On a échangé avec Jean-Christophe Meurisse, le réalisateur des Pistolets en plastique, comédie grinçante sur Xavier Dupont de Ligonnès, et le fondateur des Chiens de Navarre, troupe de théâtre acide qui sévit depuis presque 20 ans, qu’on avait déjà vu derrière la caméra des également piquants Apnée et Oranges sanguines.
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L’occasion de revenir sur son procédé filmique particulier, sur sa fascination pour les faits divers, et sur la notion de provocation dans l’art.
Konbini | Il y a, dans Les Pistolets en plastique, avec la figure de Xavier Dupont de Ligonnès, mais qui était aussi palpable déjà dans Oranges sanguines et puis dans Les Chiens de Navarre, toujours cette fascination pour le sang, le tueur en série. Il y a quelque chose qui vous titille là-dedans ?
Jean-Christophe Meurisse | Les monstres. C’est important, les monstres. J’aime bien présenter la violence, les méchants, les monstres, parce que nous, ça nous permet de réfléchir à notre monstre intime. Et justement, je crois à la mission du spectacle et du cinéma de “plus on montre les monstres, plus on montre le mal, moins il y en a dehors”. C’est, je crois, une des vertus du cinéma. Je pense que si j’écrivais des personnages gentils, sympathiques, je m’emmerderais un peu.
Il y a les personnages méchants ou grinçants, et puis il y a les monstres, comme dans la dernière partie d’Oranges sanguines, par exemple. Dans les Pistolets en plastique, toute la partie finale verse un peu vers le gore. Il y a quand même une vraie culture, une vraie curiosité du monstre et du cinéma d’horreur en règle générale…
C’est vrai que j’ai toujours été un fan de cinéma fantastique et d’horreur. En même temps, je ne pense pas qu’il y ait une glorification non plus de ça, ni de la violence. C’est ça qui peut être gênant d’ailleurs, c’est qu’il peut y avoir des ruptures de ton pendant mes films, et de montrer cette violence sans glorification, comme souvent dans les films, voire le ludisme dans les films d’horreur.
Il y a peut-être quelque chose de plus complexe aussi, dans ma manière de monter tout ça et de pas de jouer mais de mélanger un peu les genres en plein film. Ce n’est pas quelque chose de voulu au départ dans le scénario. C’est plutôt qu’il faut prendre mes films comme une expérience émotive.
Je trouve qu’en tant que réalisateur, on souffre parfois d’être dans des cases, soit de la pure comédie, soit du pur film d’horreur… Non ! Comme les Coréens savent très bien le faire, on peut mélanger les genres en cours, comme dans la vie. En règle générale, quand on se lève le matin, on ne se dit pas “j’ai passé une bonne journée comédie ou une bonne journée film d’horreur”. Non, c’est tout à la fois. On se lève, on peut pleurer, on peut rire, on peut avoir peur. Pour moi, le cinéma doit être un échantillon de ça.
On sent que le cinéma d’horreur vous titille, que c’est un genre que vous avez envie d’explorer. Vous avez envie d’aller chercher les limites de ce qui est représentable, de la violence représentable. Quelles sont vos références quand vous allez dans des saillies un peu plus gore et radicales ?
C’est de l’exploration, j’invente rien. Quand je vais dans cette violence-là, c’est pour aussi servir une certaine narration. Même si la violence n’est pas glorifiée, il n’y a pas non plus de violence gratuite, elle est liée à la narration. Et effectivement, on est quand même tous très codifiés à voir ces films-là.
Qu’est-ce qui peut provoquer une émotion à chaque fois ? On n’a pas parlé d’Oranges sanguines, par exemple. Ça me paraissait important, comme il l’était dans le vrai fait divers, que je montre à un moment les testicules du violeur exploser dans le micro-ondes. Il faut trouver l’idée originale qui va nous renvoyer à quelque chose qu’on n’a jamais vu.
Mais j’ai beaucoup de références, de réalisateurs de films d’horreur. Il y a un amusement aussi, comme les frères Coen quand, dans Fargo ou No Country for Old Man, ils y vont vraiment. Il y a un mélange des genres qui est intéressant. Après, je ne suis pas non plus dans les 10 000 litres d’hémoglobine…
C’est vraiment sur la quantité parce que le sang est toujours généreux et l’a toujours été, depuis le début, même dans votre travail scénique…
Le sang, c’est la vie. Il est bon de le voir. L’eau, le sang, le fromage [rires]. Je fais un théâtre et un cinéma pulsionnels, très organiques. Puis effectivement, il y a mon goût noble de provoquer pour aller chercher le spectateur. On regarde tellement de choses, tellement de séries, qu’il faut essayer de se battre pour le réveiller, l’étonner, le garder concentré à notre histoire. Ce n’est pas une provocation de provocateur.
C’est provoquer au sens grec, mettre en éveil. Ça, c’est le but du cinéma, quand même. Ou de l’art en général. C’est de susciter quelque chose, de diviser. Après, je ne pense pas à ça de manière stratégique, j’ai cherché l’outrance mais on doit pousser dans la représentation ou filmer l’outrance. De toute façon, je pense que la réalité est toujours pire.
C’est intéressant de voir comment vous êtes passé de la scène au cinéma. C’est quoi la différence principale pour vous dans l’approche du plateau, du scénario et de la direction d’acteurs par exemple ?
La direction d’acteurs, aucune. J’ai appris à diriger les acteurs grâce au théâtre et je continue avec le cinéma pour arriver à ce côté ultra-naturaliste, de leur donner une qualité de jeu assez libre et très vivante. Après, il y a des histoires pour le cinéma et des histoires pour le théâtre. C’est deux langages différents. La différence, c’est une question de concentration et de temps. Le théâtre, c’est une chronologie jusqu’à la première. Le cinéma, c’est de mettre en perpétuelle urgence un plateau.
Est-ce que vous travaillez comme à la répétition de vos pièces, c’est-à-dire en laissant tourner et improviser ?
Au cinéma, c’est plus écrit. Il y a un scénario, des dialogues pour montrer l’humeur des personnages et leurs rapports. C’est très écrit. Mais j’adore m’entourer d’acteurs qui savent improviser. En théâtre, c’est une écriture de plateau. Donc ils peuvent se sentir libres de s’approprier la situation avec leurs propres mots, leur propre humour et leur côté fantasque. Moi, je tiens à une narration, à des personnages précis, des informations, et eux, ils me donnent leurs mots, leurs répliques. C’est une constitution qui se fait par association d’imaginaires.
Je tiens toujours aussi à rester un peu spectateur et avoir le combo. Parce que si je suis surpris, vous serez surpris aussi. C’est important d’être toujours en position d’écriture au scénario et durant le tournage en laissant beaucoup de liberté aux acteurs et à l’improvisation, et après je choisis au montage. La notion d’écriture la plus importante, c’est celle au montage.
Pour moi, le tournage doit être un moment de fête tous les jours. C’est comme une fête qu’on prépare chaque jour, où on a toujours le trac. Je ne fais pas de l’improvisation pour improviser. L’improvisation est un processus pour arriver à cette qualité de jeu ultra-naturaliste où les acteurs sont plus proches d’eux et leurs personnages, où il y a du vivant, du vrai, où ça chevauche. Chaque réalisateur a son truc, son obsession pour arriver au vrai au moment où on dit “action”. C’est ça, l’angoisse la plus grande du réalisateur. Le moment où on dit “action”, il faut, comme dit Pierre Salvadori, réanimer les cadavres.
Dans Les Pistolets en plastique, il y a un monologue très raciste de la voisine. C’était écrit au scénario ?
Lula Hugot joue un personnage qui finalement trouvait Paul Bernardin, alias de Ligonnès, assez sympa, parce qu’il l’a aidée à porter ses courses. J’avais donc ce personnage un peu horrible qui était écrit comme ça, avec des intentions. Elle était tout ce qu’il y a de plus horrible, homophobe et raciste en tout. Avec Lula, on a répété, elle m’a proposé plein de choses, je l’ai amenée à certains endroits, je l’ai fait pousser. C’est exactement comme vous dites, on a écrit un peu ensemble en amont et aux répétitions. Et puis le jour J, on se lance, avec des surprises qu’elle me prépare pour m’étonner un peu et d’autres que je voulais à tout prix qu’elle redise. C’est un mélange des deux.
Vous êtes donc surpris en permanence par votre casting sur le plateau ?
Pour ça, j’ai la chance d’avoir choisi les acteurs les plus géniaux de Paris, de France, voire du monde. Je m’entoure des plus grands qui ont cette capacité folle de m’amener dans des émotions, d’improviser, de tout à coup réinterpréter, d’aller très loin, de me faire confiance. Je leur fais confiance en les laissant s’emparer de la situation et ils me font confiance en me donnant tout ce qu’ils donnent.
C’est intéressant parce que c’est vraiment dans votre travail depuis le début, un travail de bande, vraiment de groupe. Et on sent que le résultat, que ce soit au théâtre, au cinéma, est très variable et dépendant de l’énergie du groupe…
C’est vrai qu’il y a quelque chose de la troupe parce que je viens du théâtre. Mais au cinéma, c’est pas si évident que ça car tous les acteurs ne se sont pas rencontrés pendant le film. Le truc en commun, c’est la liberté, la générosité du jeu et quelle confiance je leur donne.
Comment ça se passe quand vous intégrez justement des comédiennes ou des comédiens qui ne sont pas issus du théâtre, qui viennent d’ailleurs, comme Aymeric Lompret, ou Vincent Dedienne ? Ou quand vous récupérez par exemple une partie des anciens Deschiens avec Olivier Saladin ?
Bonne question. Je ne peux pas vous dire comment je fais. J’ai un langage particulier… Après, il y en a plein qui n’y arrivent pas non plus. Mais j’aime bien m’entourer de gens qui n’ont pas peur de faire rire, qui font rire. C’est un truc en commun et ce n’est pas si évident parce que c’est dur de faire rire, c’est vraiment un art noble.
J’ai une attraction pour ça, quelle que soit leur formation, que ce soit le cinéma populaire, le théâtre public, les séries, le one-man-show, le stand-up, etc.
Une pièce par an, un film tous les ans et demi, deux ans. Vous tournez et créez à un rythme effréné.
C’est vrai que j’ai fait beaucoup de pièces et de films ces quinze dernières années, mais j’ai senti dernièrement que je tirais sur la corde, donc il va falloir que je me calme. Ça devient un problème physiquement. Je dis ça, et en même temps, il y a une nouvelle pièce qui arrive en juin 2025 aux Nuits de Fourvière et qui arrivera à Paris en automne 2025, aux Bouffes du Nord et à la Villette.
Quelques mots pour finir sur le travail de mise en scène. Il est faux de dire qu’il n’y a pas de mise en scène de théâtre, puisqu’il y a un travail de cadre quasiment au sens cinématographique. C’est quoi, la différence ? Comment vous l’abordez ?
Il y a énormément de mouvements dans ce film, donc beaucoup de moments au steadycam que j’adore, ou avec le rail. L’image fixe, je l’ai toujours aimée. Le problème, c’est quand on a plusieurs caméras, il faut vraiment être très vigilant à ce que chaque image soit une belle image. Donc oui, je suis assez obsessionnel sur la mise en scène au cinéma.
Au théâtre, j’ai commencé de manière un peu colérique, je n’avais pas de scénographie, c’était plein feu, j’amplifiais le son avec des micros. Il y avait un postulat qui disait : “Ne comptez pas sur moi pour faire de la mise en scène, les choses se passeront comme ça sans rien.”
Mais il y a aussi toujours cette recherche de juxtaposition de l’odieux, de l’insupportable, du rire grinçant, du gore et des moments de poésie. Ça, c’est vraiment aussi une marque de votre mise en scène, de votre travail ?
Je vieillis et je suis moins punk, la chair s’attendrit un petit peu, et effectivement, en approchant la mort, nous sommes plus émus. C’est vrai qu’il y a plus d’émotions mais elle est sincère parce qu’il y a toujours quelque chose derrière le rire. Le rire est une espèce de paravent à la tristesse. J’aime quand les choses sont tenues entre la tragédie et la comédie. Mon travail n’est jamais du pur divertissement. C’est vraiment un rire nécessaire, face au terrible, parce que sinon, on pourrait en pleurer.