USA : l’Église catholique incriminée pour avoir couvert des milliers d’actes pédophiles pendant plus de 70 ans

USA : l’Église catholique incriminée pour avoir couvert des milliers d’actes pédophiles pendant plus de 70 ans

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Gabe Souza/Staff Photographer
Parishioners at St. John the Evangelist Catholic Church in South Portland celebrated their last mass their Wednesday night, September 11, 2013. The church will merge with Holy Cross, also in South Portland, and the building will be sold.

Au moins 1 000 victimes et 300 prêtres prédateurs ont été identifiés grâce à des archives de l’Église gardées à la discrétion des évêques.

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“La plupart des victimes étaient des garçons ; mais il y a aussi des filles. Certains étaient adolescents ; beaucoup étaient prépubères, introduit le rapport dévoilé le 14 août 2018 par les services du procureur de Pennsylvanie aux États-Unis. Certains ont été manipulés grâce à l’alcool ou la pornographie. Certains ont dû masturber leur agresseur ou ont été tripotés. Certains ont été violés par voie orale, certains par voie vaginale, d’autres par voie anale.”

Pendant plus de deux ans, les auteurs de cette enquête ont mis leur vie entre parenthèses pour détailler les abus sexuels commis au sein de l’Église catholique dans cet État de l’est américain, depuis les années 1940. Réunis au sein d’un grand jury, comme le permet le système pénal américain, ils ont épluché méthodiquement plus d’un demi-million de documents archivés par six des huit diocèses de Pennsylvanie et interrogé des dizaines de victimes, avec l’aide du FBI et sous l’égide du procureur.

Ils mettent alors au jour la manière dont la hiérarchie religieuse a consciencieusement évité les “scandales” et dévoilent cyniquement un genre de “mode d’emploi” en sept étapes, officieusement partagé à travers l’État de Pennsylvanie : préférer le terme “contacts inappropriés” à celui de “viol”, confier les enquêtes aux membres du clergé plutôt qu’à un personnel formé, prétendre à un congé maladie lorsqu’un prêtre est écarté de sa paroisse, fonder l’évaluation psychiatrique des agresseurs sur leurs seuls témoignages, transférer ceux qui sont accusés d’actes pédophiles vers une nouvelle paroisse, et au-dessus de tout, ne pas prévenir la police.

Des exemples à la pelle

“Toutes les victimes ont été balayées, partout à travers l’État, par des leaders ecclésiastiques qui préféraient défendre leurs agresseurs et leur institution au détriment du reste”, poursuit le rapport du 14 août 2018. En exemple, le document cite un prêtre du diocèse d’Allentown, resté en poste bien qu’il ait demandé de l’aide à sa hiérarchie et confié qu’il avait déjà agressé plusieurs garçons.

À Erie, un diocèse voisin, l’évêque a personnellement félicité la “candeur et la sincérité” d’un prêtre qui avait auparavant avoué avoir violé, par fellation et sodomie, une quinzaine de garçons dont un âgé de sept ans ; le responsable ecclésiastique l’a complimenté pour “les progrès effectués” pour contrôler son “addiction”. Dans le diocèse de Scranton, un prêtre a violé une jeune fille puis arrangé son avortement. Lorsque l’évêque a appris l’affaire, il s’est empressé d’écrire son soutien en ces “moments difficiles”, “mais la lettre n’était pas pour la jeune fille, détaille les auteurs du rapport, elle était adressée au prêtre”. Ces faits sont consignés dans des “archives secrètes”, étaye le rapport, mais “seul l’évêque peut avoir la clé” en vertu du droit canonique.

Les conséquences de cette omerta sont dévastatrices : 301 prêtres ont été identifiés comme prédateurs sexuels par le rapport du grand jury, fichés par nom, date de naissance et d’ordination, parcours professionnels et preuves accablantes. Ils sont accusés d’avoir commis des abus sexuels sur environ 1 000 enfants et adolescents, mais les auteurs du rapport craignent que les victimes se comptent plutôt par milliers dans le seul État de Pennsylvanie.

300 accusés, 2 inculpés

L’immobilisme de la justice américaine est criant. Parmi les centaines d’agresseurs reconnus, seuls deux ont été inculpés aux États-Unis, rapporte Le Monde : le premier pour avoir joui dans la bouche d’un enfant et plaidé coupable en juillet, le second pour avoir agressé à répétition deux garçons jusqu’en 2010. Les autres faits sont prescrits (car commis avant le début des années 2000) ou perpétrés par des personnes aujourd’hui décédées.

“Ce rapport est notre seul recours”, écrivent les auteurs du rapport lourd de 800 pages, agrémentées de lettres manuscrites photocopiées et de documents diocésains, “nous sommes malades de tous ces crimes qui resteront impunis et qui ne seront jamais dédommagés. […] Nous allons mettre en lumière le comportement (de ces agresseurs) parce que les victimes le méritent.”

En 2002, c’est le Boston Globe qui jetait un coup de projecteur sur la manière dont l’Église catholique avait dissimulé les actes pédophiles de plusieurs prêtres dans l’archidiocèse de Boston, déclenchant une vague de révélations à travers le monde et raflant un prix Pulitzer pour les mois d’enquête de ses journalistes d’investigation, comme le film Spotlight en fit état en 2015.

La réaction du Vatican

Parmi les ecclésiastiques qui ont réagi au rapport du grand jury et cités par France info, on assure que ce comportement de dissimulation, ce n’est plus l’Église d’aujourd’hui.

“Les victimes doivent savoir que le pape est de leur côté”, s’est également exprimé le Saint-Siège par communiqué le 16 août 2018, rapporte l’AFP. “Deux mots peuvent exprimer ce que l’on ressent face à ces crimes horribles : la honte et la douleur”, poursuit l’autorité religieuse qui dénonce des “abus […] pénalement et moralement répréhensibles”, tout en rappelant les “réformes drastiques” menées par l’institution au tournant des années 2000. Le Vatican assure toutefois qu’il “encourage de constantes réformes et une vigilance à tous les niveaux de l’Église” et réaffirme “l’obligation de dénoncer les cas d’abus sexuels sur mineur”.