En 2021, Will Ferrell reçoit un mail d’Harper, sa meilleure amie. Elle lui annonce qu’elle vient de changer de genre, qu’elle y pensait depuis des décennies mais n’avait pas osé sauter le pas et l’assumer jusqu’à la crise du Covid et le confinement. De là naît l’idée d’un voyage commun à travers les États-Unis pour se questionner sur la nouvelle identité de genre de Harper, leur relation, et le sort des personnes transgenres dans le pays.
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C’est le point de départ d’un des plus jolis documentaires de l’année, Will & Harper, qui sort ce vendredi 27 septembre sur Netflix. Pour l’occasion, on a pu discuter un peu avec le duo, histoire de revenir sur la genèse du projet, les leçons à en tirer et pour parler d’amitié, avant tout.
Konbini | Pour commencer, j’ai cru comprendre que vous étiez habitué·e·s à faire ce genre de road-trips. Pour autant, comment l’idée de ce documentaire, de ce voyage est née ? Qui l’a pitché et comment ?
Will Ferrell | L’idée m’est venue assez facilement, puisque quiconque connaissant Harper sait que faire des road-trips à travers le pays fait partie de son identité. Depuis que je la connais, elle a toujours traversé le pays comme ça, ici et là. Et quand je réfléchissais à sa transition, je me suis demandé si c’était toujours sans danger pour elle d’entreprendre ce genre de voyage, d’aller dans ces endroits où elle allait avant sans même réfléchir ? Donc la toute première fois que je l’ai vue en vrai après qu’elle a annoncé sa transition à tous ses proches, je lui ai pitché l’idée d’un voyage commun.
D’autant plus que moi, je n’en avais jamais fait. Enfin, on a déjà fait des petits séjours ensemble, mais jamais sur une aussi grande distance. Donc c’était l’occasion. C’était aussi pour moi un moyen de lui poser toutes les questions que je pouvais avoir sur le sujet, tout en l’aidant à voyager. Et du coup, pourquoi pas le filmer ? Mais comprenez que l’idée n’était pas du tout d’exploiter notre amitié, et si ça sonne horrible pour vous, je le comprendrai. Mais Harper a compris mon idée, et nous voilà aujourd’hui.
Harper, quand vous acceptez ce projet, est-ce que vous comprenez que c’est un voyage que vous ferez avec une personne connue, identifiée, et que le voyage serait du coup assez différent de d’habitude ?
Harper Steele | Bien sûr. J’ai bien conscience que ce film n’est pas une représentation vraisemblable de l’expérience d’une personne trans traversant le pays. Je suis avec une équipe de cinéma qui me filme, et je voyage avec une célébrité. Donc évidemment, la plupart des personnes transgenres n’auront pas accès aux privilèges et la sécurité que j’ai eus. C’était assez différent. Mais depuis, j’ai revoyagé, et je vois bien que ce sont à chaque fois des expériences différentes. Quelque part, ce premier voyage avec un ami m’a donné plus de confiance pour entreprendre ce genre de choses. J’ai moins peur, quand bien même j’ai conscience que ce n’est pas la même chose d’être seule que d’être avec une célébrité.
Will, il y a une différence entre être au point sur la question de la transidentité, ses droits, etc., et avoir quelqu’un de cher qui traverse cette expérience. Vous dites que vous vouliez lui poser des questions pendant le voyage. Qu’est-ce qui a changé dans votre vision de la transidentité ? Y a-t-il des difficultés que vous avez constatées, et auxquelles vous ne pensiez même pas, par exemple ?
Will Ferrell | Totalement. Je veux dire, ça a été une vraie éducation à tous les niveaux pour moi. Harper le décrit très bien, c’était un peu ma transition à moi d’une certaine manière. Apprendre ce que signifie “être trans”. La transition implique que ce n’est pas quelque chose qui se fait d’un coup, que ça prend du temps.
Tous les jours, tu sors de ta maison, et en fonction de ton niveau de confiance en toi et de là où tu en es de ta transition, chaque jour peut être un challenge. En fonction de là où tu vis, avec qui tu es en contact. Ce genre de choses, c’est devenu évident au fil du voyage. Le niveau de tristesse et de douleur qu’elle ressentait avant. Cela m’était inconnu, parce qu’elle l’a si bien caché durant tout ce temps.
Donc j’ai vraiment appris, je comprends mieux ce que mon amie a vécu, et continue de vivre encore aujourd’hui.
Harper, il y a un moment dans le film où vous dites quelque chose d’assez déchirant, que vous auriez aimé pouvoir faire votre transition des décennies auparavant, mais que si vous l’aviez faite, vous n’auriez pas eu votre job au Saturday Night Live. Pensez-vous qu’aujourd’hui, cela aurait été différent ?
Harper Steele | Oui, je suis très optimiste sur le sujet. Je suis sûre que si j’avais 18 ans aujourd’hui, je pourrais transitionner dans un monde bien différent. Je pourrais quand même avoir un boulot au Saturday Night Live, un show qui m’accepterait peut-être plus que la société par ailleurs. J’aurais été en tout cas entourée de gens plus compréhensifs et ouverts qu’à l’époque, ça c’est sûr.
Il y a quelque chose de très beau sur votre amitié, qui a beaucoup changé sur la durée, même avant la transition. En quoi cette nouvelle étape a changé votre relation ?
Harper Steele | Je pense que ça nous a rapproché·e·s. Rien que parce qu’on a passé 17 jours sans pause ensemble, de manière forcément intimiste. Pour ce qui est de notre interaction avec le monde, je pense que ça n’a rien changé, on est juste deux imbéciles qui essayent de faire rire l’autre avant tout.
Will Ferrell | Il n’y a aucun doute que cela nous a rapproché·e·s. Et pourtant, en même temps, il n’y a aucune différence dans le rapport que l’on a avec l’autre. Ce qui est aussi fort en regardant le film, on nous voit naviguer vers un nouveau terrain de notre amitié, alors qu’en fait, on revient à ce qu’on a déjà fait, Harper se moque de moi, de ma célébrité et autres [rires].
Harper Steele | Je sais que c’est votre créneau d’entretien mais je peux vous poser une question ? Je suis juste vraiment curieuse.
Bien sûr.
Harper Steele | Vous parlez très bien anglais. Mais pensez-vous que ça va parler chez vous ?
Will Ferrell | À une audience française ?
Je pense que le fait que ça sorte sur Netflix, avec les sous-titres, oui, ça peut totalement. C’était d’ailleurs ma dernière question, mais oui. Moi, je suis un critique, je suis habitué à regarder beaucoup de films, de documentaires. On pourrait se dire que j’ai été ému parce que je suis habitué, mais en réalité, c’est autant parce que ce sont des thèmes qui me parlent, que parce que c’est vraiment un beau film. C’est sur ça que ça peut prendre en France. Chez nous, comme chez vous, la question des droits des personnes LGBTQIA+ reste importante, surtout avec la menace de l’extrême droite. En dehors de ça, c’est un très beau film sur l’amitié aussi. Je pense que sur ces deux pans, cela peut trouver son audience.
Harper Steele | [hoche la tête et sourit].
Mais justement, quand vous avez eu cette idée du film, est-ce que vous aviez un peu anticipé ce qu’il serait ? Est-ce que vous aviez réfléchi à ce que ça serait, où il sortirait, qui il pourrait atteindre ?
Will Ferrell | Il faut comprendre que ça s’est passé en segment. D’abord, Harper accepte mon idée. Ensuite, peut-on le faire financer ? Ensuite, on le finance. Ensuite, on le fait. Mais en vivant au jour le jour, donc sans vraiment savoir ce que cela va devenir. Même si l’idée vient de moi, on reste, avec Harper, les objets du documentaire donc ensuite, c’est dans les mains des équipes de post-production et du réalisateur de faire le reste. Quand on a fini, on ne savait pas si cela toucherait la bonne audience ou non. On ne s’est même pas permis de penser au potentiel du film. Et maintenant, on est là, le film sort sur Netflix, et comme vous le disiez, il peut toucher beaucoup de gens d’endroits différents, et ça nous intrigue et nous intéresse de savoir qui va être touché par ce film.
Harper Steele | Mais je pense qu’on n’y a pas pensé une seconde pendant tout ce temps.
Will Ferrell | On s’est juste dit que ce serait une opportunité pour que des gens écoutent deux ami·e·s discuter de ces sujets-là. C’est tout.