“Une femme sur trois est sujette à la violence”, ouvre l’exposition de Nieves Mingueza aux Rencontres de la photographie d’Arles. Après sa série Case 3181, qui reconstituait un féminicide, du crime à l’enquête, c’est autour de ces données des Nations unies, communiquées en 2021, que l’artiste a bâti son nouveau projet. Chez Nieves Mingueza, les femmes n’ont pas de visage. Pire, elles sont emmurées, effacées, déchirées, percées, maltraitées, étouffées. Cette mise en forme difficile renvoie au silence, à cet anonymat que les femmes subissent, aux statistiques froides auxquelles leur souffrance est réduite et à tous ces crimes que notre bon vieux système patriarcal laisse exister.
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Aussi, ce processus créatif brutal renvoie directement à la colère de l’artiste face à ces chiffres : elle arrache, déchire, cisaille le papier. “En mars 2021, Sarah Everard a été victime d’un féminicide – la pandémie invisible – et cette affaire a secoué le Royaume-Uni. La misogynie, la violence, le regard masculin… Tout cela a été mis en lumière dans les médias à ce moment-là. Cependant, selon le rapport des Nations unies de 2021, la violence à l’égard des femmes et des filles est l’une des violations des droits de l’homme les plus répandues, les plus persistantes et les plus dévastatrices au monde. Aujourd’hui, elle reste largement non signalée et invisible en raison de l’impunité, du silence et de la honte qui l’entourent”, détaille-t-elle à au magazine 1854.
Une femme sur trois, 2021. (© Nieves Mingueza)
Histoire de la violence
Dans “Une femme sur trois”, il est question de violences sexistes, sexuelles et sociétales organisées. Il n’est pas question d’individus, malgré les albums de famille et annuaires scolaires d’où ces photos sont extraites, mais d’un système entier et d’une histoire de la violence fragmentée, douloureusement reconstituée. Loin du sensationnalisme et de la re-victimisation des survivantes, l’artiste hispano-britannique malmène ces images comme la société maltraite ses femmes. Elle rend visible ce qui est tenu secret et dirige notre regard vers le système oppressif qui rend ces violences possibles, le plus souvent dans la sphère familiale et domestique.
Des scènes de crimes, des archives, des photos d’identité, toutes photographiées en noir et blanc, sont reliées à des chiffres effarants, des pourcentages, des dates, des âges. “En 2019, une femme sur cinq âgée de 20 à 24 ans avait été mariée avant ses 18 ans” ; “137 femmes sont tuées chaque jour par un membre de leur famille” ; “la plupart des violences contre les femmes sont commises par des maris ou des partenaires intimes, actuels ou anciens”, rapportent les Nations unies.
Une femme sur trois, 2021. (© Nieves Mingueza)
“Quels éléments constituent des preuves dans le cadre d’un crime sexiste ? Qu’avons-nous besoin de ‘voir’ pour croire la parole des femmes ? Souhaitant traiter cette problématique aussi ‘invisible’ qu’omniprésente, Nieves Mingueza transforme les archives pour dévoiler ce qui se produit souvent dans l’espace privé ou ce qui n’entre pas dans le cadre communément admis de la preuve.
Peu importent sa tenue, l’heure qu’il est, de savoir si elle est seule ou dans une foule : elle pourrait être cette femme sur trois. Adoptant la stratégie du recouvrement, Mingueza s’intéresse aux paysages patriarcaux qui surgissent et privent les femmes de leurs identités propres. Si la violence infligée varie par son intensité, elle est toujours le fruit des structures injustes qui lui permettent d’exister”, soulève Tanvi Mishra, commissaire d’exposition du Prix Découverte Fondation Louis Roederer.
Ainsi, dans des images d’intérieurs banals, Nieves Mingueza représente des croix ou des flèches numérotées, figurant l’endroit précis où la victime a été tuée et l’arme de crime, tantôt un pot, tantôt une télévision. Dans une autre photo, trois femmes sans visage posent avec joie le jour d’un mariage, un mur en briques recouvrant leur visage. En fin de parcours, on découvre une photographie de groupe sans visages. Seul un tiers des visages de ces femmes est recouvert de rouge, en référence à la statistique de départ, comme une éternelle boucle infernale, comme un cercle qui ne peut être brisé.
Une femme sur trois, 2021. (© Nieves Mingueza)
Une femme sur trois, 2021. (© Nieves Mingueza)
Une femme sur trois, 2021. (© Nieves Mingueza)
L’exposition de Nieves Mingueza, “Une femme sur trois” est présentée dans le cadre du Prix Découverte Fondation Louis Roederer des Rencontres de la photographie d’Arles jusqu’au 27 août 2023, à l’Église des Frères Prêcheurs.