Mais qui sont les twinks, et pourquoi semblent-ils régner sur la culture pop et le monde gay ?

Le monde est twink

Mais qui sont les twinks, et pourquoi semblent-ils régner sur la culture pop et le monde gay ?

Image :

© Marina Monacó

photo de profil

Par Flavio Sillitti

Publié le

De Troye Sivan à Timothée Chalamet, comment les nouveaux corps à la mode racontent notre époque ? Sept twinks nous partagent leur vie de twinks.

Ils sont maigres, ils n’ont pas de poil, ils sont partout, et tout le monde veut les pécho. Longtemps relégués au rang de mecs sous-alimentés peu attrayants, les twinks sont aujourd’hui au sommet de la pyramide de la désidérabilité, du moins dans le monde gay, et bouleversent les standards et les diktats de beauté de notre époque — pour le meilleur et pour le pire.

À voir aussi sur Konbini

Dérivé d’un roman britannique du début du vingtième siècle pour certain·e·s et d’une friandise américaine spongieuse pour d’autres, aujourd’hui incarné par des superstars comme Timothée Chalamet et surtout Troye Sivan, le mot twink sert à la fois de talisman et de malédiction, et on a demandé à sept concernés de nous en dire plus sur cette qualification physique qui leur colle à la peau — et aux os. Bienvenue dans cette grande leçon sur le twink.

Une brève histoire du twink : de friandise crémeuse à canon de beauté

“Pour moi, un twink, c’est d’abord une étiquette qu’on te colle pour pouvoir te caser plus facilement dans ces cases que les gays adorent” nous indique Sébastien, twink autoproclamé. Qu’en dit le dictionnaire ? “Twink (nom commun, argot gay) : jeune homme gay ou bisexuel, de corpulence mince et d’apparence jeune”, nous apprend l’Oxford Dictionary. Sur la page Wikipédia liée au mot, c’est une photo de Troye Sivan, chanteur pop australien, qui illustre le terme, et vous donne une bonne idée de ce à quoi ressemble un twink en 2024, mais d’où il vient, ce mot ?

S’il semble intégrer le champ lexical anglophone dès les années 1950, son étymologie divise. La réponse facile serait de le relier au verbe “to twinkle”, qui signifie “briller et scintiller”, et qui pourrait se lier à la dimension juvénile et immaculée des twinks. Cependant, d’autres théories existent, et deux d’entre elles nous plaisent particulièrement — donc elles sont vraies. Le terme viendrait soit d’un roman britannique du début du vingtième siècle, soit d’une friandise américaine créée en 1930.

En effet, le roman Twinkletoes : A Tale of Limehouse de Thomas Burke, publié en 1918, nous introduit au personnage de Twinkletoes, une jeune fille chinoise aux traits de chérubin, pétillante et avec un don pour la danse, qui se voit par la suite surnommée twink. Pour beaucoup, “the original twink“, c’est donc elle. Ailleurs, on s’en remet à la théorie du Twinkie, ce fameux snack américain commercialisé en 1930 par la firme Hostess, et qui consiste en une génoise spongieuse fourrée à la crème : beaucoup de goût, aucune valeur nutritionnelle, mais surtout remplie de crème — on ne vous fait pas de dessin.

Le twink et le sexe

L’exemple de la friandise Twinkie, qui relève plutôt de l’anecdote rigolote que de la véritable étymologie, soulève tout de même un élément important : la sexualisation systématique des twinks. De plus, en les comparant à des gâteaux remplis de crème, on souligne la tendance à faire des twinks des hommes sexuellement passifs, à savoir récepteurs de la pénétration durant l’acte sexuel. Selon Thomas, 24 ans, c’est problématique.

“Cette association constitue une schématisation réductrice et une simplification erronée, car elle tend à lier un physique particulier à un rôle spécifique dans la relation sexuelle, ce qui, par extension, influence également le rôle au sein de la relation de couple. Cela revient à réduire les relations d’un couple à un modèle hétérosexuel où le twink, au physique androgyne voire féminin, incarnerait le rôle de la femme, tandis que le partenaire, plus viril, se positionnerait en tant qu’homme protecteur.”

Cependant, “le paradoxe avec ce que j’énonce plus tôt comme problématique” nuance Thomas, “c’est que je trouve personnellement un certain confort dans ce schéma extrêmement simplifié des relations de couple, tant sur le plan quotidien que sexuel”. Ainsi, la création du twink permet de simplifier pas mal de choses, que ce soit dans la tête des hommes homosexuels, ou même sur les sites de films pour adultes, où les catégories incluant le mot twink n’ont cessé de gagner en popularité au fil des années, séparant les hommes imberbes et maigres des hommes poilus, ronds, musclés, etc.

Grindr, application de rencontres gays créée en 2009, est une pierre angulaire de cette tendance de division sur base de caractéristiques physiques, avec notamment l’instauration en 2013 des “Grindr Tribes”, rattachant chaque utilisateur à une étiquette corporelle ou sociale bien définie : Ours, Geek, Discret, Cuir, Loutre, Trans ou, évidemment, Twink. Sur son blog, la firme états-unienne justifie ce maintien des étiquettes physiques, alors que de nombreuses voix se sont élevées au fil des années, dénonçant leur superficialité :

“Bien sûr, les stéréotypes peuvent être néfastes, mais ils sont également essentiels à la façon dont nous interagissons avec les autres. En ce qui concerne les types d’hommes gays, certaines catégories sont basées sur le sexe et la sexualité, tandis que d’autres sont simplement d’adorables façons de faire savoir à quelqu’un que vous êtes un peu poilu.”

Le twink en pop culture : Timothée, Troye et Léo

Le terme fait son apparition dans les fictions queers comme But I’m a Cheerleader en 1999, ou la série britannique Queer as Folk en 2000, preuve de son adoption dans les cercles gays et l’imaginaire collectif queer de la fin des années 1990. Isaac, l’un des twinks sondés pour cet article, a à cœur de citer Lil Nas X comme membre honoraire des icônes twinks, alors que Sacha défend que le twink est, par définition, un homme “blanc, imberbe et mince”. Les définitions divergent, mais quelques éléments persistent : pas de poil, pas de graisse.

Le mot twink, que l’usage actuel semble limiter à la communauté gay, peut également définir des hommes hétérosexuels. “C’est un terme souvent utilisé pour les hommes gays mais ça s’applique à tous, genre Timothée Chalamet, c’est un twink nous indique Akim, twink de 24 ans. D’autres twinks ont aussi marqué la pop culture, à l’instar de Leonardo DiCaprio dans Roméo + Juliette, les Backstreet Boys à leurs débuts, et même Link dans Zelda et Sacha dans Pokemon. On vous l’a dit, ils sont partout.

Sans exception, les sept twinks sondés m’ont évidemment parlé de Troye Sivan qui, rappelons-le, illustre la page Wikipédia du terme twink. S’il est en activité depuis 2006, ce n’est que récemment que le chanteur australien a fait parler de lui dans les sphères les plus mainstream, justement pour son rôle de porte-drapeau gay et twink, deux traits de sa personne qu’il a décidé de célébrer sur son dernier album Something To Give Each Other et la tournée qui l’accompagne.

“J’ai été voir son concert à Amsterdam dernièrement”, raconte Sébastien, “et je dois dire que voir un mec me ressembler, pouvoir être aussi sexy et assumer son corps, ça a été un vrai kiff, c’était même jubilatoire de le voir aussi libéré et fier. J’en ai eu les larmes aux yeux !” C’est que ces nouveaux modèles et nouvelles icônes ont donné de l’espoir à ces hommes maigrichons négligés depuis toujours, pour faire d’eux les nouveaux sex-symbols de notre époque. Que ce soit sur Grindr ou les tapis rouges de cinéma, le constat est le même : les twinks sont en pleine domination.

Le culte du twink : jeunesse éternelle et grossophobie

Impossible cependant de parler de ce nouveau règne sans aborder les maux qu’il engendre. Véritable reflet de notre époque, le culte du twink révèle deux choses : le monde est obsédé par la jeunesse, et surtout il déteste les gros. Deux constats que les défilés de la Fashion Week nous martèlent déjà chaque année, mais que le twink incarne plus explicitement encore.

“Je pense que le twink est tout de même une catégorie de la communauté gay qui est privilégiée par rapport à d’autres” avoue Louis, 23 ans, dans un discours qui se rapproche des aveux des sept twinks interrogés, bien conscients de leur privilège, et de leur place sur l’échiquier de la désidérabilité. “J’éprouve le sentiment d’appartenir à une catégorie de personnes désirées”, confirme Thomas.

L’obsession pour la jeunesse éternelle, d’abord, justifierait cette fascination pour les twinks, perçus comme des petites choses brillantes, lisses et immaculées, qui feraient regagner une part de jouvence à quiconque pourra les consommer. “Je pense qu’on incarne une certaine fraîcheur, et beaucoup d’hommes ont ce fantasme de nous faire découvrir de nouvelles choses” partage Yannick, 27 ans. “On pense souvent (à tort) que le twink est inexpérimenté et très ouvert car il découvre sa sexualité.” Cette notion de juvénilité est notamment exploitée dans l’univers pornographique, qui influence à son tour la vraie vie.

Ensuite, alors qu’il pourrait en être l’un de ses maillons, le boom autour du corps twink semble s’ériger comme l’antithèse du mouvement body-positiviste, en imposant un modèle de corps standardisé valorisé par rapport à d’autres. Le clip du morceau “Rush” de Troye Sivan a d’ailleurs généré le débat au moment de sa sortie en 2023, pour son manque de représentativité des corps. “Dans la communauté queer et particulièrement chez les hommes gays”, explique Isaac, “il y a toujours ce problème de grossophobie. On te demande d’être mince, musclé et en plus d’être jeune et mignon. Le twink typique remplit au moins deux de ces critères.”

Être un twink en 2024, c’est comment ?

“Aujourd’hui, j’en suis fier !” nous confie Sébastien, 25 ans. “C’est devenu une sorte de revendication, qui va un peu à l’encontre de l’image populaire de ce que doit être le corps d’un homme, ces images de corps muscleux et pompés à la salle qu’on voit dans les magazines et sur les réseaux.” Pourtant, ce corps n’a pas toujours été facile à porter pour ces jeunes hommes, vestige d’un traumatisme pour beaucoup. “Lorsqu’on dit de moi que je suis un twink, je ne le prends pas mal mais j’ai toujours cette petite voix dans ma tête qui y voit un aspect négatif. Peut-être que j’ai trop longtemps essayé de cacher cet aspect de jeune garçon efféminé pour ne pas m’attirer de problème ?” nous confie Louis.

“Plus jeune et plus maigre, on m’a souvent dit que je ressemblais à une crevette” balance Yannick, tandis qu’Isaac nous confie qu’il a longtemps pensé ne pas être désirable : “Plus jeune, je ne pensais pas pouvoir attirer avec ce corps. J’ai vite compris que j’étais dans l’erreur après quelque temps passé sur Grindr et en soirées queer : ça devient très évident que beaucoup d’hommes adorent ça.”

En revanche, dans la vie, on le sait, rien n’est éternel. “Un twink de 30 ans perd selon moi de son intérêt sexuel s’il est toujours célibataire” regrette Yannick. C’est ce qu’on appelle la twink death, ou “le moment où un twink cesse d’être twink nous explique Isaac. “Ça peut arriver pour plusieurs raisons, par exemple l’âge ou une forme de masculinisation par la prise de masse.”

Heureusement, il existerait une vie après la twink death, à condition de changer de corps, pour devenir un twunk — contraction des mots twink et hunk, qualifiant un homme viril conforme aux modèles de masculinité. “Elle me faisait peur il y a un temps” nous partage Isaac, “mais ça n’est plus le cas depuis que je me suis mis à la salle et que j’observe des résultats. Je pense que si je continue comme ça, j’ai de sérieuses chances de “survivre” à ma twink death, à savoir rester attirant, car je deviendrai un twunk, et un jour peut-être deviendrai-je même un hunk ?” Amen.