Presque cinq ans après la vague #MeToo sur les réseaux sociaux, les violences sexistes et sexuelles restent majoritairement dénoncées via ces canaux, symptôme d’une prise en charge insuffisante de ces questions par les institutions. “J’ai essayé de porter plainte l’année dernière, on a refusé de la prendre”, déplore Marie (prénom modifié), 25 ans. “#MeToo a aidé à parler, mais derrière, il ne se passe rien”.
Sur les réseaux sociaux en revanche, “on peut atteindre tout le monde”, assure Anna Toumazoff, militante féministe. Pour elle, les victimes ont accès à “une forme de justice” en ligne. “Elles se sentent enfin entendues”, ajoute-t-elle, alors que de nombreuses victimes déploraient l’an dernier “la culpabilisation” ou les “moqueries” subies au commissariat, selon l’enquête “Prends ma plainte” réalisée par le collectif féministe #NousToutes.
“Les mesures prises ces cinq dernières années n’ont fait que colmater les brèches, mais la réalité n’a pas été regardée en face”, regrette Maëlle Noir, membre de #NousToutes. Elle critique des “mesures gadget de répression contre les agresseurs, alors que rien n’a été fait pour les victimes”.
Johanna Dagorn, sociologue à l’Université de Bordeaux, estime toutefois que la force de #MeToo est d’avoir pu “interpeller n’importe quel citoyen” via les réseaux sociaux. Mais la chercheuse décèle dans ses études un “terrible invariant” malgré #MeToo : 85 % des témoins de ces situations ne font toujours rien. “Durant le confinement, les voisins sont devenus des proches, ils ont plus souvent appelé les forces de sécurité” en cas de violences conjugales. Mais cela n’a pas duré. “Le problème, c’est qu’on banalise le sexisme, la violence”, regrette-t-elle.
Pour Mme Dagorn, il faut d’abord renforcer l’arsenal judiciaire, “en instaurant, comme en Espagne, des brigades spécialisées” pour améliorer l’accueil des victimes au commissariat, et “savoir les écouter”, alors que “5 à 8 %” des plaintes sont encore refusées en France.
La parole “verrouillée“
Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), a tout de même constaté “un mouvement de prise de conscience et d’indignation” dans la société depuis cinq ans, mais déplore “le sentiment d’impunité” des actes sexistes, ressenti selon elle par une grande partie de la population en raison de l’“inadaptation du système judiciaire”.
Selon elle, le Grenelle de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, organisé par le gouvernement l’an dernier, montre “des efforts, mais le changement est très lent. Des siècles de patriarcat et de sexisme ne se gomment pas en quelques années”. Et encore moins avec des “moyens insuffisants”, relève-t-elle.
Au bureau, le changement n’est pas plus visible : “Les victimes n’osent pas forcément parler par peur d’être mal vues, mises à l’écart, ou par crainte pour la progression de leur carrière”, regrette Sylvie Pierre-Brossolette. “Les violences sont exacerbées en entreprise”, abonde Maëlle Noir. “L’organisation hiérarchique et les mécanismes de pouvoir doublent les violences et verrouillent encore plus la parole.”
Le sexisme au travail
Balance ton porc, ta start-up, ton stage… Un florilège de comptes Instagram sectoriels de dénonciation des violences au bureau s’est développé et permet parfois de faire bouger les choses : le directeur de la création d’Havas Paris, visé par une série de témoignages anonymes publiés sur le compte “Balance ton Agency”, a notamment été mis à pied mardi.
Ces signalements sur les réseaux dont l’employeur a connaissance doivent entraîner, comme tout signalement, des enquêtes internes “confidentielles, impartiales et équitables pour établir la réalité des faits” et prendre des mesures, explique à l’AFP Pierre Chevillard, associé chez Melville Avocats.
“Un salarié qui dénonce des faits, s’il est de bonne foi, ne risque pas de sanction”, souligne l’avocat en droit du travail. “Le cadre légal, extrêmement large, prévoit de nombreuses règles” et obligations à l’égard de l’employeur afin de protéger la santé physique et mentale de ses salariés.
Alors, pour Me Pierre Chevillard, “une nouvelle intervention du législateur n’apparaît pas nécessaire”. Il faut plutôt mettre en œuvre des dispositifs internes, communiquer et sensibiliser, au bureau mais aussi en-dehors, autour de ces violences, pour y mettre fin.
Le HCE propose toutefois de “conditionner un soutien financier aux entreprises qui touchent de l’argent public à une contrepartie sur l’égalité femmes-hommes”, explique Mme Pierre-Brossolette.
Pour Konbini, Lina et Marie témoignent de la difficulté de porter plainte pour viol, un véritable parcours de combattantes.
Konbini news avec AFP.