Hormis leur passion dévorante pour la balle orange et leur mise à disposition sur Netflix, les séries documentaires The Last Dance, qui revient sur la dernière campagne des Bulls de Michael Jordan, et Last Chance U: Basketball, plongée immersive sur le campus universitaire d’une équipe de Los Angeles, n’ont pas de réels points communs. D’un côté, les génies des playgrounds portés par le plus grand joueur du siècle dernier. De l’autre, les cancres de la classe voués à disparaître dans la masse des joueurs universitaires. Pourtant, il ressort de ces deux œuvres opposées une leçon d’humilité particulièrement éloquente, qui dépasse le cadre des lignes de fond du terrain boisé.
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Les aficionados de la version originale de Last Chance U, centrée sur le football américain, connaissent déjà bien le procédé du docu-série : un coach débarque dans un quartier plutôt pauvre et démuni des États-Unis avec l’espoir de monter une équipe de champions et d’offrir à ses joueurs un avenir éloigné de la précarité, voire de la prison. Dans le cadre du spin-off, les fans de basket-ball retrouveront un air de Coach Carter, un film de sport dramatique porté par Samuel L. Jackson et sorti en 2005, dans lequel un entraîneur afro-américain met sa passion et sa notoriété en jeu pour faire de ses étudiants des athlètes de haut niveau mais aussi, et surtout, des hommes à la sortie du lycée.
Ici, le coach Ken Carter est John Mosley, un ancien joueur d’East Los Angeles revenu dans son quartier natal pour entraîner l’équipe locale. Ses méthodes sont sévères, exigeantes, mais surtout nécessaires pour inculquer des notions pédagogiques et philosophiques (voire catholiques) essentielles à l’épanouissement de ses joueurs. Les Huskies, autrefois classés dans le bas du tableau, sont désormais en lice pour remporter le championnat californien, mais la route est longue pour ces passionnés de hoops qui, en plus de rencontrer une forte rivalité sur les terrains, doivent aussi surmonter quotidiennement leurs démons intérieurs.
Le panier de la victoire, le match de leur vie
Ⓒ Netflix
Aux États-Unis, le basket est un sport national. C’est même le deuxième sport le plus populaire derrière le football américain et devant le base-ball, selon un sondage réalisé en 2018. Il peut compter sur des idoles planétaires comme Michael Jordan, LeBron James ou le regretté Kobe Bryant, décédé dans un accident d’hélicoptère en janvier 2020. Forcément, des millions d’adolescents américains, en grande partie noirs et afro-américains, rêvent de rejoindre la prestigieuse NBA et de jouer les playoffs pour remporter le titre du championnat. Or, avant de se jeter dans le grand bain, les jeunes basketteurs doivent impérativement progresser pour devenir les meilleurs, sortir diplômés de leurs études secondaires et rafler une bourse, sorte de Graal pour ces athlètes aspirants.
C’est là qu’intervient le rôle de mentor, à la limite du père spirituel, du coach Mosley et ses comparses. Avant de raconter l’histoire individuelle des Huskies, Last Chance U: Basketball dresse un portrait fascinant de leur entraîneur. Un homme intransigeant, capable de sortir de ses gonds pour persuader ses jeunes pousses de multiplier leurs efforts sur et en dehors du terrain. On assiste régulièrement à des scènes presque surréalistes, dures et émouvantes, où John Mosley hurle, saute de tous les côtés et les assène de versets bibliques pour les convaincre de se surpasser. “Ma principale préoccupation est de ne pas laisser tomber ces jeunes, confie-t-il à la caméra le regard grave et les mains en croix. Je ne veux pas qu’ils se disent qu’ils ont fait tout ce qu’ils pouvaient mais que cela n’a pas suffi.”
Le coach Mosley multiplie les sacrifices envers sa famille et sa vie personnelle pour le bien de son groupe, de son second foyer sous le dôme de l’E-rena, le gymnase d’East LA. Il a accepté un salaire misérable pour mener à bien sa mission qu’il considère comme messianique, après avoir reçu une éducation religieuse stricte et nécessaire pour “rester dans le droit chemin”, selon ses propres mots. Pour transmettre la sagesse qu’il a tirée de son expérience de vie, il doit jongler avec les ego des membres de l’équipe, les coupes budgétaires du lycée et, parfois, les sanctions pénales de ses joueurs, parmi lesquels certains témoignent d’un parcours tragique et déchirant : une mère morte d’un cancer, un père envoyé au trou, une blessure brutale qui pourrait briser une carrière…
Ⓒ Netflix
En huit épisodes haletants et captivants, la série documentaire prend le temps de dresser le portrait des douze joueurs qui composent l’équipe des Huskies. Il y a les futurs champions doués dès la naissance pour le basket-ball, les outsiders bien décidés à prendre leur place, mais aussi les remplaçants du banc de touche, une place équivalente au purgatoire dans l’esprit des joueurs. Le réalisateur Adam Leibowitz, déjà auteur de Last Chance U et Cheers sur Netflix, capte avec sa caméra des moments d’humanité saisissants, filme en gros plan les visages souvent abîmés des sportifs qui se confient sans aucun tabou sur leurs peines, leurs souhaits et leurs démons intérieurs.
Les histoires personnelles de Joe Hampton, KJ Allen, Deshaun Highler ou encore Malik Muhammad défilent et nous étreignent le cœur. Elles évoquent l’injustice, la tragédie, mais aussi l’espoir et l’humilité. Joe a connu une blessure grave qui a considérablement réduit son niveau de jeu. Depuis, il explose de rage à chaque fois que les arbitres lui sifflent des fautes, en partie à cause de son gabarit impressionnant. Deshaun, le capitaine de l’équipe, vit seul depuis la mort de sa mère et doit apprendre le sens des responsabilités aussi bien en tant qu’adulte indépendant que leader d’un groupe souvent en conflit. “Notre saison dure huit mois, ça pèse sur le corps et le mental, c’est très difficile, souffle à la caméra le coach Mosley entre deux gueulantes. Toutes ces personnalités, ça peut détruire une équipe.”
Ⓒ Netflix
Les regards caméra de Deshaun et ses camarades sont emplis de tendresse, de colère et parfois d’incompréhension qu’Adam Leibowitz capture avec une forme de contemplation pleine de compassion. Difficile de ne pas régulièrement verser une petite larme lors des interviews des joueurs, qui transmettent sans aucun effet de style une vaste palette d’émotions. Last Chance U: Basketball reconstitue avec une vérité bluffante l’intensité et l’intimité d’une saison de basket, bousculée par ses personnalités caractérielles et les aléas de la vie, jamais très tendre avec ces jeunes garçons considérés comme des losers par leur ville, par la ligue nationale et, parfois, par eux-mêmes.
Heureusement, la fin de chaque épisode leur permet de briller à travers les matches du championnat : des séquences grandioses, dignes de fictions épiques, mais bien réelles, où les rebondissements vont bon train. Tirs clutch, dunks assourdissants, pétages de plombs, explosions de joie ou hurlements de détresse dans les gradins et sur le banc de touche animent ces rencontres capitales pour progresser vers les playoffs. Pour eux, c’est un pas de plus vers le trophée de champions, une opportunité de jouer pour une fac prestigieuse et donc de concrétiser une carrière en NBA. Pour le coach Mosley, c’est surtout une forme de reconnaissance ultime et la satisfaction de voir ses poulains devenir des hommes accomplis, non seulement des sportifs, mais véritablement des athlètes de la vie, prêts à surmonter les contres et les air ball hasardeux qui se dresseront irrémédiablement sur leur chemin.
La première saison de Last Chance U: Basketball est disponible en intégralité sur Netflix.