“Changer les perspectives” au-delà des frontières : après plus de 25 ans de carrière, le goût du voyage et de l’ailleurs continue de façonner l’œuvre de JR, street artiste de renommée mondiale dont le dernier projet prend la route du rail. À 41 ans, le photographe français au chapeau et lunettes noires, devenu célèbre avec ses collages photographiques XXL, s’est lancé dans un “projet fou” : décorer tout un wagon du Venice Simplon-Orient-Express.
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“Les gens connaissent tous l’Orient-Express, mais beaucoup ne savent pas qu’ils roulent encore”, dit-il à l’AFP en marge de la 60e biennale de Venise. Pour l’occasion, le rutilant wagon-lit bleu nuit, devenu légendaire grâce au roman policier d’Agatha Christie et à ses adaptations au grand écran, a circulé à bord d’une barge cette semaine sur les eaux de la lagune de la cité des Doges, avant son lancement sur les rails européens au printemps 2025.
En décorant l’intérieur luxueux de cette “œuvre vivante” incluant un salon de thé et une bibliothèque, JR, qui maîtrise les codes du happening, s’est amusé à dissimuler dans ses recoins divers clins d’œil à son œuvre, des lettres, des jumelles, jusqu’à un appareil photo des années 1920. “C’est une de ces voitures-là qui a eu 1 000 vies. Quand on l’a récupérée en Belgique, elle était encore toute brûlée et cabossée, parce qu’elle avait été abandonnée depuis longtemps”, se souvient-il en confiant sa “fascination” pour l’univers des trains.
JR voit dans ce moyen de transport une manière de “faire voyager” ses œuvres, “comme un message dans une bouteille”. Œuvres monumentales en trompe-l’œil, portraits, collages… Des favelas de Rio au Louvre, de New York au Népal, le travail éphémère de l’artiste a traversé les frontières, jusqu’à faire l’objet de rétrospectives dans de prestigieux musées. Il y est souvent question de sujets sociaux, comme les droits des femmes (Women Are Heroes), l’immigration (Déplacé·e·s) ou les armes à feu (Guns in America).
“Vers l’inconnu”
Avant les festivals et les récompenses, le travail de l’artiste a puisé son inspiration sur les rails “avec les voyages en métro ou en RER” à Paris. “Quand j’avais 16-17 ans, les appareils ont commencé à devenir numériques. La photo n’était plus un sport de riche. Puis on a démocratisé le voyage, on pouvait voyager pour rien en train ou en avion à l’autre bout du monde. Je pense que je n’aurais pas été artiste si je n’étais pas né cette année-là”, confie-t-il.
Au-delà de sa mobilité géographique, le street artiste se plaît à arpenter “un chemin vers l’inconnu”, “comme le monde du ballet, de l’opéra, du train, etc. Finalement, c’est là où je pense que j’apprends le plus”, reconnaît-il. La rencontre faisant partie intégrante du voyage, JR revendique un “art infiltrant” impliquant activement les communautés et le public afin de gommer l’opposition entre sujets et acteur·rice·s.
En novembre, 25 000 personnes ont ainsi assisté à un spectacle de son et lumière, avec la participation de 153 danseur·se·s sur un immense échafaudage devant la façade du Palais Garnier à Paris, métamorphosée en grotte par l’artiste. Cette performance hypnotisante avait fait face à de nombreux obstacles, menacée par la pluie, les alertes attentat et les incertitudes techniques qui donnaient au projet “plus de chances d’échec que de succès”.
“Ce que les gens ne réalisent pas, c’est que nous-mêmes on savait pas si ça allait se passer. Mais si ça marche, d’un coup, c’est quelque chose qui n’a jamais été fait. Pour moi, c’est le signe que c’est un chemin intéressant”, explique-t-il. “C’est encore ce que je fais aujourd’hui : voyager, confronter les images aux autres, changer les perspectives, mais surtout questionner. Parce que je pense que c’est ça qui a la plus grande force de l’art.”