Du 12 mai au 17 juin 2023, l’Acacias Art Center, à Paris, accueillait l’exposition collective “INFILTRÉES – 5 manières d’habiter le monde”, réunissant les cinq artistes en lice pour le prix Reiffers Art Initiatives, qui récompense la création émergente.
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Binta Diaw, Han Bing, Meriem Bennani, Ser Serpas et Bianca Bondi ont exposé leurs œuvres dans le cadre de cet événement. Le prix est revenu à Ser Serpas, qui remportera 10 000 euros ainsi que la commande d’une œuvre muséale qui fera partie de la collection du fonds. Lumière sur ces cinq artistes qui font bouger les lignes.
Née et vivant à Milan, Binta Diaw est une artiste de 27 ans dont le talent se déploie à travers des installations monumentales qui explorent “les phénomènes sociaux qui définissent notre monde contemporain tels que la migration, la notion d’appartenance ou encore la question du genre” et interrogent “la domination d’une perspective eurocentrée”.
Ses matériaux sont multiples et parfois étonnants : l’artiste d’origine sénégalaise explore la craie, la terre, la peinture, des cordes, des drapeaux en tissu… mais aussi des cheveux synthétiques qu’elle tisse en tresses. Le public est invité à déambuler dans son œuvre, reflet d’une identité complexe et riche : “La sienne en tant que femme noire dans un monde européanisé ; la nôtre et celle d’un continent à la croisée de l’histoire et des géographies”, analyse Reiffers Art Initiatives.
Binta Diaw, Diaspora, 2021. (© Issam Zejly/Galerie Cécile Fakhoury, Abidjan, Dakar & Paris)
Diaspora, The land of our birth is a woman… Ses titres laissent entendre un féminisme intersectionnel qui lui est cher. “Sa recherche s’inspire du corps féminin pour repenser l’identité, l’effacement et la récupération tout en établissant des enchevêtrements subjectifs qui proposent des soins radicaux aux traumatismes hérités”, décrit Anissa Touati, commissaire d’exposition.
Parmi ses œuvres fortes, on retient Chorus of Soil, dans laquelle l’artiste a reproduit une carte de plantations datant du XVIIIe siècle, à travers une arche de terre où ont été plantées des graines de melon “à cause de leur lien aux plantations opérées par la mafia dans le sud de l’Italie, où des milliers de migrants sont exploités et vivent sous la menace du ‘caporali'”. Ici, elle honore la mémoire de toutes les victimes de l’esclavage, qui ont perdu la vie au cours de leurs migrations, des deux côtés de l’Atlantique. “Dans mes recherches, j’ai découvert des photos qui m’ont amenée à réfléchir au lien entre le trafic d’esclaves et les migrations contemporaines. Je voulais créer un temple dédié à la mémoire de ces femmes, hommes et enfants qui ont succombé lors de leur traversée”, explique l’artiste sur son site.
Binta Diaw, Diaspora, 2021. (© Issam Zejly/Galerie Cécile Fakhoury, Abidjan, Dakar & Paris)
Portrait de Binta Diaw. (© Courtesy of Cécile Fakhoury)
Née à Los Angeles dans une famille géorgienne, Ser Serpas travaille aujourd’hui à Paris. On l’avait découverte lors de l’ouverture de la Bourse de Commerce, en 2021, à Paris, où elle exposait quelques “toiles-selfies” issues de la collection Pinault, qui abordaient sa transition et son rapport au corps, à l’image. Depuis, elle n’a cessé d’enchaîner les expositions en galeries et musées.
Son travail mêle plusieurs disciplines : la peinture, l’installation et la sculpture. À 27 ans, cette “poétesse nomade” est connue pour ses installations conçues à partir des déchets urbains qu’elle ramassait dans les environs des lieux où elle exposait. Baignoires, matelas, pupitres, peigne, sèche-linge, chaise, étagères, planches en bois… Du plus grand au plus petit des objets banals et usagés, elle construit de vraies sculptures, des “jeux de mots” comme elle les appelle, qui transcendent le quotidien et donnent une impression d’effondrement imminent.
“Ayant hérité d’un monde très abîmé, elle [veut] créer de la poésie à partir de ses décombres”, interprète Reiffers Art Initiatives. “De ces matériaux détruits s’exhale un parfum de déclin. La tension et l’équilibre des sculptures résonnent de la précarité de bien des vies vécues – ou fortunes perdues – en même temps qu’elles font écho au fragile optimisme de leurs propriétaires. […] Il y a quelque chose d’anthropomorphique dans la façon d’habiter l’espace qu’ont ces sculptures, fabriquées à partir d’objets destinés aux usages humains, et limitées à ce qu’une personne peut construire ou soulever seule, sans attaches ni outils.”
Parmi ces sculptures, on retient celle qu’elle avait révélée à Miami : un fauteuil brûlé à la renverse. Le titre, penultimate warrior (self-portrait), laissait penser que cet objet parlait d’elle. Et la liste des matériaux utilisés révélait qu’il avait été calciné à l’estradiol, un stéroïde inflammable qu’on retrouve dans les traitements hormonaux comme celui que Serpas s’injectait lors de sa transition.
Née au Maroc, Meriem Bennani travaille à New York et est diplômée des Arts décoratifs parisiens. Son mode d’expression ? L’installation et la vidéo, avec une touche d’humour, de politique et de farfelu. L’artiste n’hésite pas à dénoncer les problèmes sociaux et politiques, que ce soit la rocambolesque gestion du Covid-19 aux États-Unis, l’exil des réfugié·e·s ou les droits des femmes, en puisant dans un vivier infini et immersif : l’empire YouTube.
Meriem Bennani, 2 lizards, 2021.
Dans 2 Lizards, une série animée réalisée en collaboration avec Orian Barki, elle met en scène deux reptiles errant à Brooklyn, vidée de ses passant·e·s et touristes durant la pandémie. Le scénario reprend les informations en continu diffusées à la télévision, des discussions avec des proches confinés, mais aussi les “bulletins du docteur Fauci, l’épidémiologiste chargé de conseiller la présidence, […] opposé à Donald Trump”, détaille Reiffer Art Initiatives. Sur son compte Instagram, Meriem Bennani tenait compagnie à des millions de personnes confinées grâce à ce feuilleton.
Elle mêle aussi des références à la pop culture, au féminisme et à l’identité marocaine, parfois fracturée. Dans Siham & Hafida, elle présente deux “Chikhates pratiquant l’art de l’Aïta”, “un style musical ancestral, populaire dans les fêtes traditionnelles”, qui “mêle la poésie du quotidien à des chants de révolte et d’émancipation” et qui “appela notamment à la résistance pendant la colonisation”. À travers deux personnages séparés par les âges, l’artiste questionne l’ancien monde des traditions orales et leurs diffusions aujourd’hui, notamment à l’ère des réseaux sociaux. Le récit s’accompagne évidemment d’éléments inattendus comme des irruptions de crabes et de papillons.
Portrait de Meriem Bennani. (© Sunny Shokrae)
Han Bing
Née en Chine, Han Bing vit désormais à Paris, après des études d’art à New York et Beijing. Cette peintre déconstruit le réel et l’urbain à travers des œuvres abstraites, troublantes et sensibles. Elle représente des rues, des scènes du quotidien, des architectures écrasantes, joue avec la matière, la texture, le glitch d’affiches publicitaires déchirées.
“La peinture est un moyen de résister à toutes les informations qui nous sont imposées”, exprime l’artiste à propos de son travail qu’elle lie à ses émotions, au théâtre, à la science et à la littérature. “Mes peintures sont parfois représentatives, mais c’est plus qu’il y a une dynamique dans laquelle quelques patchs se rencontrent de manière inattendue et transforment une situation bordélique en quelque chose qui avait du sens pour moi à ce moment-là”, explique-t-elle. De fragments en fragments, de déconstructions en déconstructions, la toile se crée.
Han Bing, A very friendly playground, 2022.
Han Bing, Through the Wire.
Portrait d’Han Ding. (© Charles Duprat)
Née à Johannesburg, Bianca Bondi est une plasticienne vivant aujourd’hui à Paris. Sa spécialité ? Créer des environnements immersifs, organiques, oniriques et futuristes, tout droit sortis de son imagination : des fontaines de pluie, des sources, des mers, des sels précieux et des plantes aux vertus médicinales… L’artiste tire son inspiration “de rites et croyances vernaculaires”, nous informe Reiffers Art Initiatives.
À titre d’exemple, elle a “imaginé The Daydream comme un espace semblable à un jardin” où le public découvre des “hortensias, de fines fougères en forme d’os, des amarantes, des eucalyptus et des feuilles ressemblant à des algues qui descendent en spirale”, une fontaine de bassins de couleur pastel, “des coquillages et des os d’oiseaux”.
Bianca Bondi, The Daydream, 2021.
En fond, se joue une musique atmosphérique : des chants d’oiseaux, une guitare sèche, le bruit de l’eau… Cette synesthésie nous ferait presque sentir la terre et les minéraux aqueux. Bondi revisite ici le phénomène de l’hypnagogie, le “moment de seuil de conscience où le rêve lucide peut se produire”, la “phase de transition entre le rêve et l’éveil”.
L’artiste n’hésite pas à expérimenter des réactions chimiques, climatologiques, olfactives, sonores ou lumineuses. Comme une archéologue de la féerie végétale, Bianca Bondi nous transporte dans des univers cireux à la fois chatoyants et troublants, dans lesquels on ne sait plus très bien s’il s’agit d’une utopie, d’une dystopie ou de notre monde présent.
Bianca Bondi, The private lives of Non-Human Entities, 2020. (© Courtesy of Martin Freiherr von Hagen)
Bianca Bondi, De toi à moi, 2022, vue d’exposition. (© Fondation Fiminco, Paris)
Bianca Bondi, Où les eaux se mêlent, 2019, biennale de Lyon.
Portrait de Bianca Bondi. (© Flora Mathieu)