Signe est serveuse dans un café d’Oslo et vit dans l’ombre de son petit ami Thomas, un designer malhonnête en vogue. Après avoir vécu un événement traumatique qui la mettra brièvement dans la lumière, l’antipathique jeune femme va sombrer dans une spirale narcissique pour continuer d’attirer l’attention, à n’importe quel prix. Elle va alors se procurer illégalement du Lidexol, un médicament contre l’anxiété qui provoque également de graves éruptions cutanées qui vont peu à peu la défigurer et ainsi la visibiliser.
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Second long-métrage du norvégien Kristoffer Borgli, Sick of Myself est l’un des films les plus cinglés que l’on ait vus récemment. Dans la droite lignée du cinéma scandinave qui se plaît très souvent à sonder le plus obscur en l’humanité, Kristoffer Borgli pousse son étude de caractère toujours plus loin dans la névrose. Un peu comme si Julie (en 12 chapitres) rencontrait Julia Ducournau et sa bande de monstres. Voici donc trois bonnes raisons d’aller repousser ses limites devant Sick of Myself, en salle actuellement.
Pour Kristine Kujath Thorp, figure montante du cinéma norvégien
L’an dernier, on découvrait Kristine Kujath Thorp dans Ninjababy, le film de la Norvégienne Yngvild Sve Flikke, qui apportait une vision nouvelle du non-désir de maternité. Dans cette comédie grinçante et romantique, elle incarnait Rakel, une jeune femme indépendante qui apprenait accidentellement être enceinte de six mois. Dans l’obligation de mener cette grossesse à son terme, cette héroïne déterminée à ne pas être mère ne se laissera pourtant jamais détourner de son chemin.
L’énergie de Kristine Kujath Thorp contaminait tout le film jusqu’à sa conclusion, pleine d’émotions, qui nous a saisis par surprise. Dans Sick of Myself, l’actrice est une nouvelle fois remarquable dans un tout autre registre. Égocentrique, égoïste et mythomane, Signe aurait pu être une antihéroïne unidimensionnelle et simplement détestable. Mais sous la superficialité, elle suscite surtout de la pitié, puis sous la difformité, il continuera de transparaître cette fausse assurance bancale et vulnérable. Même sans visage, l’actrice parvient à tenir son odieux personnage tout en nuances.
Pour sa folie sans limite
C’est dans les cadres propres et lisses de la bourgeoisie intellectuelle d’Oslo que Kristoffer Borgli fait surgir l’horreur. Si on comprend très rapidement que son héroïne est atteinte d’un trouble de l’attention – ou plutôt du manque d’attention – qui va rapidement se muer en véritable démence, on est sans cesse pris de court par l’escalade de folie de ce film qui n’a peur de rien.
Pour exister, Signe, empoisonnée d’elle-même et jusqu’au-boutiste, plongera toujours plus profond dans une névrose sans limite. Ainsi, entre dîners mondains, vernissages épurés et shootings photo feutrés, Sick of Myself se muera en un véritable body horror movie puis en la plus terrible des dystopies contemporaines.
Pour assister au renouveau d’un certain cinéma scandinave
L’ouverture du film dans un restaurant chic où le couple se livre à une guerre d’ego et de fausse modestie autour d’une onéreuse bouteille de vin n’est pas sans rappeler la scène d’introduction de Sans filtre du Suédois Ruben Östlund qui se livrait ici à une satire du monde des ultra-riches et du luxe, avec un cynisme emprunté sans conteste par Kristoffer Borgli qui ne fait pas non plus dans la dentelle.
Ainsi, Sick of Myself s’inscrit dans la droite lignée d’un cinéma scandinave qui, depuis longtemps, se plaît à sonder les plus obscurs des vices humains et surtout ceux de la bourgeoisie, héritage du Dogme95 et de ses deux films fondateurs au malaise diffus : Les Idiots, signé Lars von Trier, qui suivait un groupe d’adultes se comportant comme s’ils étaient mentalement retardés, et Festen de Thomas Vinterberg, l’histoire d’une famille bourgeoise gangrenée par les crimes pédophiles du patriarche révélés à l’occasion de son soixantième anniversaire.
En s’attaquant à la problématique ultra-contemporaine de la surenchère dans la mise en scène de soi, Sick of Myself pourrait être l’enfant très névrosé de Drunk du même Vinterberg, qui observait un groupe de professeurs appliquer un obscur précepte selon lequel il faudrait avoir quotidiennement 0,5 g d’alcool dans le sang pour vivre sa vie en mieux, et de Sweat du Suédois Magnus von Horn, qui dressait le portrait d’une influenceuse fitness en pleine descente aux enfers. Sick of Myself est malaisant, détestable, outrancier, et c’est pour ça qu’on l’aime.