Aurélien Chedjou : “Pour moi, les supporters turcs font partie des meilleurs au monde”

Aurélien Chedjou : “Pour moi, les supporters turcs font partie des meilleurs au monde”

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ISTANBUL, TURKEY – OCTOBER 17: Aurelien Chedjou of Galatasaray celebrates after scoring during the Turkish Spor Toto Super League football match between Galatasaray and Genclerbirligi at TT Arena in Istanbul, Turkey on October 17, 2015. Oktay Cilesiz / Anadolu Agency

Son image reste à jamais associée à la lériode la plus faste de l’histoire du LOSC. Mais l’histoire d’Aurélien Chedjou est bien plus riche que cela et s’est écrite en plusieurs chapitres.
Aujourd’hui à Galatasaray, le défenseur camerounais a connu un parcours tortueux où il a été question de déracinement, de multiples déconvenues et de dépassement de soi. Entretien fleuve avec une force tranquille.
Football Stories | L’une des dernières images marquantes de toi en Ligue 1, c’est ce petit pont que tu avais mis à Zlatan Ibrahimović qui, beau joueur, en avait rigolé (1-0, janvier 2013). On peut dire que tu avais soigné ton départ de la France…
Aurélien Chedjou | Même aujourd’hui, les supporters de Galatasaray m’en parlent. Ils m’envoient des vidéos sur mon Twitter ou mon Instagram. C’est vrai que ce sont toujours des images qui font plaisir mais c’est derrière moi tout ça. Zlatan sourit sur l’action parce qu’il sait que ça fait partie du jeu. C’est un grand champion, il l’a bien pris alors qu’il était sûr d’avoir le ballon [sourire]. Ça a prouvé que nous aussi, défenseurs, pouvons faire ce genre de geste aux attaquants. Ça fait toujours plaisir.

Ta réputation commençait à te précéder puisque avant un match contre l’OL, Lisandro Lopez t’avait dit qu’il avait peur de se prendre un petit pont…
Peur, c’est peut-être un bien grand mot. Mais on en a rigolé et quand on s’est salué, il m’a dit : “Tu n’essaies pas le petit pont aujourd’hui, hein. Je t’ai à l’oeil”. La semaine suivant le match contre le PSG, j’en avais fait un autre à Darío Cvitanich, qui était à Nice. Finalement, je n’en ai pas fait à Lisandro et j’ai juste pris son maillot à la fin.
Depuis que tu as rejoint la Turquie et Galatasaray, quelles sont les différences majeures que tu as pu observer par rapport au championnat français ?
Disons que la Ligue 1 est plus ordonnée tactiquement. Dans le championnat turc, les équipes courent beaucoup car elles sont volontaires. Mais elles ne courent pas ensemble, c’est un peu désordonné. Il y a beaucoup plus d’espaces entre les lignes. En France, on travaille plus la tactique, c’est beaucoup plus resserré. Comme plus de stars et de coaches étrangers viennent en Turquie désormais, ça apporte une valeur ajoutée et le championnat est en train de progresser.

Avec mon ami @sneijder10official @galatasaray

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Et ça fait quoi de jouer avec un génie intermittent comme Wesley Sneijder ?
Sneijder, on ne le présente plus. Il méritait le Ballon d’Or en 2010. C’est vrai que les années sont passées et ce n’est pas le même joueur qu’à l’Inter. Mais il a toujours ce petit truc, c’est notre génie à nous. On sait qu’à tout moment, il peut sortir un éclair pendant un match difficile. Comme l’année dernière où on est mené 2-0 par Fenerbahçe et il te sort des coups d’éclat. C’est une personne adorable. Il ne se prend pas la tête. À l’entraînement, c’est le premier à tacler et celui qui pousse l’équipe. Bon, après, c’est vrai qu’en vacances il se laisse aller et ne fait pas semblant [rires]. Il part à Ibiza et fait vraiment la fête.
Galatasaray est l’un des clubs les plus populaires en Turquie. Dans quelle mesure ressens-tu au quotidien cette ferveur autour du club ?
Non, déjà, c’est le club le plus populaire en Turquie ! [rires] Je n’ai jamais vécu ça de ma vie. Je venais de Lille où les supporters étaient proches de leur équipe. Mais, ici, c’est une folie. Même quand tu as deux jours et que tu pars à Bodrum par exemple, il y a les supporters. Ils sont partout en Turquie et même en dehors. Pour les déplacements en Champions League, à Londres, en Allemagne pour des matches amicaux ou durant des stages en Autriche loin dans les montagnes pour les pré-saisons, les mecs sont là. Ils nous encouragent toujours avec des chants. Et quand je sors de la maison avec ma femme et mes enfants, je n’ai pas de vie. Tu signes des autographes partout. Alors s’ils savent où tu habites, malheur pour toi… Ils viennent jusque devant chez toi pour prendre des photos. Ce sont vraiment des fous de foot. Les Turcs ont ça dans le sang et ça divise même des familles. Mon chauffeur, ici, est pour Galatasaray et sa fille pour Beşiktaş. Depuis que je suis arrivé, je l’ai invitée plusieurs fois au stade. Elle a dix ans mais ne veut pas venir. Elle m’a dit : “Je suis de Beşiktaş, je ne peux pas. J’irai seulement au stade de mon équipe“. C’est depuis tout petit en fait.
Tu me parles justement de derbys stambouliotes et tu en as disputés une flopée face à Fenerbahçe, Beşiktaş, Başakşehir et Kasımpaşa depuis ton arrivée en Turquie. En quoi ces rendez-vous sont-ils à part là-bas ?
Même si c’est chaud aussi contre Beşiktaş, les derbys les plus fous ici sont contre Fenerbahçe. C’est vraiment le seul match où toute la ville s’arrête. Même les policiers en ville s’arrêtent de travailler. C’est l’événement de l’année. Lors de mes trois premières années, les supporters ne pouvaient pas se déplacer à cause des bagarres mais ils peuvent désormais le faire. Ça nous met une pression supplémentaire pour faire un bon résultat. Si tu perds à domicile, tes supporters s’en vont car les policiers doivent d’abord garder ceux de l’équipe adverse. Ils se mettent alors à chanter et faire du bruit dans le stade vide. On est donc obligé de gagner. Contre Fenerbahçe, tu n’as pas le droit à l’erreur. Dès que j’ai signé, on me l’a fait comprendre. Tu peux faire une de saison de merde mais, ce match-là, il ne faut pas le perdre. C’est la guerre. Quand mon compatriote Pierre Achille Webó était à Fenerbahçe, on ne s’appelait d’ailleurs pas la semaine précédant le match. C’est le match qui me rend le plus nerveux. Une petite erreur et on ne te le pardonne pas. Mais si tu marques, tu deviens une légende.

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“Même si c’est chaud aussi contre Beşiktaş, les derbys les plus fous ici sont contre Fenerbahçe. C’est vraiment le seul match où toute la ville s’arrête”

Donc “l’enfer turc”, ce n’est pas une simple légende ou une expression galvaudée ?
Quand ils disent l’enfer, c’est surtout l’ambiance dans les tribunes. Ça te donne la chair de poule et tu peux te faire dessus si tu n’es pas prêt pour ça. Encore plus si ton équipe joue mal. Pour moi, les supporters turcs font partie des meilleurs au monde. Et c’est pareil pour les petits clubs. Les stades sont toujours remplis. Je me souviens d’un match qui s’était joué en deux jours contre la Juve en Champions League (1-0, 11 décembre 2013). La neige avait fait qu’on n’avait pas pu finir le match. Et le lendemain, on a poursuivi et le stade était toujours plein, tu te rends compte ? Aussi, lors de ma première année, on avait pris une fessée à domicile face au Real Madrid (1-6, 17 septembre 2013). À la fin, les supporters se sont quand même mis à chanter et applaudir. Ça m’a tout de suite interpellé. Ils étaient fiers de nous car on avait malgré tout mouillé le maillot.
Tu as connu la quiétude de Lille et tu vis désormais à Istanbul, une ville constamment animée et culturellement très riche. Tu t’y plais là-bas ?
Je sors de moins en moins. Mais quand j’ai deux jours de libre, je fais le tour du Bosphore en bateau. Tu vois Istanbul d’un autre œil. Il y a des monuments et beaucoup de choses à visiter. C’est une ville de vingt-deux millions de personnes et qui fait la passerelle entre deux continents. La ville est toujours en train de s’agrandir. C’est 24h/24 en train de bouger. Avant de venir ici, les médias veulent nous donner une certaine image de la Turquie. Comme quoi Istanbul, ce n’est pas bien avec les terroristes et les extrémistes. Mais je peux t’assurer que c’est une ville ouverte. Je suis catholique et je n’ai jamais eu de problème dans le vestiaire. Les musulmans doivent prier le vendredi donc la séance d’entraînement est avancée et on respecte ça. À Noël, les Chrétiens peuvent rester à la maison et venir plus tard pour la mise au vert. Ils respectent l’espace de l’autre.
Mais avec la vague d’attentats qui a touché la ville ces dernières années, as-tu pensé à quitter le pays pour la sécurité de ta famille ?
Il ne faut pas généraliser. Je conseille à tout le monde de venir ici. C’est partout dans le monde maintenant. Mais comme ce sont des musulmans, on appuie un peu plus. C’est une ville vraiment de paix. Après, c’est vrai qu’il y a eu plusieurs attentats et un coup d’État manqué en juillet quand on était en Autriche. Ça nous a fait peur mais dès qu’on nous a rassurés et que tout était maîtrisé, j’ai parlé à ma femme, on est revenu et la vie suit son cours. Ailleurs, c’est moins médiatisé. C’est arrivé à Paris et Nice aussi. Il fait bon y vivre. Moi qui ai connu le Nord, je ne me plains pas. J’adore le Nord, ça reste chez moi, mais concernant la météo, Istanbul c’est mieux [rires].
Penses-tu que le football peut jouer un rôle rassembleur lorsque des événements si tragiques se produisent ?
Après l’attentat envers les policiers à Istanbul (double attentat qui a fait 38 morts près du stade de Beşiktaş le 11 décembre 2016, ndlr), le gouvernement a organisé un match entre les Turcs et les étrangers du championnat. On a joué au stade de Beşiktaş et c’était l’union sacrée. J’ai vu des supporters de Fener, du Beşiktaş et de Galatasaray ensemble. Ce n’était plus vraiment du foot. C’était réunir du monde pour dire non au terrorisme. Il régnait un sentiment de fraternité. Il ne s’agissait pas de catholiques, de musulmans ou de supporters de tel ou tel club. Tous étaient là pour dire non à ce fléau qui s’étend malheureusement dans le monde entier. C’était quelque chose de fort pour dire qu’on n’oubliait pas ceux qui ont perdu des proches. Les retombées financières de ce match ont d’ailleurs été pour les familles.


Avant la Turquie et la France, tu as grandi au Cameroun. Elle ressemblait à quoi ton enfance à Douala ?
Je me souviens de parties de foot avec mes potes. On se levait quand on n’avait pas cours et on jouait jusqu’à pas d’heure. Ce qui causait des problèmes à la maison…Parce que je devais faire des tâches ménagères à la maison. Je ne les faisais pas, pareil pour mes devoirs, car j’allais jouer au foot et je me faisais engueuler. Ma grande sœur a d’ailleurs pris une fois mes chaussures pour les cacher. Ça se passait bien. On se lançait des défis avec des potes dans les quartiers voisins. Et quand on ne jouait pas, on regardait les grands ou on faisait les ramasseurs de balle dans les tournois.
Après ton apprentissage à la Kadji Sports Academy, tu es repéré par Villarreal et intègres le centre de formation du club. Comment as-tu appréhendé si jeune ce changement d’environnement ?
Au Cameroun, si un gamin de treize, quatorze ou quinze ans veut être footballeur professionnel, il ne dira pas non pour aller en Europe. C’est vrai que c’est un sacrifice énorme de laisser sa famille. Mais dans ma tête, c’était clair : je voulais devenir professionnel. Après, c’était dur, je ne vais pas mentir. Je suis arrivé en Espagne, je n’avais jamais connu l’hiver de ma vie. Je suis arrivé le 5 février 2000 à Villarreal. À mes premières séances d’entraînement, je ne savais pas où j’étais. Il faisait très froid pour un petit gars qui sort de Douala. Il y a des nuits où j’ai pleuré.
À l’époque, le portable n’était pas courant au Cameroun et ma famille devait aller dans une cabine téléphonique pour m’appeler. C’était donc dur de leur donner des nouvelles souvent. Puis je n’ai pas joué les six premiers mois car on n’avait pas les papiers nécessaires. On s’entraînait, on faisait les voyages avec l’équipe et on voyait les coéquipiers jouer. Un jour, j’ai craqué pendant un repas. Je leur ai dit que ce n’était pas une situation facile. Mais ça s’est résolu par la suite et j’ai pu enfin jouer.

“Je suis arrivé en Espagne, je n’avais jamais connu l’hiver de ma vie”

Beaucoup de gens l’ignorent mais durant ces trois ans en Espagne, tu as longtemps évolué en tant que milieu de terrain. Il avait quel profil Aurélien Chedjou à ce poste-là ?
J’ai été formé comme milieu, en fait. J’ai envie de dire que j’étais pas mal avec le ballon. Mais sans ballon, je n’existais pas et je servais à rien. On me voyait seulement quand j’avais la balle au pied. J’avais peur qu’on me tape les pieds, d’aller aux duels. Petit à petit, j’ai reculé et j’ai compris que les duels étaient importants. À Villarreal, je suis descendu en 6 devant la défense puis après en défense centrale le temps d’un match. C’est vraiment à Lille que j’ai commencé à évoluer en défense centrale.
Ton cheminement avant d’accéder au plus haut niveau a mis du temps avant de se dessiner. Tu as connu Pau où tu jouais avec des trentenaires, l’AJ Auxerre où Guy Roux a refusé de te signer pro et Rouen où tu vivais des primes de matches et des Assédic. Quels souvenirs gardes-tu de cette période ?
Franchement, avec du recul, ça m’a forgé en tant qu’homme. Quand je suis arrivé à Villarreal, tout était beau, tout était bien. Il y a de belles installations et tout ce qui va avec. Puis j’atterris à Pau, en National. On te dit que tu vas jouer mais tu ne joues pas. Tu es jeune donc tu sais que ça va être compliqué…
C’est vrai que tu allais dans un restaurant U juste devant la Fac de Pau ?
Exactement. J’ai encore les fiches de paie si tu veux car certains ne croient pas à cette histoire ! Je touchais deux cents euros à cette époque. J’étais obligé de vivre avec ça tout le mois. Puis, quand nous les Africains venons en Europe, c’est aussi pour soutenir la famille au pays. J’avais dit à ma mère que je voulais rentrer parce que ça n’allait pas. Mais elle m’a dit que non, c’était hors de question. Elle m’a dit de rester jusqu’à ce que je sente que j’ai donné le maximum car elle estimait que ce n’était pas encore le cas. Ma mère m’a dit cela pendant au moins trois mois. Je me suis accroché et, à Pau, j’ai eu la chance de connaître un mec dont le père était coach à Auxerre. Il m’a dit si j’étais intéressé pour aller faire des essais et j’ai dit pourquoi pas. J’ai signé et passé deux belles années là-bas.
Tu dis quand même avoir eu l’impression qu’on s’est foutu de ta gueule là-bas…
Oui, c’est le sentiment que j’ai eu parce que je m’entraînais avec les pros. Je me souviens avoir disputé le match des centenaires avec Philippe Violeau au milieu de terrain. Beaucoup de mes promotionnaires en CFA ne comprenaient pas pourquoi je ne signais pas professionnel. Mais, avec du recul, je me dis peut-être que si j’avais signé, je ne serais pas allé à Lille et je n’aurais pas réalisé le doublé là-bas. C’était le destin. À l’époque, j’en ai voulu aux dirigeants et j’étais vraiment dégoûté. Aujourd’hui, j’ai fait mon petit parcours et j’ai gagné des trophées par-ci par-là.
Ton destin bascule quand tu envoies, un jour, un SMS à Pascal Planque alors coach de la réserve du LOSC et qui t’avait repéré à l’AJA…
Pour moi, c’était clairement un SOS. À Rouen, l’équipe était quasiment faite et j’arrivais seulement comme supplément. Ça me permettait de m’entraîner et de retrouver du rythme. Le coach me mettait sur le côté droit. Et le public n’arrêtait pas de m’insulter. Parce qu’il estimait que je venais donner un plus étant donné que j’arrivais de la CFA d’Auxerre, ce que je comprends totalement. J’arrivais d’une réserve professionnelle. Mais milieu droit, ce n’était pas mon poste. J’étais à l’hôtel pendant quasiment six mois. Comme je n’avais pas de contrat avec Rouen, je vivais des Assédic donc c’était compliqué pour trouver un appartement. Puis ma compagne de l’époque était enceinte de mon premier enfant. Elle venait donc juste de temps en temps, ce n’était pas facile. Ça forge aussi quelqu’un. Et ça montre qu’il faut souvent aller chercher les choses soi-même.

“Mon destin a donc basculé sur un SMS”

“Savoir que tout un pays est derrière vous pour vous soutenir, c’est quelque chose d’extraordinaire. Vous représentez tout un pays, tous les yeux sont rivés sur vous”