Un tribunal russe a placé en détention provisoire Evguénia Berkovitch et Svetlana Petriïtchouk, deux artistes accusées d’apologie du terrorisme pour l’une de leurs pièces de théâtre, en pleine répression des voix dissidentes en Russie depuis l’offensive militaire en Ukraine. Evguénia Berkovitch, 38 ans, et Svetlana Petriïtchouk, 43 ans, qui risquent jusqu’à sept ans de prison, ont été placées en détention jusqu’au 4 juillet, a indiqué le tribunal Zamoskvoretski de Moscou, cité par les agences de presse russes. La veille, elles avaient été interpellées et interrogées à Moscou.
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Les deux femmes sont suspectées d’apologie du terrorisme pour une pièce écrite par Svetlana Petriïtchouk et mise en scène par Evguénia Berkovitch en 2020. Les poursuites les visant ont suscité un choc dans le monde du théâtre en Russie. La pièce en question, Finist est un vaillant faucon, jouée entièrement par des femmes, racontait l’histoire de Russes recrutées sur Internet par des islamistes en Syrie et partant les rejoindre pour les épouser.
Saluée par la critique, elle avait reçu deux Masques d’or en 2022, un grand prix du théâtre en Russie. Une pétition appelant à leur libération et clamant leur innocence, lancée par le journal indépendant Novaïa Gazeta, a déjà été signée par plus de 3 000 personnes. L’année dernière, Evguénia Berkovitch avait publié des vers contre l’offensive en Ukraine qui avaient été “très diffusés”, souligne le texte accompagnant cette pétition. L’un de ses poèmes, diffusé en mai 2022 sur Facebook, évoquait la détresse des civil·e·s des villes ukrainiennes de Marioupol, Boutcha, Lyssytchansk et Borodianka, ravagées par l’assaut russe.
Depuis l’offensive du 24 février 2022, les autorités russes ont accéléré la répression de toute forme de dissidence en Russie, à coups de milliers d’amendes et de lourdes peines de prison. Dans le milieu culturel, des artistes critiques de Vladimir Poutine ont aussi été poursuivi·e·s en justice, licencié·e·s ou poussé·e·s à l’exil. Evguénia Berkovitch est une ancienne élève et collaboratrice du réalisateur Kirill Serebrennikov (Leto, La Fièvre de Petrov, La Femme de Tchaïkovski), désormais en exil en Allemagne, réputé pour ses œuvres critiques du pouvoir russe mêlant politique, religion et sexualité.
“Il fallait encore qu’ils inventent une connerie, ‘apologie du terrorisme’. Ils reprochent ça à ton spectacle alors qu’il se bat contre le terrorisme et s’oppose dans un cri de douleur à ça”, a réagi sur Telegram Kirill Serebrennikov. “Tu es fabuleuse, la meilleure, tu es unique”, a-t-il ajouté. “Pardonne-moi de t’avoir appris à ne pas mentir et ne pas avoir peur, de t’avoir appris un théâtre honnête, de t’avoir appris à ‘dire’ et à ‘être’. […] C’est aujourd’hui considéré comme un crime.”