Avant d’être la boisson préférée d’Antoine Griezmann, le maté est avant tout un état d’esprit. En Amérique du Sud où les gens le boivent comme ils respirent, le breuvage est un produit culturel. Une particularité qu’a saisie Romain Grunstein, fondateur de la société Mateador. Avec sa boîte, cet ancien employé d’un club de foot fabrique des maté artisanaux, comme ceux qu’on trouve là-bas.
Parmi ses clients les plus fidèles, on retrouve beaucoup de joueurs de foot. Des Sud-Américains, forcément, mais aussi des Français et des gens d’horizons divers. Et le Graal a été atteint il y a quelques semaines pour ce Français avec la livraison d’un maté personnalisé pour un certain… Lionel Messi.
Konbini Sports | Pour commencer, c’est quoi le maté ?
Romain Grunstein | Le maté, c’est trois choses : une légende, des bienfaits pour le corps et l’esprit et un moment de partage et de convivialité entre les gens. La légende dit qu’un jour, le dieu de la lune et son ami le petit nuage, à force d’observer la Terre et les humains, ont voulu descendre pour les voir de plus près. La Lune est descendue une nuit, elle est arrivée dans une clairière et la réverbération de la lumière du soleil a attiré un jaguar qui l’a attaquée. Elle a été sauvée par un vieux monsieur issu d’une tribu qui a tué le jaguar d’une flèche. Pour le remercier, la Lune lui a donné cette plante en lui disant “partage-la avec ta tribu”. Les bienfaits, ce sont plein de bonnes choses pour le corps et l’esprit. Ça apaise, ça aide dans le cadre d’un régime et ça augmente la concentration. Et troisième chose : le maté, en général, ne se prend pas seul mais à plusieurs. On dit que tu renforces tes liens d’amitié quand tu prends un maté avec quelqu’un.
Comment as-tu découvert cette boisson ?
J’ai découvert ce breuvage grâce à des joueurs argentins. Il a un goût particulier, très amer, et moi qui aime beaucoup le sucre, j’étais très surpris. Les bienfaits que cette boisson m’a apportés m’ont complètement convaincu, et je l’ai adoptée dans mon mode de vie. Puis, en m’intéressant à l’histoire du maté, j’ai eu envie d’aller en Amérique du Sud pour découvrir vraiment l’origine et la tradition, et j’en suis tombé amoureux parce que c’est l’humilité, le partage, l’amitié et beaucoup le football.
Le football, c’est-à-dire ?
Ça a vraiment un lien parce que ce sont deux formes d’identité du pays. Un Argentin te dira qu’il est supporter de son club depuis qu’il est dans le ventre de sa mère… et que le maté est argentin. Pareil pour un Uruguyaen, un Paraguayen ou un Bolivien.
Comment as-tu commencé ton aventure avec le maté ?
À l’origine, j’ai voulu avoir l’équipement complet en Europe. Je l’ai trouvé et quand je suis arrivé devant mes connaissances qui prenaient le maté, elles m’ont dit “c’est sympa mais c’est pas le maté”. Ils ont fait la comparaison avec le café en me disant que le vrai café, c’est en grains, et dans une tasse en porcelaine ; quand d’autres vont dire que ça se boit en capsule dans un gobelet en plastique. Et pour eux, mon maté c’était du café dans un gobelet en plastique. Ça m’a un peu vexé. J’ai cherché et je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas de trucs artisanaux. Et je voulais vraiment ramener cet état d’esprit ici. Donc je suis parti là-bas pour trouver la famille qui me fabriquerait mon maté de manière artisanale.
On a l’impression que le maté est devenu le nouveau produit à la mode chez les joueurs de foot. Il y a eu la chicha, et maintenant c’est au tour de la boisson sud-américaine ?
Dans chaque culture, il y a une consommation qui rassemble. Ça peut être la chicha pour certains, le maté pour d’autres. Mais le maté est en train d’être démocratisé en Europe car de plus en plus de footballeurs ont recours à cette boisson énergétique mais entièrement naturelle. Il y a une multitude d’usages pour prendre le maté, mais ce qui est bien chez les footballeurs, c’est que ça va les aider à se concentrer, ça réduit l’arrivée d’acide lactique dans le sang et ça aide à la récupération.
On pourrait presque dire que c’est du dopage…
Non, sinon beaucoup de joueurs auraient eu des problèmes. C’est naturel. En Europe et ailleurs dans le monde, on regarde beaucoup plus les produits naturels. De plus en plus de joueurs non sud-américains ont recours à cette boisson. Encore une fois parce que c’est un partage, tu renforces tes liens. Tu prends un maté dans le vestiaire avec tes collègues avant de voir un match, ça permet d’avoir une concentration collective, de souder davantage et de rentrer dans une bulle collective qui n’est pas anodine.
Est-ce que tu as constaté un avant et un après Griezmann en France sur la question du maté ?
Je pense qu’en France, il y a eu deux ambassadeurs : Antoine Griezmann qui est un grand consommateur de maté, et Cavani qui a une personnalité atypique pour nous les Français. Il en consomme beaucoup et se montre beaucoup avec. Ça nous a permis de découvrir ce breuvage, cette légende et cette histoire. Avant, il y avait du maté dans nos produits pharmaceutiques mais on était beaucoup moins au courant. Aujourd’hui, ça s’est démocratisé, des sociétés se sont créées en France et en Europe, et c’est pas plus mal.
Dans ton activité, tu as rencontré pas mal de joueurs. Comment se passent les connexions avec eux ? C’est toi ou eux qui font le premier pas ?
C’est souvent du bouche à oreille. Un joueur va en sélection avec un de mes maté, les autres aiment bien et il leur file mon contact. Ou alors, c’est le joueur qui regarde mes réseaux sociaux ou ceux des autres joueurs et qui me contacte.
Quelle est ta rencontre la plus marquante depuis que tu es dans le business du maté ?
Je ne sais pas si c’est le meilleur exemple mais les joueurs argentins, c’est une grande découverte. Ils sont d’une simplicité extrême et d’une gentillesse, ça m’avait marqué. Maintenant, j’ai quelques amis en Uruguay aussi et j’ai eu la chance d’assister à un match de Peñarol, une équipe que j’adore, et pendant la rencontre, la télévision est venue m’interviewer avec mon espagnol hésitant. C’était assez drôle.
Faut qu’on parle de ton dernier gros client, Lionel Messi. Comment ça s’est fait ?
C’est un joueur de la sélection argentine qui est parti en regroupement avec un de mes maté. Les autres joueurs ont vu, ils ont aimé et j’ai reçu plusieurs commandes, dont la possibilité d’en faire un pour Lionel Messi. J’ai été très honoré. Faut comprendre, pour un Français, faire un maté pour le numéro 10 de l’Argentine, c’est quelque chose. C’est leur identité, c’est leur culture. C’est signe que nos maté sont de bonne qualité. Je suis fier d’avoir fait Messi, mais je suis encore plus fier pour la famille en Argentine qui l’a fabriqué. Pour eux, c’est exceptionnel.
Quand on a eu Messi comme client, est-ce qu’on peut aller plus haut ?
Je ne sais pas du tout. Après Messi, il y a qui ?
As-tu eu des retours de gens qui ont dit “je veux ça” ?
J’ai eu la chance de faire Pipa Benedetto. C’est un super mec, accessible et très sympa. On se fait parfois des fausses impressions de joueurs, et en général ils sont hyper accessibles. Du coup, j’ai reçu quelques demandes pour faire des maté sur Marseille.
Petite question pratique : comment déguste-t-on un maté ?
Il y a trois façons. La traditionnelle, avec la calebasse, la bombilla et la yerba en sachet ; en infusion, comme un thé ; et en bouteille aussi. Ce sera sensiblement les mêmes effets mais la teneur en matéine et les apports nutritionnels ne seront pas forcément les mêmes. Faut savoir que le maté, à l’origine, c’est très amer. Ça peut surprendre au début mais c’est comme son premier café, faut que le palet s’y fasse. À la base, j’aimais beaucoup ce qui était sucré et la première fois que j’ai goûté, j’ai eu un peu de mal. Puis au bout d’une semaine je m’y suis fait. J’aime cette amertume.
Le maté va-t-il devenir la boisson tendance de la nouvelle décennie ?
J’espère pour moi (rires). On le découvre en Europe mais il y a plusieurs pays qui sont déjà adeptes : le Canada, les États-Unis, en Amérique du Sud bien sûr, des pays du Moyen-Orient, en Asie… Ce qui est drôle c’est que la yerba ne pousse qu’en Amérique du Sud. Et les pays sont d’accord pour exporter seulement s’ils en ont assez pour eux. Donc si une année il y a une mauvaise récolte, on n’aura rien. Et même là-bas il peut y avoir des frictions entre les pays parce que chacun veut avoir sa yerba.
Question polémique : quel pays fait le meilleur maté ?
C’est Mateador.
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