Le Japon a adopté mercredi sa première loi pour protéger les personnes forcées à apparaître dans des films pornographiques, un texte “qui fera date”, selon des défenseurs de personnes exploitées par cette industrie pesant des milliards d’euros.
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La nouvelle loi permet aux femmes et hommes apparus dans ces vidéos d’annuler leur contrat sans conditions et sans pénalités pendant un an après la sortie d’un film, obligeant les producteurs à rappeler les exemplaires en circulation et à effacer les versions en ligne.
Sans cela, les victimes peuvent souffrir de “graves traumatismes”, explique à l’AFP Kazuko Ito, une avocate de Tokyo qui lutte contre la coercition dans l’industrie pornographique. Elle souligne que cette loi se place “du côté des victimes”.
“Une fois sur Internet, les films restent en ligne pour ainsi dire éternellement et sont visibles par n’importe qui, devenant de véritables ‘tatouages numériques'” pour les personnes y apparaissant contre leur gré, dit-elle.
Dans un premier temps, la loi autorisera l’annulation des contrats jusqu’à deux ans après la sortie d’un film, mais cette période sera ramenée à un an ultérieurement. Elle stipule également que les producteurs devront attendre un mois après la signature d’un contrat pour commencer le tournage et quatre mois pour diffuser le film après le tournage.
Le texte prévoit des amendes allant jusqu’à 3 millions de yens (21 600 euros) et des peines d’emprisonnement pouvant atteindre trois ans pour les producteurs ayant recours à l’intimidation pour empêcher les acteurs et actrices d’annuler leur contrat. Pour les entreprises, les amendes peuvent atteindre 100 millions de yens.
Des “dénicheurs de talents” leur promettent des carrières dans la mode ou la chanson
Les travaux sur cette loi ont commencé à l’occasion du passage de l’âge de la majorité de 20 à 18 ans au Japon, effectif depuis avril, beaucoup craignant que de jeunes adultes de 18 et 19 ans, soudain dénués des protections accordées aux mineurs, ne soient forcés à apparaître dans des films pornographiques.
Selon des associations, tromperie, exploitation et violence sont omniprésentes dans l’industrie pornographique japonaise qui rapporterait, selon les estimations, l’équivalent de 2 à 4 milliards d’euros par an.
De jeunes femmes sont souvent approchées dans la rue par des “dénicheurs de talents” qui leur promettent des carrières dans la mode ou la chanson, des opportunités qui se transforment, dans de nombreux cas, en situations impliquant nudité ou actes sexuels, dénonce l’organisation tokyoïte Human Rights Now.
Celles qui tentent de rompre leur contrat se voient souvent menacées de devoir payer des indemnités astronomiques, selon un rapport de l’ONG publié en 2016.
Des responsables de l’industrie pornographique nippone précisent que des protections ont été mises en place en 2018, mais Mme Ito, tout en reconnaissant des efforts pour améliorer la situation, souligne qu’il reste “des films non professionnels et illégaux (qui) ne sont pas contrôlés”.
“Le huis clos qui entoure généralement les productions pornographiques expose acteurs et actrices au danger d’être contraints d’avoir des rapports sexuels”, a déclaré en mai, dans un communiqué, un groupe rassemblant élus et partisans de cette loi.
“Légalisation de la traite des humains”
Selon un sondage du gouvernement réalisé en 2020, un quart des femmes japonaises entre l’adolescence et la quarantaine ont déjà été approchées pour des apparitions en tant que mannequins ou “idols” (artistes généralement jeunes qui chantent et dansent sur scène).
Mais 13 % de celles qui ont donné suite à ces propositions ont déclaré avoir été orientées sans leur consentement vers des tournages vidéo ou des séances photo de nature sexuelle.
Une youtubeuse se faisant appeler Kurumin Aroma dit elle-même avoir été piégée. “Quand on propose à des filles de 18 ou 19 ans de réaliser leurs rêves, je ne pense pas qu’elles soient capables d’un jugement pondéré”, a-t-elle estimé lors d’une récente conférence de presse à Tokyo.
La loi ne satisfait cependant pas tout le monde, et un groupe d’opposants aurait ainsi préféré l’interdiction pure et simple des tournages pornographiques, dénonçant un texte “légalisant la traite des êtres humains”.
“Les souffrances liées aux films pour adultes ne sont pas le résultat des contrats, mais de l’humiliation née de la violence physique et sexuelle et de la nécessité d’avoir des rapports sexuels réels”, a déclaré ce groupe dans un communiqué.
Konbini news avec AFP