La couverture du mois d’août du prestigieux Vogue US est occupée par la quadruple championne olympique Simone Biles. Pour cette édition estivale, l’athlète a accordé de longs moments à la journaliste Abby Aguire, s’épanchant sur sa déception de voir les Jeux olympiques décalés à cause de l’épidémie du Covid-19 et, surtout, ses traumatismes liés aux abus sexuels dont elle a souffert à cause de Larry Nassar. Le médecin de l’équipe nationale américaine de gymnastique artistique féminine a été accusé par 265 gymnastes américaines d’agressions sexuelles (remontant jusqu’à 1992).
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En illustration de ce long entretien accordé au magazine, Simone Biles a posé devant l’objectif d’Annie Leibovitz, photographe de renom qui collabore régulièrement avec Vogue depuis la fin des années 1980. La série de photos, dévoilée il y a quelques jours, a tout de suite causé une salve de commentaires. Les images sont “ternes”, les couleurs “fades” et les internautes ont jugé que Simone Biles était loin d’être mise en valeur, contrairement aux couvertures habituelles du magazine de mode qui s’efforce de montrer des sujets sous leur meilleur jour.
L’urgence d’engager des photographes noir·e·s
La façon dont a été immortalisée Simone Biles a fait couler beaucoup d’encre parce qu’elle rappelle la demande de nombreux·ses internautes d’engager davantage de personnes noires dans les équipes rédactionnelles, artistiques et créatives des publications – qui auraient pu, selon certain·e·s, discuter ces choix photo. Sur les réseaux sociaux, des internautes et photographes militant·e·s ont pointé du doigt le fait qu’une peau foncée ne nécessiterait pas le même éclairage qu’une peau claire, pas la même technique, ni les mêmes retouches.
Et cela ne signifie pas que les artistes blanc·he·s ne doivent shooter que des Blanc·he·s et les artistes noir·e·s que des Noir·e·s. Plutôt que de blâmer Annie Leibovitz, la Toile s’est désolée du fait que Vogue ait de nouveau fait appel à une artiste blanche plutôt que de donner sa chance à un·e photographe noir·e.
Dans son entretien, Simone Biles raconte “n’avoir pas beaucoup vu de gymnastes noirs en grandissant”. Pourquoi inscrire ces propos si la publication ne fait pas l’effort de montrer le travail de photographes noir·e·s et des personnalités noires ? Des comptes Instagram ont notamment mis en parallèle les images de Simone Biles avec celles de modèles noir·e·s photographié·e·s par des artistes noir·e·s, pointant du doigt la différence de rendu.
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Certain·e·s affirment que les dimensions ternes et froides des images sont un parti pris de la photographe et de son équipe, afin de coller avec les sujets difficiles abordés par Simone Biles dans son interview. Il n’empêche qu’il s’agit là de la première couverture pour Vogue de l’athlète et qu’il y avait là toutes les raisons pour la faire rayonner avec autant de glamour que possible. Son attitude pouvait suffire à symboliser la gravité de ses propos.
De plus, si l’article est effectivement lourd des traumatismes vécus par Simone Biles, l’impression qu’il en reste est bien celle d’une force de la nature. La jeune femme d’à peine 24 ans a passé une partie de son enfance en famille d’accueil avant d’être adoptée par ses grands-parents. Elle a consacré sa vie à la gymnastique et a souffert des abus sexuels du médecin Larry Nasser pendant quatre ans. Elle ne s’en est pas encore remise, forcée à continuer à s’entraîner là où elle a vécu ces traumatismes et, malgré cela, elle est l’une des meilleures athlètes de l’histoire, comme n’omet pas de le souligner Vogue :
“Simone Biles est la plus forte des gymnastes – la meilleure de tous les temps, hommes et femmes confondus, et ce n’est plus une question d’opinion. Biles n’a perdu aucune médaille depuis 2013 dans les concours généraux individuels. Depuis octobre dernier, quand elle a gagné son cinquième titre général international Biles est devenue la gymnaste la plus médaillée de l’histoire des championnats du monde.”
Un engagement vite oublié
Si cette édition d’août a suscité tant de discussions, c’est également parce qu’elle est mise en rayon quelques petites semaines après une déclaration d’Anna Wintour reconnaissant que Vogue “n’a pas trouvé assez de moyens permettant d’amplifier et de donner de la place aux voix de journalistes, auteurs, photographes, stylistes et créatifs noirs” :
“Nous avons fait des erreurs, en publiant des images et des reportages blessants ou faisant preuve d’intolérance. Je prends la pleine responsabilité de ces fautes. Ce ne doit pas être facile d’être un employé noir chez ‘Vogue’, et vous êtes trop peu nombreux. Je sais que ce n’est pas suffisant de dire qu’on fera mieux, mais nous le ferons – et s’il vous plaît, sachez que j’estime vos voix et vos retours dans cette évolution. J’écoute et j’aimerais connaître vos opinions et vos conseils si vous voulez les partagez.”
Publier une telle série photo, de nouveau réalisée par une artiste blanche, entre en contradiction directe avec ces déclarations et avec les quelques efforts que la publication a récemment faits à l’instar de la couverture de l’édition espagnole avec Naomi Campbell shootée pour la première fois par une photographe noire.
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