L’endométriose m’a pris beaucoup : mon adolescence, ma famille, mon intimité et certains de mes amis. Bref, une partie de ma vie sociale. Ma maladie n’est pas mortelle et, pourtant, un tiers du mois est une prise de tête. Pour moi, mais aussi pour mon entourage.
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J’ai subi les symptômes de l’endométriose dès mes premières règles. Très vite, j’ai compris qu’il y avait un problème. Je le sentais au fond de moi. Je me pliais de douleur, je pleurais, j’étais obligée de faire des allers-retours aux urgences, et j’en passe. Malheureusement, et vous le savez certainement, comprendre ce que j’avais a été une vraie bataille. Ce n’est que quelques années plus tard qu’on a enfin mis des mots sur mon calvaire. Le plus dur, outre ces douleurs, ce fut et c’est toujours le jugement des gens, l’impact sur les relations. La solitude, l’isolement et l’incompréhension, c’est ce qu’il y a de plus dur à vivre.
Des médecins, et même une gynécologue, m’ont traitée de malade imaginaire : “Avoir mal pendant ses règles est normal mademoiselle” ; “Prenez votre pilule et ça passera avec le temps.” Sauf que le temps n’a jamais guéri les souffrances et j’en ai agacé plus d’un à me plaindre tout le temps.
Entre tensions, colère et incompréhension vis-à-vis de mes douleurs insoutenables, je pouvais être très désagréable auprès de ma famille, au point que cela pouvait être source de disputes, notamment entre mon père et moi. Il a souvent pensé que j’étais douillette et que ça allait passer avec l’âge.
J’ai alors eu tendance à m’isoler, par honte, culpabilité et même par peur de ne jamais être comprise. Ni par ma famille, mes amis, mon copain, ni par le corps médical et mes employeurs.
L’impossibilité de prévoir quoi que ce soit pendant mes règles
Mes règles ont rythmé mes années scolaires et universitaires d’abord. À l’école, ces douleurs dans le bas-ventre m’empêchaient de me tenir droite, de suivre attentivement les cours et de rester debout trop longtemps. Les “petites douleurs” se sont transformées en de grosses crampes et je m’échappais du cours pour pouvoir rentrer chez moi. Très souvent, mes règles ont été un motif d’absentéisme au cours de mes études mais, à plusieurs reprises, il m’est arrivé d’inventer des excuses pour justifier mon absence.
Probablement par peur d’être jugée par mes camarades et mes professeurs. Je me souviens de l’un d’entre eux, qui m’avait traitée de “petite nature”. C’est très culpabilisant. Aujourd’hui, je suis en contrat d’apprentissage : ni mon employeur ni mes collègues ne sont au courant. Quand mes règles tombent en semaine, j’invente souvent des excuses ou je prends un jour de congé. C’est encore trop difficile d’avouer qu’on est trop fatiguée et incapable de tenir sur ses jambes pour venir au bureau, “juste” parce qu’on a ses règles.
L’obligation de m’asseoir cinq minutes est devenue en fait l’impossibilité de prévoir quoi que ce soit pendant ma période de règles : pas de sorties avec mes amis, de restos en famille, d’activités en tout genre… Mon endométriose a grignoté à petit feu mes relations sociales et ma vie d’adolescente. À l’heure où les ados profitaient de leurs moments de jeunesse, j’étais recroquevillée dans mon lit, les larmes aux yeux, une bouillotte sur le ventre. Quand je ne voulais pas sortir ou que je me plaignais de douleurs, mes propres “amis” ne me prenaient pas au sérieux. On me reprochait même de faire semblant pour cacher le fait que je ne voulais pas être avec eux.
Il arrive donc un moment où on se tait. On sourit jusqu’à faire semblant d’aller mieux.
Les relations amoureuses, j’ai du mal à en entendre parler
L’impact sur ma vie amoureuse et sexuelle est indéniable. Je me suis mis des barrières très vite. J’ai culpabilisé de ne pas pouvoir vivre pleinement mes moments d’intimité. Mon premier rapport a été douloureux. La fois d’après l’a été tout autant. Je pensais avoir un blocage psychologique ou une malformation génitale. J’ai même redouté de ne plus pouvoir être avec un homme à force de différer nos câlins, de ne plus avoir de copains parce que j’avais peur qu’il me juge ou qu’il ne comprenne pas.
La majorité n’en avait d’ailleurs jamais entendu parler. L’un d’eux m’a dit que j’étais juste “trop coincée”. Un autre ne m’a jamais réellement comprise, mais ne m’a jamais jugée pour autant. Au sein d’un de mes couples, la douleur et la maladie ont finalement pris toute l’attention. J’ai commencé à me sentir coupable, voire trop dépendante, comme un fardeau et mon copain s’est probablement senti comme un simple soignant. Il y a eu des moments où il avait surtout peur de me faire mal. Lors de mes crises, il ne savait pas comment réagir et me regardait d’un air désespéré. Ce regard, je ne veux plus le voir.
Je reste une jeune femme malgré tout. J’ai une libido et toujours du désir, mais les rapports sexuels sont devenus ma hantise : je sais que je peux avoir mal. Et les relations amoureuses, j’ai du mal à en entendre parler. Je ne veux pas faire vivre ça à un homme. Je n’arrive pas à me laisser tenter par quelqu’un, parce que j’aurais trop de difficultés à lui expliquer.
On a trop normalisé les douleurs liées aux règles
D’autant plus que cette maladie me prive d’une certaine liberté. Celle de choisir, de me projeter, de songer à un futur. Des enfants ? Oui, j’en voudrais. Je sais que cette pathologie cause des problèmes de fertilité, mais à 22 ans je ne veux pas trop y penser. Mettre des mots sur cette éventualité est encore trop difficile. Avant tout, le plus important, c’est apprendre à grandir avec mon endométriose.
Aujourd’hui, ça va mieux, car je peux mettre des mots sur mes maux. Le diagnostic m’aide à être plus bienveillante avec moi-même. Je culpabilise moins. Avant, j’étais tout le temps en colère et triste. Désormais, j’ai appris que le plus important, c’est de s’écouter, de ne pas rester dans son coin et souffrir sans rien dire. L’endométriose est un sujet déconsidéré dans le débat public, parce qu’on a trop normalisé les douleurs liées aux règles.
Résultat, c’est comme une maladie contagieuse : les gens s’éloignent de vous car ils ne vous comprennent pas. Ils pensent que vous exagérez, que vous jouez la comédie. Aussi parce qu’ils peuvent se sentir impuissants face à votre souffrance. Ça a été le cas concernant mes parents, en particulier ma maman qui s’est parfois sentie responsable de mon mal-être.
Il est donc primordial de communiquer avec son entourage, son copain, ses amis. D’oser dire les choses, afin d’entretenir des rapports plus sains. C’est ce que je suis parvenue à faire. Au fil du temps, j’ai changé mes relations et je m’en suis construit des nouvelles. Je me sens désormais chanceuse d’être entourée d’amis très bienveillants envers moi, qui ne m’ont jamais jugée.
Azel, 22 ans, étudiante, Lyon
Ce témoignage provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la zone d’expression prioritaire), un média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans, qui témoignent de leur quotidien comme de toute l’actualité qui les concerne.