reconnu pour la fidélité et la ferveur de son public, certains n’ont pas hésité à brûler le maillot de leur propre équipe.
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Chez le rival historique, Manchester United, les réactions ne sont pas moins mesurées, à l’image de ce supporter qui découpe sa carte d’abonné après 25 ans de fidélité au club.
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Officiellement, la Super Ligue est présentée par ses fondateurs comme une réponse à l’érosion de l’intérêt autour du football. C’est effectivement ce que montrent certains indicateurs, comme les audiences, globalement en baisse, et les droits TV, qui restent stables (voire baissent) après plusieurs années d’augmentation. Une tendance qui concerne principalement les ligues nationales et freine les grands clubs dans leurs velléités de développement.
Un sondage effectué en janvier 2021 par le CIES (Centre international d’études du sport) explique – en partie – les raisons de ce désamour : pas moins de 60 % des fans de football estiment qu’il y a “trop de matches”. Une tendance à laquelle la Super Ligue entend répondre… en augmentant le nombre de rencontres, avec une phase de poules qui passerait de 96 à 180 rencontres (18 journées au lieu de 6). Pour remporter la compétition, le futur vainqueur devra aligner non plus 13 matches comme avec l’actuelle formule de la C1… mais 23 ! Une proposition qui ne tient pas vraiment compte de la boulimie de football déplorée par les fans, et pas seulement…
La Super Ligue met en danger les joueurs
Qui dit augmentation du nombre de matches dit augmentation des cadences. Et à moins que les fédérations ne restent fermes sur leur intention d’exclure les participants à la Super Ligue, les clubs, et donc les joueurs concernés, peuvent s’attendre à des saisons marathon.
Pas plus tard qu’en 2019, la FifPro, syndicat international des joueurs, dénonçait cette cadence dans un rapport intitulé “At the Limit”, dans lequel il pointait du doigt le risque de blessures répétées. Pour exemple, le Sud-Coréen Heung-Min Son avait pris part à 78 rencontres durant cette interminable saison. Un constat dressé avant que le Covid-19 ne passe par là et n’accentue encore un peu plus cet emballement des calendriers.
Avant même que le projet de Super Ligue ne soit sur la table, certains entraîneurs avaient directement pointé du doigt ces cadences, comme Jürgen Klopp, à la tête de l’un des clubs fondateurs de la Super Ligue. “Tout le monde sait que c’est trop de jouer autant de matches : la Premier League et toutes les autres compétitions en même temps. Bien sûr que c’est trop. Personne ne veut y toucher et je ne comprends pas ça”, se plaignait le coach des Reds en novembre 2019, estimant que “la Fifa, l’UEFA et les championnats [devaient] discuter et penser aux joueurs et pas à leur portefeuille”. Vraisemblablement, il n’a pas été entendu.