Le jour où j’ai porté plainte contre mon père pour viol, j’étais tétanisée mais sûre de moi et de ma décision. Les gens de ma famille qui étaient au courant de ce que j’avais subi me disaient : “Si tu ne portes pas plainte, c’est qu’il ne s’est rien passé.” Alors, j’ai décidé de le faire, parce que même si mon père avait déjà avoué à demi-mot qu’il avait pu avoir “des gestes qu’il ne fallait pas” avec moi, personne ne disait rien.
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Un gendarme, la quarantaine, m’accueille et me prie de bien vouloir le suivre jusqu’à son bureau. Il m’explique comment va se passer la matinée : “Voilà, ici se trouve une webcam qui va me servir à enregistrer ta plainte tout au long de cette matinée, cela est nécessaire car, en cas de besoin, nous n’avons pas à te convoquer et pouvons trouver nos réponses en revisionnant cette vidéo, as-tu compris ?”
J’acquiesce d’un hochement de la tête. Il me demande des informations, des détails sur ma famille afin de tous les situer dans ma vie. Puis vient le moment où il faut lui expliquer, dans les moindres détails, ce que j’ai subi de la part de mon père pendant de nombreuses années. Il veut tout savoir : les dates, les moments, qui était présent dans la maison quand cela se passait. J’ai la voix tremblante. Mon père, qui n’est pas mon père biologique, mais mon père adoptif, m’a violée de mes 12 ans à mes 18 ans et demi.
“Tu viens de faire exploser une bombe au sein de notre famille”
Quand je sors de la gendarmerie, je dors pendant vingt-quatre heures. Ensuite, dans ma tête, il n’y a qu’une seule chose : je redoute la réaction de ma mère. Son texto, quand elle apprend que j’ai porté plainte, je m’en souviens encore aujourd’hui : “OK, je respecte ton choix, mais sache que rien ne sera plus comme avant. Tu viens de faire exploser une bombe au sein de notre famille. Quand papa va le savoir, je crains sa réaction.”
Je suis ensuite coupée du monde pendant de longues semaines. Plus personne ne me parle, aucun membre de ma famille ne répond à mes appels, à mes textos. Quand je reprends enfin un semblant de vie dans mon appartement, je reçois un dimanche après-midi la visite de ma mère, de mon parrain et de ma marraine. Je suis d’abord contente qu’ils soient là, chez moi.
Très vite, pourtant, je déchante… Ils sont là, mais pas pour moi : “Salomé, si tu ne retires pas ta plainte, ton père va faire une connerie. S’il te plaît, pense à ta sœur, tes frères… Que vont-ils devenir si ton père fait une connerie ? Et moi, tu penses à moi ?” Dans ma tête, plusieurs sentiments : la peur, l’incompréhension, la colère, la tristesse, le dégoût.
Quelque temps plus tard, ma mère m’expédie un SMS :
“Si tu retires ta plainte, je ne te promets pas que tout redeviendra comme avant mais ça s’arrangera. Tu pourras revoir tes frères et sœur. Tu ne pourras pas venir tout de suite à la maison, je ne veux pas, mais ils viendront chez toi. Papa te pardonne, maintenant à toi de choisir, voici l’adresse du procureur de la République où écrire.”
J’aimerais pouvoir tout oublier
Quelques jours passent, toujours avec le même texto : “As-tu fait ton courrier au procureur de la République ?”
Un jour, je craque face aux paroles de ma mère me faisant culpabiliser vis-à-vis de mes frères et sœur. Je finis alors par écrire au procureur de la République. C’est ma mère qui est passée chez moi prendre l’enveloppe et l’expédier.
Je n’ai rien su dire, encore une fois je me suis laissée faire par ma mère. Dans le courrier, j’ai mis que j’avais dû mal interpréter l’attitude de mon père et que tout était faux dans ma plainte. En fait, j’ai écrit ce que ma mère voulait : que c’était juste “des gestes d’amour”.
C’était il y a deux ans. Maintenant, même si j’ai toujours aussi honte et aussi mal, j’ai abandonné l’idée de porter plainte. Si mon père était jugé, je perdrais tout, mes frères et ma sœur, ma famille, ma mère. Ce que je voudrais surtout, c’est pouvoir tout oublier. J’aurai 24 ans dans quelques jours : je suis incapable d’avoir une relation amoureuse. Je ne peux pas être touchée, je ne fais plus confiance.
On m’a volé mon enfance, on m’a volé mon intimité, ma vie.
Salomé, 24 ans, en formation, Lille
Ce témoignage provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la zone d’expression prioritaire), un média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans, qui témoignent de leur quotidien comme de toute l’actualité qui les concerne.