Quoi ? Pour une poignée de dollars, The Big Apple aurait pu prendre un accent belge ? Oui, oui, on vous explique. Dès la fin du XVe siècle, les États-Unis d’Amérique, terre de colonisations successives, ont vu débarquer sur leurs rives un bon nombre d’explorateurs venus des quatre coins de l’Europe. Le but ? Se partager les précieux butins exotiques du Nouveau Monde au grand dam des autochtones. Du sang coule, des cultures sont importées et exportées, tout ça pour créer un nouveau continent avec son lot de villes nouvelles. Sans chercher à innover, les colons de l’époque érigent des campements aux toponymes plus ou moins originaux en ajoutant la mention “New” au côté de leur lieu d’origine. New Hampshire, New Orleans, New Jersey ou encore, la plus connue, New York en sont des exemples frappants. Réelles marques identitaires, ces villes aujourd’hui mondialement connues ne se sont pas toujours appelées ainsi.
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L’histoire coloniale des nouvelles provinces est complexe, longue et souvent surprenante. Néanmoins, l’une d’entre elles a particulièrement retenu notre attention : celle de New York. La ville qui ne dort jamais aurait effectivement pu s’appeler Nouvelle-Tournai, un nom qui aurait pu populariser davantage la Belgique malgré l’obscurantisme géographique de certains.
Position stratégique, faiblement peuplée, encore plus ou moins vierge de toute présence étrangère, ce qui aujourd’hui représente la baie de New York attire alors les convoitises de tous les royaumes du Vieux Continent. Les premier·ère·s occupant·e·s européen·ne·s de cette terre sont les Français·es, en 1523. François Ier y envoie un navigateur florentin, Giovanni da Verrazano, pour mener l’exploration. Le 17 avril de la même année, l’explorateur jette l’ancre dans cette baie stratégique et baptise cette colonie “Nouvelle-Angoulême” en honneur de son roi, ex-duc d’Angoulême. Pas très sexy.
À l’embouchure de la rivière principale se déversant dans la baie existe la principale trace que ces autochtones ont laissée dans le New York moderne, soit le nom de Manhattan, directement issu du nom de Mannahatta, que l’on peut traduire par “Île vallonnée” ou encore “La petite île”. Un des rares hommages non occidentalisés.
La période est ensuite marquée par un contexte politique difficile en Europe, les défaites militaires contre l’ennemi espagnol relèguent au second rang l’exploration du Nouveau Monde pour la couronne française et les colonies sont abandonnées.
En 1609, la Compagnie néerlandaise des Indes orientales profite de l’abandon français pour engager l’explorateur anglais Henry Hudson afin de découvrir à son tour la nouvelle route maritime vers les Indes. Ce dernier arrive dans la baie et remonte le fleuve qui porte aujourd’hui son nom. Quelques années plus tard, en 1624, les premiers navires de peuplement arrivent à Manhattan au début du mois de mai avec à leur bord des familles protestantes, principalement wallonnes.
La région devient officiellement néerlandaise sous la direction de Pierre Minuit, gouverneur de la colonie “sigillum Novi Belgii”, la Nouvelle-Belgique. Le nouveau gouverneur est originaire d’une famille de Tournai et réalise, trois semaines après son arrivée, l’un des plus grands coups de négociation de l’histoire coloniale. Désireux d’élargir ses terres, comme tout bon colon, soucieux de la menace grandissante d’une attaque provenant des autres puissances coloniales mêlée à la soif de revanche des Amérindiens, il convoite l’île de Manhattan située en face de son campement pour y développer une colonie de peuplement et regrouper les activités des comptoirs commerciaux.
Minuit négocie l’achat de l’île aux Indiens Lenapes pour 60 florins de marchandises. 60 florins de marchandises, sans pousser le calcul de l’inflation trop loin, correspond à 24 dollars américains du XXIe siècle. Il aurait offert aux autochtones des tissus, des haches, des ustensiles de cuisine, la valeur totale correspondant à une semaine de salaire de gouverneur. Contre une île entière, c’est une très belle affaire. Pierre Minuit y fait ensuite construire un bastion avec, en son cœur, des fermes et une route centrale, Breedweg, future Broadway.
La tentation d’appeler cette ville naissante Nouvelle-Tournai est toutefois rapidement anéantie par l’influence majeure de la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales. L’idée n’a même pas le temps de germer que l’on baptise ces lieux Nouvelle-Amsterdam. Une triste nouvelle pour la potentielle renommée mondiale de la ville de Tournai.
Suite à cet épisode, de nombreuses guerres et de nombreux accords changent le nom de la colonie au fil de ses modifications successives. Rebaptisée Nieuw Oranje, elle adopte définitivement son nom de New York en 1674 lors de la cession des lieux aux Anglais avec le traité de Breda.
Que reste-t-il aujourd’hui de ce personnage dans l’histoire contée ? Une longue querelle autour de son passé. Les origines de Pierre Minuit et son parcours ont brouillé les pistes et favorisé des tentatives de récupération osées. Aux Pays-Bas, on revendique la nationalité batave de “Pieter Minnewit”, en Suède, son appartenance à l’histoire scandinave, en Allemagne, une statue lui a été élevée à Wesel, sa supposée ville natale. Les Français, eux, ont assuré qu’iels avaient retrouvé des traces de sa naissance à Valenciennes. En Belgique, on était persuadés que Minuit était né à Ohain, en Brabant wallon, où un quartier a été baptisé Manhattan. Une origine à jamais polémique qui a su forger sa légende auprès des historiens.
Du côté des États-Unis, en mai 1924, le gouverneur de New York, Alfred E. Smith, fête le tricentenaire de l’arrivée des premiers colons wallons et érige, en présence du roi des Belges Albert Ier, un monument commémoratif en l’honneur des premier·ère·s habitant·e·s de cette baie. Le sénateur William L. Love, chargé d’organiser la commémoration, déclare au sujet de celle-ci qu’elle constitue “un événement d’une grande signification pour le peuple entier des États-Unis”. La place où est situé le monument commémoratif, vers Battery Park à Manhattan, porte le nom de Pierre Minuit.
Hormis la représentation du gouverneur Minuit, l’histoire belge dans la construction des États-Unis d’Amérique a su être mise en valeur au niveau national. Le rôle des Wallons dans la création de la ville de New York sera souligné par le président Roosevelt, lui-même d’origine wallonne, par cette phrase : “On peut dire que la cité de New York fut fondée quand quelques familles de protestants wallons furent envoyées sur les bords de l’Hudson dans le bateau ‘Nieuw Nederland’ en 1624.”
Un beau clap de fin pour Pierre Minuit qui peut être fier, malgré la non-dénomination de la ville en Nouvelle-Tournai, d’avoir marqué d’une pierre wallonne l’histoire de l’Amérique.