“Tout homme est obligé pour survivre d’avoir, comme dit Nietzsche, des fantômes esthétiques. […] Je suis tout à fait éclectique”, assurait Yves Saint Laurent. Voici les cinq confrontations les plus marquantes entre les créations du grand couturier et des œuvres d’art modernes du Centre Pompidou, à l’occasion de la célébration des soixante ans de la maison Saint Laurent, qui expose simultanément dans six musées parisiens : le Centre Pompidou, les musées d’Orsay, du Louvre, Picasso, d’art moderne et Yves Saint Laurent.
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La robe Mondrian
“Révolutionnaire”, souvent copiée mais peu égalée… C’est la robe Mondrian, dessinée en 1965 par Yves Saint Laurent, qui a popularisé le peintre néerlandais, l’un des pionniers de l’abstraction. “C’est quasiment à ce moment-là que la mode change de statut et commence à devenir un art en soi”, estime Aurélie Samuel, directrice des collections du musée Yves Saint Laurent à Paris.
Tout commence par un livre sur Piet Mondrian, offert à Saint Laurent par sa mère, alors que le peintre n’était pas très connu à cette époque. “Il a une sorte de révélation, va dessiner la première robe Mondrian et toute sa création de cette année sera très inspirée par cette géométrie et une forme d’abstraction”, que la presse qualifiera de “totalement révolutionnaire”.
Peut-être Yves Saint Laurent garde-t-il à l’esprit cette réflexion du peintre, qu’il appliquera à la haute couture durant toute sa vie : “Seuls les rapports purs, d’éléments constructifs purs, peuvent aboutir à la beauté pure.” La collection Mondrian assure à la maison de couture un succès sans précédent. La première rétrospective de l’œuvre de Mondrian, mort en 1944, a lieu en 1969 au musée de l’Orangerie à Paris, soit quatre ans après le défilé Yves Saint Laurent.
Les motifs Vasarely
“Vous allez avoir du mal à croire que les robes ont été faites dans les années 1970”, dit Madison Cox, président de la Fondation Pierre Bergé-Saint Laurent. Longues ou mi-longues, coupe épurée, motifs géométriques : les robes exposées au Centre Pompidou contre les panneaux de Victor Vasarely “sont en vitrine de mode aujourd’hui”, souligne Madison Cox. Victor Vasarely, plasticien franco-hongrois, s’est distingué de son vivant par la création d’une nouvelle tendance : l’art optique.
Renard vert ou kitsch assumé
En 1964, Martial Raysse inaugure la série Made in Japan, qui détourne les icônes de l’histoire de l’art dont La Grande Odalisque d’Ingres qui est photographiée, recadrée, peinte à l’aérographe puis sertie de colifichets et d’une mouche en plastique. En 1971, Yves Saint Laurent présente la collection inspirée par la mode sous l’Occupation. La même démarche d’appropriation et de désacralisation l’anime. Pièce centrale de la collection : un manteau en renard vert.
“Il a le goût de kitsch assumé, une teinte verte inusitée dans la mode et dans la peinture aussi. Il reprend les codes de la mode sous Occupation : manteau court, larges épaules, fourrures”, énumère Marie Sarré, du service des collections modernes du Centre Pompidou. “Cela va provoquer l’ire de la presse et des critiques. En revanche, cela va avoir un large succès auprès du public et lancer la mode rétro.”
Le nu pop
“Comment aurais-je pu résister au pop art, qui fut l’expression de ma jeunesse ?”, interrogeait, des années plus tard, le couturier. En 1966, il réalise en jersey, la “seule matière moderne” selon lui, des robes inspirées par les Great American Nudes du peintre pop américain Tom Wesselmann. C’est également de l’œuvre de ce dernier que s’inspire régulièrement Gary Hume, membre du groupe des Young British Artists. Gary Hume isole des détails anatomiques, comme le bras d’une cheerleader tenant un épais pompon jaune.
L’art cinétique
Une robe orange à jupe ample avec des motifs giratoires est installée au milieu des tableaux de Sonia Delaunay, artiste française d’origine ukrainienne. Saint Laurent s’intéresse à l’œuvre du couple Sonia et Robert Delaunay : il a dans son studio des ouvrages du binôme, qui a surtout travaillé sur la recherche de la couleur pure et du mouvement des couleurs simultanées.
“Les volutes, les mouvements giratoires sont inspirés des peintures cinétiques des Delaunay”, souligne Marie Sarré, en rappelant que Sonia Delaunay avait elle-même fait des robes “simultanées pour mettre sur le corps de femmes le rythme et la couleur”.
Konbini arts avec AFP