Le musée Picasso de Paris, qui abrite la plus importante collection publique d’œuvres du peintre espagnol, présente un accrochage entièrement renouvelé, avec un tout premier hommage à son ex-compagne et peintre Françoise Gilot. La nouvelle collection permanente réunit 400 œuvres dans 22 salles et sur trois étages d’un hôtel particulier, avec une pièce entièrement dédiée à Françoise Gilot, décédée à 101 ans en juin 2023.
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Cette dernière partagea la vie de Picasso pendant dix ans (1943-1953) et eut avec lui deux enfants, Claude (né en 1947 et décédé en 2023) et Paloma (née en 1949). Elle fait partie de ses rares compagnes à s’en être pleinement émancipées ; elle est parvenue à se réaliser en tant qu’artiste et ses œuvres sont aujourd’hui exposées aux Metropolitan Museum of Art et au MoMA de New York.
Une dizaine de ses tableaux, alternant entre figuration structurée et abstraction colorée, ainsi que plusieurs de ses dessins sont présentés dans cette salle du musée Picasso parisien. Si on a une critique à faire, c’est que la salle se trouve au “grenier” et qu’elle est un peu petite – on est loin des belles et grandes salles de début de parcours que le lieu peut offrir.
Il y a un cartel à son honneur, certes, mais qui n’explique que très peu sa démarche artistique : on aurait aimé avoir plus d’analyses sur son travail, voire de petits cartels explicatifs qui détaillent l’histoire de deux ou trois tableaux. Toutefois, nous saluons le travail de mémoire que la directrice Cécile Debray réalise depuis sa prise de poste en novembre 2021, au musée Picasso. C’est une belle revanche, que Françoise Gilot vole une salle entière à Picasso dans son propre musée : il s’y serait cruellement opposé de son vivant.
“En France, on me déteste”
À partir de 1965 et de la publication, un an plus tôt, de son ouvrage Vivre avec Picasso, qui le dépeint comme tyrannique, superstitieux et égoïste, elle s’est tenue à l’écart du milieu artistique français, avant de s’installer aux États-Unis en 1970. “En France, on me déteste”, disait Gilot dans le documentaire Arte Françoise Gilot, la femme qui dit non, réalisé par Sylvie Blum. “Elle n’a pas fait un livre contre Picasso, elle a fait un livre où elle a humanisé Picasso. Pourquoi devrait-il être un homme parfait ? […] Le rendre en espèce de dieu incontournable était une façon de le déshumaniser”, questionnait sa fille Paloma.
Évoquant ses sept années de vie commune avec le peintre, Françoise Gilot se comparait à Jeanne d’Arc : “Il fallait porter une armure du matin au soir, prouver sa force 24 heures sur 24. Nous étions très mal assortis”. Pour elle, cette relation fut “un prélude à [sa] vie, pas la vie”. “Intellectuellement, nous nous entendions bien, humainement, c’était un enfer. Il n’était pas méchant mais cruel, c’était un sadisme masochiste. […] À la fin, ma jeunesse lui devenait insupportable, et moi, je changeais aussi.”
Son livre rencontra un franc succès, fut traduit en seize langues, vendu à plus d’un million d’exemplaires et taxé d’opportunisme par certain·e·s. Il défraya tant la chronique à Paris que son ex-compagnon ne voulut plus recevoir leurs enfants, lui intenta non pas un, mais trois procès (!) pour faire interdire l’ouvrage. Il publia également une pétition à charge signée par 84 artistes et auteurs dont Pierre Soulages, Louis Aragon, Anna-Eva Bergman et Jacques Prévert.
En 2016, Françoise Gilot expliquait à l’AFP comment leur relation fut “un dialogue pictural” avec celui qu’elle avait “aimé” pour son “intelligence remarquable” et son “sens de l’humour”, décrivant sans rancœur “l’importance de la créativité ‘picassienne’ sur tout le XXe siècle, qu’on le connaisse personnellement ou pas”. C’est une reconnaissance nuancée qu’on peut retrouver sur les murs du musée Picasso, à Paris, à travers un affichage de citations d’artistes et d’autrices qui le rappellent à sa condition d’homme.
Avec AFP.