C’est l’un des plus grands tubes de l’histoire du R’n’B français. Rien que ça. “Celle qui a dit non” de Wallen, sorti en 2001, permettait à la chanteuse alors âgée de 22 ans de faire une entrée fracassante dans les charts hexagonaux, et reste encore aujourd’hui un classique. Son ambiance est unique pour l’époque, et pour cause : cette identité sonore, cette patte débarquée dans le R’n’B du début des années 2000 est façonnée par l’un des plus grands beatmakers de l’histoire du rap français, Sulee B Wax.
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Actif dans le milieu hip-hop depuis la toute fin des années 1980 grâce à son groupe Little MC, Sulee a assez vite privilégié la composition à ses activités de rappeurs. En 2001, lorsqu’il produit le premier album de Wallen, À force de vivre, il est déjà une sommité dans le milieu. À son actif, on trouve de nombreux morceaux qui résonnent encore aujourd’hui dans les têtes et les enceintes : “Laisse pas traîner ton fils” de NTM (1998), “Pourquoi” de Busta Flex (1998), “Ma Génération” de Sté Strausz (1998), ou encore “R.O.H.F.F”, de Rohff comme son nom l’indique (2001).
“Personne ne comprenait ce qu’on était en train de faire”
Ses références sont résolument rap. Mais Sulee B Wax cherchait à faire autre chose : “Je voulais faire un album de R’n’B, mais il me manquait la bonne chanteuse, nous explique-t-il. Je voulais faire quelque chose de différent, pas du R’n’B mielleux qui parle uniquement d’amour. J’avais besoin d’un son très hip-hop, très street.” Cette couleur, le beatmaker s’en nourrit grâce aux albums du groupe américain Jodeci, mais aussi grâce aux prods du grand Timbaland.
“J’étais surtout influencé par ce qu’il avait fait pour Ginuwine. J’ai halluciné en entendant ça. Mais je ne trouvais toujours pas la voix qui correspondait à ce que je voulais faire au niveau de l’écriture et du flow. Et puis, un pote, Tino, qui venait du groupe N Groove, m’a présenté Wallen. Au début, je n’ai pas pensé grand-chose d’elle parce qu’elle est assez réservée, elle est toute timide. Je lui ai demandé de me faire écouter une démo ou quelque chose, mais elle n’avait rien. Par contre, elle avait un super grain, complètement unique. Je lui ai demandé si elle connaissait Aaliyah, mais elle n’avait écouté que l’album avec R Kelly, pas le dernier, One In A Million. Je lui ai donné, elle a pris une gifle pas possible. Je lui ai dit : ‘Écoute ça à fond et on se revoit dans quinze jours. Tu me feras quelque chose dans cette vibe.'”
Lorsqu’ils se revoient, la magie opère. “Je l’ai mise direct dans la cabine d’enregistrement, et elle m’a sorti des mélodies… Ça tuait. C’était exactement ce que je voulais. On a commencé à travailler sur le projet, on se voyait toutes les semaines, jusqu’au moment où j’ai eu assez de titres en stock pour aller démarcher les maisons de disques. Mais aucune ne comprenait ce qu’on était en train de faire. Ils ne voyaient pas pourquoi cette musique ressemblait tant à du rap, pourquoi elle était si dure et sombre.” En fait, les maisons de disques ont certes réalisé l’importance du R’n’B, mais en font encore quelque chose d’assez sirupeux, comme avec Ophélie Winter par exemple. Sulee et Wallen finissent par trouver un producteur, celui du groupe Louise Attaque, qui leur donne les clés et les moyens dont ils ont besoin.
Une réinterprétation d’un classique de Shurik’n
Les instrus s’enchaînent, et les titres s’enregistrent rapidement. “Toutes les prods que je fais sont créées sur-mesure pour les artistes. Pour Wallen, c’était pareil.” Et pour sa nouvelle protégée, il cherche à composer un futur classique, quelque chose conçu pour rester. “Un jour, Shurik’n (du groupe IAM) est venu me faire écouter son prochain titre, ‘Samuraï’. C’était incroyable.”
Ce morceau, devenu le single principal du premier album solo du rappeur, Où je vis, est produit par Shurik’n lui-même. Pour ce faire, il s’est basé sur un sample sorti de derrière les fagots : la bande originale d’un téléfilm français des années 1990, La Rivière espérance. Appelons un chat un chat : c’est une purge, et un flop. Mais la musique, composée par Bruno Coulais, est superbe.
Ce dernier est l’un des compositeurs français de musique de film les plus demandés sur le marché durant les années 1990/2000. Pour La Rivière espérance, diffusé sur France 2 en prime time, il écrit le morceau “Le Jouet”, avec ces cordes si particulières, jouées en pincé d’abord, très rythmiques, puis massives, avec cette mélodie que les amateurs de hip-hop reconnaissent désormais sans sourciller. Sur le titre, elle est située à 1 minute 02. Le passage est bouclé par Shurik’n, accéléré, pitché, et boosté par une batterie estampillée IAM.
L’influence de Bad Boy Records
À sa sortie, “Samuraï” est un carton. “Cette prod m’est restée, se souvient Sulee B Wax. Et puisque ça n’avait jamais été fait, je me suis décidé à la reprendre à ma façon mais en faisant poser Wallen et en invitant Shurik’n pour le featuring.” Le procédé peut paraître peu louable pour les non-initiés, mais s’inscrit pourtant dans une tradition hip-hop bien établie outre-Atlantique. “Puff Daddy faisait beaucoup cela à l’époque sur son label Bad Boy. Il reprenait des titres de hip-hop et mettre des chanteurs R’n’B dessus. Et comme je viens de cette école, c’était naturel pour moi de faire la même chose.” Seulement, il faut bien se différencier. La découpe du sample n’est pas tout à fait la même, la batterie non plus, mais surtout, Sulee décide de moderniser l’instru en faisant rejouer certains éléments de l’échantillon, donnant un son bien plus propre et large à “Celle qui a dit non”. “La maison de disques a joint Bruno Coulais qui a donné son accord très rapidement, conclut Sulee B Wax. Il a été très sympa, très arrangeant.”
En faisant de Wallen la star du R’n’B qu’elle est devenue, Sulee B Wax a réalisé l’un des plus beaux coups de sa carrière. Les deux artistes collaboreront de nouveau sur un second album, Avoir la vie devant soi, en 2004, mais leurs chemins finiront par se séparer. “Elle s’est mariée avec Abd Al Malik, a eu des enfants, et a mis sa carrière en pause pour se consacrer à sa famille.” Wallen sortira un nouveau disque en 2008, Miséricorde, mais sans Sulee. Le succès sera moindre, mais cela n’entache en rien la réputation de la chanteuse et l’impact de sa musique sur tout le R’n’B français. Ça, on ne l’enlèvera ni à elle, ni à son beatmaker attitré.