Plus de 3 mois après avoir illuminé nos Jeux Olympiques en présentant les matinales de France TV à Tokyo, Cécile Grès revient à ce qu’elle préfère : le bord-terrain. La journaliste officiera dès ce samedi sur les pelouses des tests d’automne des nations. Entre une lecture assidue de L’Équipe et la préparation de ses fiches, Cécile Grès s’est confiée à Konbini Sports sur ce qu’elle aime dans ce métier, ses débuts, ses envies et les conséquences de sa prise de parole dans le documentaire de Marie Portolano, “Je ne suis pas une salope, je suis journaliste.”
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Konbini Sports ⎪ Tu retrouves les terrains, après des mois de plateau et les JO notamment, tu dois être contente ?
Cécile Grès ⎪ Surtout, je retrouve les terrains avec du public ! Mes derniers matches de Coupe d’Europe et de Top 14, il y avait des jauges ou c’était dans des stades vides. Donc je vais revivre un vrai match dans un stade plein, en plus un match de l’équipe de France, avec la Marseillaise, avec le haka pour les Blacks pour le 3e match, ça va être incroyable. Je vais pleurer, c’est sûr, je vais avoir la chair de poule. Je fais ce métier pour ça, pour les ambiances dans les stades, et depuis un an et demi, faire des matches dans des enceintes vides, avec juste le bruit du périph’, ça foutait un peu le cafard. Le plateau c’est cool, mais t’es loin de tout le monde, tu es seule, tu sais que tu es au cœur d’un réacteur mais tu n’es pas au cœur de l’événement donc retrouver les pelouses, ça va faire du bien.
Tu as beaucoup fait parler de toi cet été, lorsque tu présentais les matinales des Jeux Olympiques, seule en plateau, un exercice que tu n’avais jamais fait. Comment as-tu vécu cette expérience ?
J’étais hyperstressée avant, car je ne l’avais jamais fait, et puis c’était les Jeux ! C’est-à-dire que ce sont des gens qui ne regardent pas le sport le reste du temps qui te découvrent. Tu sors de ton public rugby qui te connaît et qui est bienveillant, et tu bascules dans autre chose. Et en fait, ça s’est trop bien passé, c’était au-delà de mes espérances. J’appréhendais un peu les réseaux sociaux, car tu t’ouvres à un grand public qui ne te connaît pas, il peut décider qu’il ne t’aime pas, et puis ça peut être très cruel.
La première heure était horrible. À un moment, je me suis dit : “Mais dans quoi tu t’es embarquée ? Si ça se passe mal, c’est 6 heures par jour pendant 2 semaines, tu vas souffrir ma vieille !” J’étais trop stressée, je ne comprenais pas ce qui se passait, j’avais peur de mal faire. Puis le 2e jour, c’était parti, ça allait. Finalement, les gens ont été gentils avec moi !
Sur les réseaux sociaux, le public te réclamait même sur tes jours off !
Oui, mais j’étais bien contente de les avoir ces jours off. Les gens étaient adorables.
“Je ne vais pas faire comme si je m’y connaissais en bobsleigh !”
Tu as amené beaucoup de naturel et de sensibilité à l’antenne, il n’y avait pas de décalage entre toi et le public, comme si on était en plateau avec toi.
Je suis contente d’avoir réussi à rester moi-même, car pour te protéger du stress, tu peux être amenée à adopter des postures, des façons de parler qui ne sont pas les tiennes. Mais j’avais bossé, j’étais prête, et je sais qu’on ne peut pas tout savoir sur tout, donc j’ai pris le parti de me reposer sur tout le monde, je relançais les experts qui étaient là pour ça. Moi, j’étais là pour mettre du rythme, de l’humeur. J’ai décidé de laisser l’ego de côté, car parfois tu peux vouloir montrer aux gens que tu sais pour montrer ta légitimité et ça peut plus les crisper qu’autre chose. Je pense que les gens ont bien aimé le côté naturel. Du coup, ça m’a donné envie d’être complètement moi-même en plateau.
Le seul moment où je me suis dit “Ne sois pas toi-même”, c’est quand Albert de Monaco est venu et qu’on m’a briefée pour que je l’appelle “Son Altesse Sérénissime le prince Albert II de Monaco”. Moi, si tu ne me dis rien, je suis capable de l’appeler Albert.
Comment as-tu préparé ces JO ?
J’ai su que j’allais aux JO il y a deux ans, environ. Je ne savais pas exactement ce que j’allais faire, mais je savais que j’y serais, et quoiqu’il arrive, je savais que je ferais autre chose que mon sport de prédilection, le rugby. Puis j’ai toujours ce complexe de l’imposture, la peur de me tromper, donc j’ai lu L’Équipe de la première à la dernière ligne tous les jours, je regardais tous les documentaires de sport sur Netflix, j’appelais des gens de ma rédaction pour leur demander de m’expliquer comment ça marche, et c’est ce que je vais encore faire pour les JO d’hiver. Je ne connais pas tous les sports, je ne vais pas faire comme si je m’y connaissais en bobsleigh ! J’aime l’idée qu’autour de moi, soit en plateau, soit aux commentaires, des gens apportent leur expertise, et il faut leur faire confiance.
“J’ai besoin de terrain, j’ai besoin de voir les sportifs, j’ai besoin de vivre les matches, les ambiances”
Quel est ton meilleur souvenir des JO ?
En plateau, il y a eu l’interview de Masomah Ali Zada, la jeune cycliste afghane, qui m’a vraiment émue, mais en même temps ce n’était pas larmoyant. C’était un beau moment de partage. Au début, elle avait un peu peur de venir car elle ne parlait pas très bien français. Même mes chefs se demandaient si c’était pertinent de la noyer au milieu d’une émission ou est-ce qu’il valait mieux la mettre en valeur dans un sujet, puis j’ai dit “Non elle est là, il faut la faire”. Finalement, ça a été un très très beau moment.
Quand l’équipe de volley a débarqué, j’ai kiffé, et en même temps je n’ai pas trop kiffé parce qu’ils avaient bu, ils ne s’en sont pas cachés d’ailleurs, je ne révèle aucun secret. Quand ils sont tous arrivés en plateau, je me suis dit qu’à tout moment ça pouvait dégénérer. Mais le fait que Laurent Tillie soit là, ça les a calmés.
J’ai aussi eu beaucoup de chance car je pouvais voir plein d’épreuves : le soir je sortais après l’émission et le matin je me levais plus tôt pour aller voir des compétitions. Le titre d’Agbégnénou, c’était hyperfort, parce qu’en fait il y avait quand même un peu de monde dans les tribunes, et il s’est passé un truc à ce moment-là. Moi j’avais les larmes aux yeux, je pleure tout le temps et très facilement et là, j’étais submergée.
Comment s’est passée ta rentrée, entre la présentation de Tout Le Sport et Stade 2 ? Tu deviens une habituée des plateaux alors qu’au départ tu faisais surtout du bord-terrain.
J’ai toujours dit à mes chefs que je ne voulais pas faire que du plateau, je meurs de tristesse et d’ennui si on me met sur un plateau tous les jours. J’ai besoin de terrain, j’ai besoin de voir les sportifs, j’ai besoin de vivre les matches, les ambiances. Tout Le Sport, c’est bien car ce n’est pas tous les week-ends, donc ça me permet d’avoir une vie sociale, ce que je n’osais pas demander avant. C’est cool, j’aime bien le plateau, je prends du plaisir à le faire, mais je ne pourrais pas ne faire que ça, ça me rendrait malheureuse.
Tu as toujours voulu faire ce métier ?
Non. Je ne vais pas te faire le coup de la vocation : jusqu’à 24 ans, je ne savais pas du tout ce que je voulais faire. Je faisais des lettres, je voulais être libraire. Je me suis un peu cherchée jusqu’au moment où il a fallu prendre une décision, car le monde du travail me tendait les bras, et c’est là que je suis partie faire un master de journalisme au CELSA. J’aimais le sport depuis toujours, chez nous on en consomme énormément, donc quand il a fallu choisir un sujet, je me suis dit qu’évidemment ça serait le sport, et en plus si c’était le rugby ça serait encore mieux.
“Je voulais être Spice Girl, mais je me suis retrouvée à être Mel C !”
Mais quand j’étais petite, je ne regardais pas la télé en me disant que je voulais faire ce métier. Moi je voulais être Spice Girl, j’avais des rêves de petite fille normale. D’ailleurs, je me suis fâchée avec une copine, car on voulait toutes être Victoria Beckham évidemment, c’était la plus sympa, la plus stylée et la plus gentille. Sauf que je me suis retrouvée à être Mel C ! [Elle prend un air très choqué] Je l’ai super mal vécu, ça a créé une scission dans le groupe et je l’ai quitté. En tout cas, mon rêve n’était pas d’interviewer des sportifs en bord terrain.
Tu as commencé très tôt à L’Équipe avant de faire de la télé, avec le recul, comment analyses-tu ta réussite ? Y a-t-il eu une part de chance, ou est-ce le travail qui paye ?
Je pense que j’ai eu une part de chance, on fait partie de la génération des filles qui arrivent à une époque où il faut féminiser les rédactions car elles sont profondément et majoritairement masculines, donc évidemment, je ne me fais pas d’illusion, à CV et compétences égales, ils m’ont choisie car il fallait une stagiaire fille : on était deux, ils ont pris un garçon et une fille. Après, en revanche, il fallait assumer. Il ne fallait pas juste être le quota. Quand tu arrives dans une machine comme L’Équipe, à devoir faire des papiers web sur du rallye par exemple, il faut assurer. Au début je ne faisais pas que le rugby, ce n’est que quelques semaines plus tard qu’ils m’ont mise sur le Tournoi des Six nations et que j’ai vraiment commencé à me spécialiser dans le rugby. Alors oui, il y a une part de chance, mais derrière il fallait bosser et montrer que tu n’es pas juste là parce que t’es une nana.
Tu passes ensuite par Eurosport, puis tu rejoins France TV, dans un contexte compliqué car tu remplaces Clémentine Sarlat, qui accusait la rédaction de France 2 de harcèlement moral. Tu étais dans quel état d’esprit en arrivant ?
D’abord, j’ai refusé la première proposition de France TV, à l’été. À Eurosport, je n’étais pas du tout en CDI, j’étais pigiste, je n’étais pas engagée contractuellement mais je ne me voyais pas les planter à un mois de la reprise, car ils m’avaient beaucoup donné, ils m’avaient fait grandir et appris mon métier de terrain, j’étais entourée de gens bienveillants et je ne les remercierai jamais assez. Donc, quand France TV m’a proposé de rejoindre la rédaction en septembre, j’ai refusé. Tout le monde m’a dit que j’étais folle, mais moi j’étais raccord avec mes valeurs.
Puis France TV est revenu en novembre pour une rentrée en janvier, et je me suis dit que ça faisait 3 ans et demi que j’étais pigiste, j’avais un peu fait le tour aussi, la Pro D2 c’est génial, mais tu vas toujours dans les mêmes stades, tu vis toujours un peu les mêmes choses. Il fallait que je progresse, que j’avance. C’est Géraldine Pons d’Eurosport qui m’a interdit de refuser cette deuxième proposition de France TV. Ensuite oui, j’arrive dans un contexte compliqué et évidemment que c’est quelque chose que j’ai en tête au moment où j’arrive. J’espérais vite m’intégrer.
Ce contexte a pu justement te freiner dans ta prise de décision ?
J’avais déjà vécu des choses difficiles à L’Équipe, et je sais que je ne voulais pas me laisser guider par la peur. J’y ai pensé, je suis arrivée avec une vraie vigilance, mais que j’avais depuis L’Équipe, car ma première expérience a complètement modifié ma façon d’avoir des rapports humains dans l’entreprise, j’ai peur de revivre ce que j’ai déjà vécu, donc je fais très attention. Ça s’est bien passé mais en effet, je me souviens en avoir parlé avec Pascal Golomer quand il est venu me débaucher. Je comptais sur lui pour que ça passe bien humainement pour moi, et il remplit totalement sa part du contrat depuis d’ailleurs.
Tu as témoigné dans le documentaire de Marie Portolano, puis tu as adhéré à l’association Femmes Journalistes de Sport. Est-ce que cela t’a fait du bien d’en parler, comment as-tu vécu cela ?
Franchement c’était dur. Je ne l’ai pas fait pour moi, je l’ai fait pour les autres, et je suis très fière de l’avoir fait. Mais je n’ai pas pris de plaisir à raconter mon histoire, et ça ne m’a pas fait du bien. C’est quelque chose dont je ne parle pas, à France TV ils l’ont découvert à ce moment-là. Donc d’être au centre de l’attention pendant un mois, avec l’affaire Ménès derrière, c’était compliqué, car tu te retrouves au milieu d’un truc qui a généré beaucoup de crispations.
Derrière, il y a eu la création de l’association FJS, et c’était très bien, car il fallait agir, on ne pouvait pas raconter éternellement. C’est bien de parler car ça permet aux gens d’en prendre conscience, mais moi je veux être dans l’action. Donc je fais partie du groupe de travail “Action-réaction”. À France TV, j’ai créé le collectif parrain/marraine au service des sports pour que, dès qu’une jeune fille ou un jeune homme arrive dans l’entreprise, il soit parrainé. Et maintenant la règle c’est tolérance zéro. Le documentaire nous a aussi permis de prendre une nouvelle dimension sur le sujet : maintenant les gens nous ont identifiées comme quelqu’un qu’on ne peut pas emmerder, et qui ne laissera plus passer ce qu’on a vécu. Il faut agir maintenant.
Tu sens que ça change ?
Non… C’est encore trop récent. Ce n’est pas que ça ne change pas, mais là on est encore à l’époque du constat je trouve, et ça prendra du temps, et c’est totalement normal. Ça a déclenché des discussions avec des gens, ça permet d’ouvrir les yeux. Je le dis sans amertume qu’il va falloir du temps, pour le moment on pose les bases, et il va falloir construire.
Tu ferais quoi si tu ne faisais pas ce métier ?
[Elle réfléchit] Journaliste culture. Ou alors complètement autre chose. J’ouvrirais un restaurant je pense, je cuisine tout le temps, c’est ma passion.
Retrouvez Cécile Grès au bord du terrain des matches France-Argentine ce samedi 6 novembre à partir de 20 h 45 sur France 2, France-Géorgie le dimanche 14 novembre à partir de 13 h 50 sur France 2 et France-Nouvelle-Zélande le samedi 20 novembre à partir de 20 h 45 sur France 2.