Wicked, Barbie, Dune… : on vous explique la folie des press tours

Wicked, Barbie, Dune… : on vous explique la folie des press tours

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Photo by Don Arnold/WireImage

Alors que Wicked vient de sortir, la promo autour du film a peut-être fait plus parler d’elle que le film lui-même. Une tendance qui explose.

Vous souvenez-vous du nom du personnage de Zendaya dans Dune ou Challengers ? Peut-être pas. Mais vous vous souvenez certainement de ses tenues complètement folles sur les tapis rouges des avant-premières de ces deux films. Vous vous souvenez du synopsis de Barbie ? Mais vous vous souvenez sûrement de comment le monde s’est peint en rose le temps d’un été. Et Wicked alors, vous savez de quoi ça parle ? Non, mais vous savez qu’Ariana Grande et Cynthia Erivo portent le film autant qu’elles portent chacune du rose et du vert. Tout ça, c’est grâce à la promo des films et aux press tours planétaires dans lesquels s’embarquent les stars pour faire la pub de leur film.

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À l’heure où tant de films sortent, le simple synopsis ne suffit pas pour inciter les gens à aller au cinéma et surtout acheter une place. Désormais, il faut en faire un événement, un buzz, et même carrément, une marque. Depuis plusieurs décennies, les press tours y contribuent et prennent de l’ampleur. Avec Barbie et maintenant Wicked, on a atteint de nouveaux sommets en termes de démesure. Et c’est loin d’être la fin.

C’est quoi un press tour concrètement ?

Un press tour, c’est UNE partie du gigantesque dispositif pour faire la publicité d’un film. Dans les cas dont on va parler, les blockbusters américains, ces campagnes de pub sont préparées des mois à l’avance et coûtent des millions de dollars, voire parfois plus que le budget du film. C’est une FOLIE. La promo d’un film classique passe par les bandes-annonces évidemment, des affiches dans la rue, dans le métro, dans les magazines et sur des sites Internet. Mais ça passe aussi par les critiques (si possible positives, évidemment) de journalistes qui l’ont vu en avance (ou d’influenceurs, no comment sur ça). Ça, c’est pour la promotion “artistique”, disons. On mise sur l’histoire racontée, le genre cinématographique, le casting, le ou la réal, les enjeux soulevés par le film. Si tout le monde était fan de cinéma et les salles constamment pleines à craquer, on aurait probablement besoin que de ça.

Sauf que ce n’est pas le cas alors il faut en faire plus. Surtout, on adore les stars (moi la première). Une campagne de publicité pour un film, c’est aussi des avant-premières avec tapis rouge et projections du film, ainsi que des interviews des acteurs principaux. Et c’est de ça qu’on va parler. Appelons-ça la promotion “glamour”. Comme une chanteuse qui part en tournée mondiale pour chanter ses tubes, désormais les acteurs et actrices d’un film partent en tournée autour du globe pour promouvoir leur film.

Ces press tours existent globalement depuis que les vols commerciaux existent. À l’époque du Old Hollywood, la descente de l’avion était l’apogée du moment glamour pour les célébrités qui arrivaient dans un nouveau pays. On se pressait pour voir Alain Delon descendre de son avion en Chine, et Marilyn Monroe en France. Voyager pour faire la promotion de son film n’est pas nouveau. En revanche, ce qui est nouveau, c’est la proportion de ces campagnes.

Si, avant, la tête d’affiche d’un film faisait l’émission de télé principale d’un pays ciblé par le press tour, maintenant c’est une autre histoire. C’est difficile à quantifier, mais désormais les stars d’un film font des centaines et des centaines d’interviews avec des journalistes de différents pays dans les villes où ils viennent faire la promo (généralement Los Angeles, New York, Londres, Paris, Berlin, Tokyo, Séoul, Sydney). Et ils ne font plus seulement des interviews questions-réponses pour promouvoir leur film, oh que non.

Ils font des interviews avec des chiots pour Buzzfeed, ils décryptent une scène pour Vanity Fair, montrent l’intérieur de leur sac pour Vogue, vont sur des talk-shows scriptés pour raconter une anecdote croustillante, mangent des chicken wings sur Hot Ones, vont en date avec Amelia Dimoldenberg, parlent de leurs quatre films préférés à Letterboxd, passent un détecteur de mensonges, racontent sur quoi ils sont d’accord ou pas d’accord pour LADbible, nous racontent leur Trou Story… Et je ne vous cite que les plus connus. C’est un rythme de fou, qui dure des mois.

Press tour : le film dans le film

Un bon press tour, c’est un press tour qui a un storytelling, une histoire à suivre, à laquelle on s’attache. Wicked est l’exemple parfait. Pour nous le raconter, on a interrogé les équipes marketing françaises de Universal Pictures France. Voilà les regards experts de Stéphane Réthoré, directeur général adjoint marketing et acquisitions locales, et Leslie Ding, cheffe de projet marketing, qui ont travaillé sur la promotion de Wicked en France :

“Il faudra des années pour réellement analyser tout ça, mais ce qu’on est en train de constater, c’est qu’aller au cinéma, pour le public français, c’est devenu quelque chose de très engageant, contrairement au contenu YouTube ou sur les plateformes de streaming. Là, on est chez soi et si on n’aime pas, on zappe. Le cinéma, c’est une autre histoire, surtout quand on paye sa place. Il nous faut alors une communication ultra cohérente, ultra claire, ultra limpide, et qu’on ne se trompe pas de cible. Il faut créer une urgence de voir un film. Et pour créer cette urgence, il y a deux solutions : soit avoir une franchise (comme Moi, moche et méchant), soit créer des marqueurs identifiables très forts, visuels, avec une promesse marketing.”

Bref, il faut créer une marque, mais aussi une histoire qui donne envie de se sentir lié au film. Bien sûr, tout le monde connaissait Barbie, mais en misant sur la couleur rose, en appelant les fans à aller au cinéma habillés en rose, le tout avec une Margot Robbie qui jouait avec les tenues de Barbie sur les tapis rouges, ça donne l’impression d’appartenir à un phénomène. Ainsi Barbie, à la surprise générale, a dépassé le milliard de dollars de recettes au box-office.

Mode et alchimie, le combo gagnant

Pour créer un engouement autour d’un film, il existe plusieurs techniques. Mais l’exemple par excellence, aussi vieux que le cinéma lui-même, ça reste les press tours avec deux acteurs à l’alchimie fascinante. Qu’ils soient en couple dans la vraie vie ou pas, c’est indéniable, on adore suivre leur moindre sortie et tapis rouge pendant les mois de promo. À tel point qu’on finit presque par aller voir le film pour voir ce couple fictif sur lequel on fantasme dans la vraie vie. Et ça marche, les stars le savent, les équipes marketing le savent. À l’époque de l’âge d’or hollywoodien, c’était carrément dans le contrat des stars de faire semblant d’être ensemble pour faire la promotion du film (un aspect évoqué à merveille dans le cultissime Chantons sous la pluie).

La preuve : Robert Pattinson et Kristen Stewart dans Twilight, Bradley Cooper et Lady Gaga pour A Star Is Born, Sydney Sweeney et Glen Powell pour Tout sauf toi, Zendaya et Tom Holland pour Spider-Man, Jessica Chastain et Oscar Isaac pour Scenes from a Marriage. Tous savent que leur alchimie dans la vraie vie est un gage de crédibilité pour le film. Et quand on ne veut/peut pas jouer la carte “romance”, on mise à fond sur l’amitié, la “bromance” : Timothée Chalamet et Zendaya pour Dune, Emma D’Arcy et Olivia Cooke pour House of the Dragon, Paul Mescal et Pedro Pascal pour Gladiator II.

Et évidemment… Ariana Grande et Cynthia Erivo pour Wicked. L’amitié entre les deux chanteuses a été au cœur de toutes leurs interviews. C’est une première étape. L’autre ticket gagnant : miser sur le rose et le vert. Le fameux method dressing, comme l’a théorisé le styliste de Zendaya, Law Roach : constituer toute une garde-robe sur le thème du film pour toute la durée de la promotion.

Les tenues roses et vertes d’Ariana Grande et Cynthia Erivo sont cruciales. D’un point de vue tendance, c’est comme si Wicked venait boucler la boucle : après le rose de Barbie en 2023, le vert de l’album BRAT de Charli xcx en 2024, la promo de Wicked toute de vert et rose est l’addition parfaite, presque du génie si on ne croit pas au hasard de la pop culture.

“C’était complètement volontaire ces tenues. Et même si, dans le cadre de leur press tour, Ariana Grande et Cynthia Erivo ne sont pas venues en France, grâce aux réseaux sociaux, on a les répercussions de tout ce qu’elles ont fait ailleurs.”

En France, les Galeries Lafayette ont été décorées de rose et de vert. Au même titre que l’Arc de triomphe. La promo complètement démentielle de Barbie a créé un précédent et une source d’inspiration dans la façon de concevoir cette promotion des films à travers une esthétique. Stéphane Réthoré et Leslie Ding expliquent :

“La promo de Wicked est inspirée de celle de Barbie. Les Américains ont complètement raison et nous ont beaucoup appris avec ce cas-là : l’énorme succès de Barbie nous a fait réaliser qu’il existait un public mal adressé : le public féminin. Barbie a prouvé que viser cette audience a explosé les scores au-delà des attentes.”

Comme les garçons qui s’habillent en Superman ou Dark Vador, concevoir une esthétique extrêmement précise et déclinable pour les filles est très bénéfique. Car quand une marque est créée, ce sont des années de recettes assurées. À l’heure où on ne peut plus compter sur la vente de DVD, les produits dérivés sont de la plus haute importance. Quoi de mieux alors qu’avoir un concept “marketable” à l’infini comme Barbie ou Wicked.

Les autres press tours notables

S’ils ne misent pas sur l’alchimie des acteurs ou sur un concept clair, les press tours ont d’autres moyens d’être mis en scène comme une série qu’on suit. Je pense notamment à Emma Watson, qui en 2017, pour la promo de son film La Belle et la Bête, avait choisi de faire de chacune de ses tenues un acte militant pour une mode responsable. Elle et sa styliste avaient créé un Instagram dédié, tout simplement appelé The Press Tour, où chacune de ses tenues était méticuleusement sourcée, prouvant qu’on peut faire de la promo de manière un peu éthique.

Évidemment, il y a aussi les press tours qui virent au fiasco. Un cauchemar pour les acteurs, mais un bad buzz qui parfois contribue à la hype d’un film. On pense à Harry Styles et Florence Pugh pour Don’t Worry Darling ou plus récemment It Ends With Us avec Blake Lively. Malheureusement pour eux (et nous aussi), “bad buzz is buzz”, les embrouilles d’acteurs qui ressemblent à des télénovelas marcheront toujours.

Quand on interroge les équipes marketing, évidemment se pose la question d’en faire trop. Trop de produits dérivés. Trop d’interviews. Trop de rose. Réponse ? Tant que ça marche, on mise dessus. Évidemment, toutes les campagnes de pub où l’on essaie de faire d’un blockbuster une marque ne prennent pas. Plus fou encore, et ça la France en est spécialiste : les plus gros succès n’ont parfois eu aucune promotion.

Et c’est ce qui est fascinant dans l’industrie du cinéma actuellement : les studios n’ont jamais dépensé autant d’argent pour faire la promotion d’un film, et pourtant, le film numéro 1 du box-office français cette année est une micro-production avec le budget pub d’une seule robe d’Ariana Grande : Un p’tit truc en plus d’Artus. Plus de dix millions d’entrées. Car, heureusement, la réussite complète d’un film viendra toujours d’une bonne histoire qui touche les gens. Et ça, toutes les équipes marketing vous l’avoueront.