Pour ce mois d’Halloween, la rédaction de Konbini vous prépare une série horrifique. Des creepypastas aux films d’horreur méconnus, en passant par des malédictions venues d’ailleurs, un article quotidien vous fera frissonner jusqu’au jour des morts.
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Si l’on vous parle de cinéma d’horreur français, vous pensez sans doute à Haute Tension, Martyrs, Sheitan ou, plus récemment, Grave. Ce serait ne pas prendre en considération certains titres plus anciens – dont je vous parlerai plus tard dans le mois. Car avant ces films listés, un autre a lancé un véritable mouvement et est, si l’on réfléchit un peu, l’un des – si ce n’est le – films d’horreur les plus importants de l’histoire du cinéma hexagonal.
Il s’agit de Trouble Every Day, le seul film d’angoisse pure signé Claire Denis. Un film qui ne reprend en rien les codes du genre, qui se les approprie pour les insérer au sein d’un récit plus proche de la dramaturgie française, le tout avec des images d’une violence rare, qui vont marquer les rétines de plus d’une génération.
Une autre vision du cannibalisme
À la fin du XXe siècle, le journaliste américain James Quandt a qualifié la nouvelle scène de cinéma transgressif francophone de “New French Extremism”, une mouvance au sein du paysage cinématographique de l’Hexagone qui a poussé dans leurs retranchements les codes qu’on lui connaissait. A découlé de ce mouvement une branche gore qui a permis la naissance d’Alexandre Aja, Pascal Laugier, et de tous ces films des années 2000 cités plus haut.
L’une des figures de proue de ce mouvement, sortie quelques mois avant Irréversible de Gaspar Noé qui traduit bien ce que veut raconter ce mouvement, est donc le film Trouble Every Day de Claire Denis, précurseur, subtil, difficile. La cinéaste, déjà connue pour Beau travail entre autres, s’attaque ici au mythe du vampire cannibale, avec une approche inédite : celle de voir en lui une personne malade ayant besoin d’aide et de soins médicaux.
On y suit deux histoires entremêlées et dont le lien se construit au fur et à mesure que le récit avance. D’un côté, une Béatrice Dalle taiseuse et coincée dans une chambre, attirant des hommes à elle et alléchée par le sang qui coule dans les veines de ses futures victimes. De l’autre, Vincent Gallo, en voyage de noces à Paris, qui essaie de ne pas montrer à sa femme qu’il ne va pas bien et qui cherche un médecin pouvant l’aider – ou pas.
Trouble Every Day est la définition d’un film charnel. Les dialogues sont la plupart du temps aux abonnés absents, Claire Denis préférant se concentrer sur les personnages et leur comportement. Elle a une manière unique de filmer la peau, le corps, la bouche de ces pauvres créatures.
Elle réussit à rendre tangibles des choses pas vraiment palpables habituellement, en mettant au centre de toute son entreprise la figure du fantasme, de l’interdit, du danger, de la frontière à ne pas dépasser mais qu’on ne peut pas s’empêcher de traverser malgré tout. Et tout ça passe par une mise en scène d’un brio rare dans le cinéma dit d’horreur. Sauf que ce film est bien plus, on ne peut pas le limiter à cela.
Son héritage est trop grand, et son ambition trop folle. Sans Trouble Every Day, pas de Grave, par exemple. Peu de films d’horreur français ont été autant analysés, comparés, étudiés. Un succès qui ne fut pas immédiat, qui prit du temps, mais qui est désormais incontournable. Il est également un parfait film d’Halloween pour quiconque voudrait voir autre chose que des blockbusters bêtes et méchants pleins d’hémoglobine.
Trouble Every Day est actuellement disponible en streaming sur le site d’Arte, sur Canal+, et en DVD.