L’horreur vécue par les migrants d’Afrique subsaharienne à la frontière entre la Tunisie et la Libye

L’horreur vécue par les migrants d’Afrique subsaharienne à la frontière entre la Tunisie et la Libye

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© Mahmud Turkia/AFP

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Par Konbini avec AFP

Publié le , modifié le

Tous les jours, des images nous alertent sur le sort tragique des migrant·e·s abandonné·e·s dans le désert tuniso-libyen.

En 2015, la photo du petit Aylan Kurdi, un enfant syrien âgé de 5 ans échoué sur une plage turque, bouleversait le monde. En ce mois de juillet, une image éveille les consciences sur l’horreur vécue par les migrant·e·s d’Afrique subsaharienne à la frontière tuniso-libyenne : on y voit les corps inertes de Fati Dosso et sa fille Marie, âgée de 6 ans, dans le désert. Cette mère et sa fille seraient “mortes de soif après avoir été abandonnées” par les autorités locales, relate Mediapart.

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Marchant jusqu’à l’épuisement, des migrant·e·s d’Afrique subsaharienne arrivent quotidiennement par centaines en Libye, après avoir été abandonné·e·s à la frontière, en plein désert, par les forces de sécurité tunisiennes, selon leurs témoignages et ceux de garde-frontières libyens recueillis par l’AFP. Une centaine de migrant·e·s du continent africain, retrouvé·e·s dans une zone aride du Sebkhat al-Magta, un lac salé, le long de la frontière tuniso-libyenne, ont été secouru·e·s dimanche par des gardes libyens.

Il est midi, l’heure où la chaleur est insoutenable par plus de 40 degrés Celsius, une patrouille retrouve un homme évanoui et tente de le ranimer en versant quelques gouttes d’eau sur ses lèvres. Il respire à peine. Au loin, dans la brume de chaleur, on distingue six silhouettes noires. Quelques minutes plus tard, ces rescapés expliquent en arabe qu’ils viennent de Tunisie.

Depuis environ deux semaines, les garde-frontières libyens disent avoir secouru des centaines de migrant·e·s, déposé·e·s, selon eux, par les autorités tunisiennes à la frontière, à la hauteur de la localité d’Al’Assah, à 150 kilomètres au sud-ouest de Tripoli. À la suite d’affrontements entre migrant·e·s et habitant·e·s ayant coûté la vie à un Tunisien le 3 juillet, des centaines de migrant·e·s ont été chassé·e·s de Sfax, principal point de départ en Tunisie pour l’émigration clandestine vers l’Europe.

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Selon l’ONG Human Rights Watch, au moins “1 200 ressortissants subsahariens” ont alors été “expulsés” par les forces de sécurité tunisiennes aux frontières avec la Libye à l’est, et l’Algérie à l’ouest. Le Croissant rouge tunisien en a par la suite mis à l’abri plus de 600 à Ras Jedir, zone tampon séparant Tunisie et Libye, et environ 200 du côté algérien.

Mais près d’Al’Assah, à 40 kilomètres au sud de Ras Jedir, les migrant·e·s continuent d’arriver par dizaines. Épuisés par la chaleur et la soif, leurs corps s’écroulent aux pieds des gardes. Ces derniers temps, les garde-frontières libyens, la direction de la lutte contre l’immigration saharienne et les militaires du Bataillon 19 effectuent des patrouilles quotidiennes.

Une migrante est approvisionnée en eau à son arrivée dans une zone inhabitée près d’Al-Assah à la frontière libyo-tunisienne, le 30 juillet 2023.(© Mahmud Turkia/AFP)

“Nous sommes à la ligne de démarcation entre Libye et Tunisie et voyons arriver de plus en plus de migrants chaque jour”, déplore Ali Wali, porte-parole du Bataillon 19. Il explique avoir autorisé l’AFP à les accompagner en patrouille “pour faire taire ceux [en Tunisie] qui prétendent que nous avons fabriqué tout cela et amené les migrants ici”, à la frontière.

Dans leur rayon d’action de 15 kilomètres autour d’Al’Assah, ils récupèrent “selon les jours 150, 200, 350, parfois jusqu’à 400, 500 clandestins”, dit-il. Aujourd’hui, ils sont 110, dont deux femmes. Deux autres signalées par un migrant n’ont pas été retrouvées. Un militaire scrute l’horizon avec ses jumelles. Les survivant·e·s ont franchi la frontière sans le savoir, marchant dans la direction indiquée par les policiers tunisiens : la Libye.

Deux jours de marche

Haytham Yahiya est Soudanais. Il travaillait depuis un an dans le bâtiment en Tunisie, où il était arrivé en passant clandestinement par le Niger puis l’Algérie. “J’étais au travail quand ils m’ont attrapé et amené ici, d’abord dans une voiture de police, puis dans un camion militaire [des forces de sécurité tunisiennes] puis ils m’ont abandonné en me disant d’aller en Libye”, dit-il.

Sous un soleil de plomb, sans eau ni nourriture, certain·e·s ont “marché deux jours”. C’est le cas d’Alexander Unche Okolo, entré “en Tunisie en traversant l’Algérie”. Il a “passé un peu de temps à Tunis” avant d’être “arrêté dans la rue” récemment puis “emmené au désert du Sahara”, explique ce Nigérian de 41 ans. Ému, il montre l’écran de son téléphone : “Ils me l’ont cassé et m’ont frappé”, accuse-t-il.

Selon M. Wali, “deux corps ont été trouvés, et deux jours avant, cinq dont une femme avec son bébé, en plus de cinq autres corps retrouvés il y a une semaine”. “Comment voulez-vous qu’ils survivent à ça ? La chaleur, sans eau et une marche de deux, trois jours”, dit le porte-parole.

Au moins 17 morts

Selon des organisations humanitaires en Libye contactées par l’AFP, le bilan est d’au moins 17 morts ces trois dernières semaines. À Ras Jedir, on compte encore 350 migrant·e·s dans un campement de fortune, dont 65 enfants et 12 femmes enceintes : “Leurs conditions de vie sont très problématiques”, indique à l’AFP un responsable humanitaire en Libye.

Selon lui, environ 180 autres migrant·e·s, dont 20 enfants, sont provisoirement hébergé·e·s à Al’Assah. À Ras Jedir, on leur prodigue des soins médicaux et de la nourriture depuis une dizaine de jours. Leur situation s’améliore “mais ce n’est pas soutenable dans la durée, il n’y a pas de sanitaires ni de réservoirs d’eau ni de véritables abris”, souligne la source humanitaire.

Le gouvernement de Tripoli a fait savoir ces derniers jours qu’il refusait une “réinstallation” sur son territoire des migrant·e·s arrivant de Tunisie. La Libye a été épinglée par plusieurs rapports de l’ONU dénonçant des violences à l’encontre des 600 000 migrant·e·s qu’elle détient, pour la plupart dans des camps.