Jusqu’à la garde a été un événement cinématographique important lors de sa sortie en 2017. Ce premier long-métrage retrace le parcours d’une femme (Léa Drucker) et ses enfants tentant d’échapper à un mari violent (Denis Ménochet). Il est la suite directe du court-métrage Avant que de tout perdre. Les films ont été acclamés par les institutions, les festivals et les spectateurs, cumulant récompenses et nominations prestigieuses autour du globe.
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Le Successeur n’est pas dans le même univers que Jusqu’à la garde et Avant que de tout perdre, cependant il conserve des thématiques communes : la paternité toxique, le patriarcat, la violence invisible.
Le milieu de la haute couture française a un nouveau prodige : Ellias Barnès. Il succède à Yann-Olivier Orsino, fondateur de la maison Orsino, qui vient de décéder. Le jeune homme québécois a la lourde tâche d’imposer sa pâte tout en faisant honneur à son prédécesseur. Après un premier défilé magistral, Elias a pour obligation de retourner dans son Québec natal pour s’occuper des funérailles de son père. Alors qu’il doit gérer l’organisation de l’enterrement d’un homme avec qui il avait coupé les ponts, il découvre les lourds secrets de ce dernier.
Derrière ce thriller psychologique sur fond de drame familial, Xavier Legrand revient sur la thématique de l’abus patriarcal. Jusqu’à la garde aborde de manière frontale la violence physique et psychologique au sein du foyer. Ce premier film mêle de façon surprenante le cinéma social d’un point de vue scénaristique à une mise en scène proche du thriller horrifique.
Le Successeur s’inscrit plus frontalement dans ce que l’on nomme “le cinéma de genre”, un mot-valise à l’intérieur duquel on range la plupart du temps thriller, horreur, science-fiction. Il mêle donc thriller et horreur, même s’il est avant tout un drame. Un drame qui parle de l’hérédité du mal et des réflexes induits du patriarcat. Pour Xavier Legrand, l’utilisation de codes du cinéma de genre est un moyen de connecter spectateurs et personnages, un procédé qu’il met au service d’une réflexion sur la transmission du mal. Cette transmission est-elle une métaphore ou le fruit d’une réflexion personnelle ? Xavier Legrand répond :
“Je ne pense pas que le mal, la violence se transmettent génétiquement. Par contre, cette violence se transmet dans le vécu.”
Le lien qui unit les films de Xavier Legrand, c’est cette étude presque sociologique de la psyché d’un abuseur et des abusés. Si Ellias, interprété par Marc-André Grondin, n’a presque aucune caractéristique commune avec Julien, le petit garçon de Jusqu’à la garde interprété par Thomas Gioria, ils sont les deux pans d’une même recherche sur l’hérédité de la violence. Xavier Legrand développe :
“J’ai beaucoup étudié, pendant la préparation de Jusqu’à la garde, les comportements des enfants, notamment les garçons qui ont vécu des violences de la part de leurs parents. Certains garçons vont reproduire la violence parce qu’ils pensent que c’est comme ça qu’on aime, qu’on communique. D’autres vont se construire contre, parce qu’ils l’ont vécue. La violence, c’est un choix. Quand on l’a reçue, on fait le choix de l’utiliser ou pas.”
Ellias Barnès a tout fait pour échapper à une forme de prédestination presque mythologique. Tout comme Œdipe qui tente de fuir Thèbes, Ellias a quitté la banlieue montréalaise pour être le seul maître de son destin. Grâce à cette parabole cinématographique, Xavier Legrand met en lumière la complexité d’une forme de prédestination induite de manière sociétale. Mais est-ce que le cinéma est un vecteur qui permet une prise de conscience collective ou individuelle ? À cette interrogation, le réalisateur répond :
“On ne peut pas changer le monde, mais on peut changer notre regard sur lui. Les films ont cette faculté, contrairement à une thèse ou à une étude. On peut se projeter dans le parcours d’un personnage, surtout quand il est bien incarné. On crée une sorte de gémellité avec l’humanité d’un personnage, ses sentiments et les épreuves qu’il traverse. La fiction permet de comprendre. On endure des choses avec des personnages de fiction, on met les mains dans le cambouis avec eux. C’est par l’émotion que l’on peut aborder des sujets comme le patriarcat.”
Dans Jusqu’à la garde, le patriarcat est montré de manière frontale, brutale, celui qui tue tant de femmes chaque année, qui s’exprime bruyamment et avec les poings. Dans Le Successeur, le patriarcat est beaucoup plus déconstruit, il est sous-jacent, discret, caché. Quant au rapport entre son cinéma et la dénonciation du patriarcat, Xavier Legrand répond :
“Le patriarcat est très dénoncé ! Aujourd’hui, on en parle enfin, mais c’est un sujet constitutif de notre culture et nous sommes tous inégaux face à lui. Certains arrivent à s’en sortir, d’autres le reproduisent. Donc oui, je pense que les films peuvent être une vraie fenêtre, un vrai regard dessus.”
Au moment de la sortie d’Avant que de tout perdre, Xavier Legrand avait exprimé l’idée de faire une trilogie de courts-métrages autour du patriarcat. Entre Le Successeur et Jusqu’à la garde, il a déjà créé un diptyque brillant sur la manifestation violente de ce dernier.
En plus de faire des portraits glaçants et précis d’un problème social, Le Successeur s’apprécie comme un thriller haletant, méticuleusement construit et mis en scène. Des décors aux mouvements de caméra, le film épouse la chute vertigineuse de son personnage principal. Jusqu’à l’affiche, le long-métrage ne déroge pas à son concept narratif : le cercle vicieux. Pour Xavier Legrand, le décor principal (la maison du père d’Ellias) a permis d’incarner ce motif visuellement :
“Dans Jusqu’à la garde, toute la circulation devait se passer autour d’une baignoire. Nous n’avons jamais trouvé l’appartement, donc nous l’avons construit en studio. Pour Le Successeur, c’est différent. Cette maison est venue à moi, et elle a permis que tout tourne autour d’une porte. Il y a bien une sorte de métaphore, celle de tourner autour du pot. Et ce, dès le premier plan du film, Ellias est enfermé dans cette spirale infernale qui ne s’arrêtera jamais.”
Le Successeur de Xavier Legrand, actuellement en salle.