Des tirs israéliens sur une foule affamée et une vaste bousculade pendant une distribution d’aide jeudi dans le nord de Gaza ont fait plus de 110 morts selon le Hamas, soulevant au sein de la communauté internationale indignation et appels à établir les responsabilités. Tout en reconnaissant des “tirs limités” de soldats israéliens se sentant “menacés”, un responsable de l’armée a fait état “d’une bousculade durant laquelle des dizaines d’habitants ont été tués et blessés, certains renversés par les camions d’aide”.
À voir aussi sur Konbini
Ce drame, a reconnu le président américain Joe Biden, va compliquer les pourparlers en cours pour instaurer une trêve dans le territoire palestinien ravagé par près de cinq mois de conflit et menacé par la famine. Il est survenu le jour où le Hamas a annoncé que plus de 30 000 personnes y ont été tuées depuis le début de la guerre.
Ce conflit a transformé le territoire en “zone de mort” selon l’ONU et est déjà, de très loin, le plus meurtrier des cinq qui ont opposé Israël au Hamas depuis que le mouvement islamiste a pris le pouvoir à Gaza en 2007.
“Choqué” par les événements de jeudi qu’il a “condamnés”, le chef des Nations unies António Guterres a plaidé pour “une enquête indépendante efficace” pour identifier les responsabilités. Le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni en urgence le même jour et à huis clos pour en discuter.
Vendredi, Emmanuel Macron a exprimé sa “plus ferme réprobation” envers ces tirs contre des civils “pris pour cible par des soldats israéliens”, le président français demandant “vérité” et “justice”. Les États-Unis ont aussi exigé d’Israël “des réponses”, Joe Biden disant que son pays examinerait les “versions contradictoires” du drame.
Un “carnage”
Un médecin de l’hôpital al-Chifa a affirmé que des soldats israéliens avaient tiré sur “des milliers de citoyens” qui se précipitaient vers les camions d’aide à Gaza-ville, le ministère de la Santé du Hamas annonçant 112 morts et 760 blessés dans ce “carnage”.
Selon un témoin ayant requis l’anonymat, “des camions d’aide se sont approchés trop près de certains chars de l’armée qui se trouvaient dans la zone et la foule, des milliers de personnes, a pris d’assaut les camions”. Les soldats ont alors “tiré sur la foule car les gens s’approchaient trop près des chars”. “Aucune frappe de l’armée israélienne n’a été menée en direction du convoi humanitaire”, a insisté un porte-parole de l’armée, Daniel Hagari.
Établie en Cisjordanie occupée, l’Autorité palestinienne a “condamné un massacre odieux commis par les forces d’occupation”. “Horrifié”, le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a dénoncé un “nouveau carnage” et des morts “totalement inacceptables”. Plusieurs pays arabes du Golfe ont exprimé leur condamnation, comme le Qatar qui a fustigé “le massacre odieux commis par l’occupation israélienne contre des civils sans défense”. La Turquie a, elle, dénoncé “un crime contre l’humanité”.
Le jour même, le ministère de la Santé du Hamas a annoncé un nouveau bilan de 30 035 morts et 70 457 blessés, la plupart des civils, dans le territoire palestinien depuis le 7 octobre.
La guerre a été déclenchée ce jour-là par une attaque lancée par des commandos du Hamas infiltrés depuis la bande de Gaza voisine dans le sud d’Israël, qui a causé la mort d’au moins 1 160 personnes, en majorité des civils, selon un décompte de l’AFP réalisé à partir de données officielles israéliennes.
Durant l’attaque, quelque 250 personnes ont été enlevées et emmenées à Gaza. Selon Israël, 130 otages y sont encore retenus, dont 31 seraient morts, après la libération de 105 otages en échange de 240 Palestiniens incarcérés par Israël lors d’une trêve fin novembre. En représailles, Israël a juré d’anéantir le Hamas considéré comme terroriste par les États-Unis et l’Union européenne.
Selon le ministère de la Santé du Hamas, de nouvelles frappes israéliennes à Gaza ont fait 83 morts dans la nuit de jeudi à vendredi.
Obstacle pour une trêve
Joe Biden s’est dit conscient que le drame de jeudi compliquerait les négociations en vue d’une nouvelle trêve avant le début du ramadan, mois de jeûne sacré pour les musulmans qui commence autour du 10 ou 11 mars. Il n’y aura “probablement” pas d’accord d’ici lundi, a-t-il affirmé, alors qu’il espérait auparavant un cessez-le-feu d’ici au 4 mars.
Depuis des semaines, les médiateurs internationaux (Qatar, États-Unis, Égypte) tentent d’arracher un accord prévoyant une trêve de six semaines associée à la libération d’otages et de prisonniers palestiniens détenus par Israël, ainsi que l’entrée à Gaza d’une importante quantité d’aide humanitaire.
Selon l’ONU, 2,2 millions de personnes, soit l’immense majorité de la population, sont menacées de famine dans la bande de Gaza, en particulier dans le Nord, où des Palestiniens ont raconté manger du fourrage ou abattre des animaux de trait pour se nourrir. L’armée israélienne pilonne sans répit ce territoire exigu et a lancé le 27 octobre une offensive terrestre, ses soldats avançant progressivement du nord au sud.
“Juste partir”
La guerre a aussi entraîné une flambée de violences en Cisjordanie, territoire palestinien occupé par Israël depuis 1967. L’armée israélienne y a ouvert le feu contre trois frères jeudi près d’Hébron (sud), en touchant deux mortellement, a rapporté l’agence palestinienne Wafa. Deux Israéliens ont aussi été tués par balles dans une attaque près d’une colonie, attribuée par l’armée à “un terroriste” qui a été abattu.
À Gaza, les civils sont quotidiennement pris dans les combats et les bombardements israéliens qui ont dévasté des quartiers entiers et forcé 1,7 million de personnes à fuir leurs foyers. Selon l’ONU, près de 1,5 million de déplacés ont gagné Rafah, une ville de quelque 270 000 habitants avant la guerre, et la population est désormais massée sans échappatoire dans cette ville collée contre la frontière fermée avec l’Égypte.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu se dit cependant déterminé à y lancer une offensive terrestre pour, selon lui, vaincre le Hamas dans son “dernier bastion”. “Nous aspirons à un cessez-le-feu, permettant aux personnes de rentrer chez elles, même si cela signifie dormir au milieu des ruines”, a confié à l’AFP Youssef Kafafni, un Palestinien déplacé. “Nous voulons juste partir.”