Chaque semaine ou presque, les réseaux s’agitent autour d’une nouvelle femme à détester : menaces de mort ou de viol, insultes sexistes, allusions sexuelles… Il semblerait que, du côté des haters, on ait affaire à des jeunes pour la plupart, pour ne pas dire à peine pubères. Récemment, nous avons publié un article expliquant comment une fake news sur le divorce d’Achraf Hakimi avait enflammé les masculinistes d’Internet : à la suite de ce papier, ce sont les masculinistes qui se sont acharnés sur Konbini… La boucle est bouclée. Autre exemple : suite à la vidéo “Tribunal des Bannis” de Squeezie, une jeune femme du nom d’Audrey a été la victime d’un cyberharcèlement sexiste, lesbophobe et grossophobe massif. Son crime ? Avoir exprimé son avis.
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Ces deux exemples ne représentent qu’une goutte d’eau dans l’océan des cyberviolences que peuvent vivre les femmes et les minorités en ligne. Il suffit d’observer les statistiques : selon une enquête de Plan International publiée en 2020, près de 60 % des femmes âgées entre 15 et 25 ans ont été victimes de cyberharcèlement et 39 % d’entre elles ont déjà été menacées de violences sexuelles en ligne. Quant aux personnes LGBTQIA+, SOS Homophobie pointait dans son rapport 2022 que près de 20 % des témoignages de violences anti-LGBTQIA+ concernaient des cas de haine en ligne. Si les discriminations ne sont pas nées avec Internet, on peut néanmoins constater que les propos injurieux, réacs ou conspirationnistes se multiplient en ligne, peut-être plus qu’IRL.
La faute aux jeunes ?
S’il est difficile d’affirmer que tous les cyberharceleurs sont des jeunes, on peut constater que les idées rétrogrades persistent chez les plus jeunes. Dans son rapport annuel sur l’état des lieux du sexisme en France, publié le 23 janvier 2023, le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCE), alertait sur “un ancrage plus important des clichés ‘masculinistes’ et une plus grande affirmation d’une ‘masculinité hégémonique’ parmi les hommes de moins de 35 ans”. Le masculinisme, tel que défini par le HCE, est “un mouvement social conservateur ou réactionnaire qui prétend que les hommes souffrent d’une crise identitaire parce que les femmes en général, et les féministes en particulier, dominent la société et ses institutions”.
Depuis quelques mois, on constate que les contenus masculinistes pullulent en ligne : vous n’êtes pas sans connaître Andrew Tate, véritable “roi des masculinistes”, qui, malgré avoir été banni de quasiment tous les réseaux sociaux, continue à inonder la toile. La figure du “Top G” comme l’appellent ses fans, n’est que la partie émergée de l’iceberg des contenus sexistes et misogynes qui visent les plus jeunes. Vidéos de coachs en séduction qui expliquent comment manipuler les femmes pour coucher avec elles, pseudos-mâle alpha qui distillent conseils en mascu et crypto pour devenir ultra-riche, ou encore des “défenseurs des droits des hommes” (les Men’s Rights Activists, MRA en anglais) qui partagent de fausses informations… Sur Instagram, TikTok, YouTube ou Twitter, les contenus réactionnaires se multiplient, souvent dans des formats courts et attrayants pour les plus jeunes.
Entre backlash et silenciation
Pourtant, après #MeToo, on aurait pu croire que les mentalités allaient évoluer et que la génération des moins de 20 ans serait bien plus disposée à l’égalité. On remarque cependant dans les médias qu’un véritable “backlash” (retour de bâton en français) est à l’œuvre : les féministes iraient trop loin, les hommes cisgenres blancs hétérosexuels seraient devenus la cible à abattre (coucou, Beigbeder) et le “wokisme” serait tentaculaire selon nombre de médias conservateurs. Un des exemples les plus marquants de ce backlash, terme popularisé par l’autrice Susan Faludi dans les années 1990, c’est la campagne de dénigrement, de cyberharcèlement et de désinformation autour de l’actrice Amber Heard, dans le cadre de son procès en diffamation contre son ex-époux Johnny Depp. Comme l’a montré la journaliste Cécile Delarue dans son documentaire, il y a eu autour de ce procès un véritable mouvement organisé par des influenceurs masculinistes dans le but de faire “gagner” Johnny Depp aux yeux de l’opinion publique et d’humilier Amber Heard.
Au-delà des exemples individuels, d’Audrey à Amber Heard en passant par toutes celles et ceux qui sont victimes de cyberviolences, il y a la volonté de silencier, de faire taire les femmes et les minorités en ligne. La stratégie des masculinistes et autres antiféministes de tout bord est d’occuper l’espace public et médiatique. Cela commence par nos espaces numériques, d’autant que les plateformes de réseaux sociaux ne sont pas neutres : de par leur fonctionnement, leurs algorithmes, leur laxisme en termes de modération de contenus, elles participent à invisibiliser et faire grandir la haine. Au final, peut-on dire que les jeunes sont de plus en plus réacs et antiféministes ? C’est plus complexe que ça. On ne règle pas plus de 3 000 ans de domination en un claquement de doigts, et les jeunes générations sont encore baignées dans les stéréotypes de genre, comme nous tous et toutes. Mais ce qui est plus inquiétant, c’est l’influence de la pensée masculiniste et conservatrice sur les plus jeunes, à travers des théories du complot et une haine des femmes et des minorités grandissante.