Avec le titre “Toute la vie”, les Enfoirés réussissent le tour de force de caricaturer les jeunes et de passer pour des réactionnaires.
Il a fallu cligner des yeux pour être sûr de ce que l’on voyait, de ce que l’on écoutait. Ce matin, on a découvert le dernier titre des Enfoirés, “Toute la vie”, accompagné d’un clip ayant pour objectif d’illustrer des propos parfois nauséabonds, souvent ambivalents, à certains moments réactionnaires. Bref, reprenons.
Vous êtes assis devant votre ordinateur et décidez, par inadvertance, de regarder la dernière proposition “culturelle” des Enfoirés. C’est une tradition : chaque année, une chanson, chaque année, une leçon. Avant même que le titre ne commence, vous discernez à l’écran une différenciation assez claire entre deux types de protagonistes disposés sur des estrades, face à face.
À gauche, des personnes dites “jeunes”. Personne de connu à l’horizon. À droite, la bonne vieille garde des Enfoirés, entre les routards (Gérard Jugnot, Mimi Mathy, Jean-Louis Aubert, Dany Boon, Patrick Fiori, Patrick Bruel, Pascal Obispo, Jean-Jacques Goldman) et la “nouvelle garde” (Matt Pokora, Amel Bent, Michael Youn, Zaz). Une certaine idée de l’excellence artistique à la française, en quelque sorte.
Lorsqu’on daigne écouter les paroles, le pire survient. Le clip, pour résumer, est une confrontation entre une génération sociale représentée par des jeunes évidemment rancuniers (“Avez-vous compris la question ?”) et des personnes “matures” proférant des leçons de vie (“Toute la vie, c’est une chance inouïe”). On est donc témoin d’un dialogue complètement ahurissant, retranscrit ci-dessous.
Les jeunes :
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Des portes closes et des nuages sombres
C’est notre héritage, notre horizon
Le futur et le passé nous encombrent
Avez-vous compris la question ?
Les vieux :
Vous avez tout, l’amour et la lumière
On s’est battus, on n’a rien volé
Nous n’avons que nos dégoûts, nos colères
[…]
Toute la vie, c’est une chance inouïe
Toute la vie, c’est des mots, ça veut rien dire
Toute la vie, tu sais le temps n’a pas de prix
[…]
Toute la vie, c’est à ton tour et vas-y
Les jeunes :
Vous aviez tout, paix, liberté, plein emploi
Nous c’est chômage, violence, sida
Les vieux :
Tout ce qu’on a il a fallu le gagner [Amel Bent et Zaz, le poing levé, ndlr]
A vous de jouer mais faudrait vous bouger
Les jeunes :
Vous avez raté, dépensé, pollué
Les vieux :
Je rêve ou tu es en train de fumer ?
Les jeunes devraient “se bouger”
Si chaque nouvelle chanson des Enfoirés était un non-évènement, le titre “Toute la vie”, en essayant tant bien que mal de retranscrire les questionnements et problématiques d’une classe en partie rêvée (les fameux “jeunes” qui fument tous, c’est bien connu), la chanson produit l’effet contraire avec un message qui se révèle, au final, anti-jeunes.
Le principal défaut du clip est de tenter de comprendre la jeunesse en la confrontant à elle-même : d’un côté, ceux qui ont réussi, de Zaz à Amel Bent en passant par Michael Youn. De l’autre, des assistés qui clopent et ont, en fait, “toute la vie devant eux” et qui devraient, oui, “se bouger”. Pas con, on n’y avait pas pensé.
Car en plus de n’avoir rien saisi du contexte socio-économique, comme le rappelle Madmoizelle, le collectif d’artistes a eu le toupet de mettre des images et des mots sur des clichés qui le fait passer pour une amicale de vieux réactionnaires confortablement assis dans leur canapé en cuir. Chapeau.