Journaliste et réalisateur, Loup Bureau est habitué des terrains de conflits. En 2020, il a passé quatre mois dans le Donbass, au sein des tranchées ukrainiennes. Le film-documentaire Tranchées est le fruit de cette immersion.
La première fois que le journaliste est allé en Ukraine, c’était en 2013, premières heures de la révolution de Maïdan au cœur de Kyiv. Cet événement sera suivi de l’invasion des régions du Donbass et de la Crimée par les troupes russes. Si l’annexion de la Crimée fut relayée dans la presse, l’enlisement du conflit dans le Donbass a vu s’essouffler la couverture médiatique : Loup Bureau voulait restituer la réalité d’un terrain de conflit vieux de huit ans.
En 2013, Loup Bureau rencontre un jeune ingénieur sur la place Maïdan, qui s’engage quelques mois plus tard dans l’armée, lorsque la guerre éclate : “C’est grâce à lui que j’ai pu avoir accès au front en 2017 : je voulais pouvoir filmer sans avoir de contrôle extérieur, un attaché de presse derrière moi, quelqu’un qui régule ce que je suis en train de filmer.” Loup Bureau est alors mis en lien avec un commandant local, qui lui donne un accès à l’intégralité du bataillon.
Le journaliste rejoint le 30e bataillon de l’armée ukrainienne, composé d’une vingtaine d’hommes et d’une femme. “La particularité de mon immersion avec ce 30e bataillon de l’armée ukrainienne, c’est que je vivais avec eux : j’étais complètement intégré à ce bataillon, je dormais dans les tranchées, j’avais un lit dans le bunker.” Il ne parle ni ukrainien, ni russe. Son fixeur traduit les questions et réponses. “En fait, le fait de ne pas connaître la langue a été un énorme avantage : les soldats, à partir d’un moment, discutaient entre eux et savaient pertinemment que je ne comprenais pas. Ils se libéraient, parlaient normalement.”
Le bataillon de la 30e brigade regroupe 1 000 hommes, répartis sur une ligne de front qui s’étend sur une dizaine de kilomètres. Beaucoup de jeunes combattent : “L’armée ukrainienne a fait en sorte d’augmenter les salaires pour consolider leur armée. Un jeune militaire sur le front gagne 900 euros par mois, alors que le salaire moyen ukrainien se situe entre 200 et 300 euros.”
Dans les tranchées, les soldats passent la majeure partie de leur temps à attendre : attendre le début des combats, attendre la construction d’une nouvelle fortification… Ces fortifications tout droit sorties de la Première Guerre mondiale fascinent Loup Bureau : “Ça m’avait choqué, la première fois que je suis allé sur le front en 2017 : j’ai vu que tout était en train de se transformer en guerre de position, les Ukrainiens creusaient des tranchées. C’est la Première Guerre mondiale, transposée en Ukraine.”
Munis de pioches, les soldats creusent sans cesse, reconstruisent au gré des bombardements : “C’est très rudimentaire, ils creusent une première ligne, souvent en zigzag pour que l’ennemi, s’il pénètre la tranchée, ne puisse pas tirer en enfilade.”
Loup Bureau maintient le contact avec ces soldats dont il a partagé le quotidien. “Émotionnellement, c’est toujours assez dur de voir que les gens que j’ai suivis sont obligés de vivre ça : on est vraiment dans une survie extrême, les combats sont continus, violents.”
Depuis les tournages, certains soldats sont revenus à la vie civile, sans jamais s’y habituer. Deux de ces soldats ont mis fin à leurs jours. D’autres, restés au front, sont décédés dans les combats, qui ne cessent de s’intensifier depuis ce mois de mai 2022. Jusqu’alors, ces soldats ukrainiens n’avaient pas perdu un mètre de territoire et étaient restés positionnés dans les mêmes tranchées depuis 2014.
Tranchées est en salles depuis le 11 mai 2022.