En tirant sa révérence avec sa saison 4, Sex Education laisse une empreinte indélébile dans la pop culture. Son esthétique rétro et colorée, ses personnages ultra-attachants, son humour décomplexé… La série créée par Laurie Nunn a immédiatement conquis un large public lors de son lancement en 2019 sur Netflix. Maintenant qu’elle s’est achevée, que restera-t-il de Sex Education ?
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Son principal héritage, c’est d’avoir fait bouger les lignes sur tout ce qui concerne les sexualités, les questions de genre et la santé sexuelle. Avec humour et honnêteté, elle a abordé tout un tas de thèmes, sans le moindre tabou, de sorte qu’en la regardant, un lycéen ou une lycéenne qui se sentirait un peu différent·e ou paumé·e se voie représenté·e et trouve des réponses. De l’anorgasmie au validisme, la série a provoqué des conversations essentielles, a fortiori quand on traverse cette rude période qu’est l’adolescence. Voici donc un petit abécédaire des sujets abordés dans les quatre saisons de Sex Education.
Anorgasmie ⎥ Vous avez déjà dû l’entendre des centaines de fois, le fameux et valeureux “Je suis méga endurant”. Sauf que l’endurance trop prolongée, ce n’est plus vraiment de l’endurance, mais plutôt de l’anorgasmie, soit l’incapacité à atteindre l’orgasme. Adam, présenté comme le bully star de l’école en saison 1, est touché par l’anorgasmie, et son récit nous rappelle que cette condition est profondément liée au psychologique, et notamment à la peur de ce que les autres attendent de nous. Dans le cas d’Adam, la réputation autour de la proéminence de son pénis lui générait trop d’anxiété, à la source de son anorgasmie. Ce que d’autres avant elle auraient pu traiter comme un ressort comique, Sex Education l’érige en leçon de tolérance et d’acceptation de ses propres limites.
Asexualité ⎥ Si certaines séries commencent à intégrer le “A” de LGBTQIA+ par le biais de certains personnages, l’incursion sur le petit écran de l’asexualité est encore timide. On parle évidemment beaucoup de sexe dans la série, mais dès la saison 2, une patiente de Jean réalise qu’elle n’éprouve aucune envie d’avoir des relations sexuelles ; elle pense qu’elle est “cassée”. Jean, toujours aussi bienveillante, la rassure : “Le sexe ne fait pas de nous des êtres complets. Donc comment pourrais-tu être cassée ?”
L’asexualité est un terme assez vague. On parle de “spectre de l’asexualité” car elle se décline sous différentes formes qui peuvent inclure ou non l’attirance romantique et sa représentation la plus courante peut parfois être confondue avec l’abstinence. En saison 4, le personnage de “O”, la sexothérapeute qui concurrence Otis dans le nouveau lycée, fait son coming out “ace” (un synonyme d’asexuel·le) sous la contrainte. Elle n’en demeure pas moins fascinée par les préoccupations sexuelles de ses camarades et s’avère être une excellente conseillère sur le sujet.
Avortement ⎥ L’interruption volontaire de grossesse a longtemps été l’un des plus grands tabous de la télévision américaine. Pratiquement jamais mentionnée dans les séries des grands networks, il a fallu attendre l’arrivée des chaînes câblées, où presque tout était permis, pour porter ce véritable sujet de société à l’écran avec davantage de franchise. La télé a aussi bien pris son temps avant d’en montrer des représentations réalistes.
Loin du puritanisme américain et de sa police de l’audiovisuel, Sex Education n’y est pas allée par quatre chemins. Dès la saison 1, Maeve apprend qu’elle est enceinte et décide de mettre un terme à sa grossesse. Dès lors, la série ne la quitte plus. On la suit pas à pas dans son choix. Dans la clinique, elle rencontre d’autres femmes, avec des histoires différentes de la sienne, qui viennent elles aussi avorter, pour différentes raisons et avec des façons différentes de gérer cela émotionnellement. L’un des moments les plus authentiques de toute la série.
Bisexualité/pansexualité ⎥ Ce n’est pas l’orientation sexuelle la plus invisibilisée mais elle reste mal-aimée sur le petit écran. Ses rares représentations penchent disproportionnellement du côté des femmes bisexuelles parce que, même dans les séries les plus progressistes, le male gaze se niche dans les interstices. Une femme bisexuelle est encore perçue comme “plus sexy” (pour qui, on se le demande ? Et pourquoi est-ce que ce serait un critère tout court ?) qu’un homme bisexuel. Quant à la pansexualité, qui définit une attirance pour l’autre émancipée de toute binarité, qu’importe son expression de genre ou son identité, elle est ghostée comme jamais.
Mais bon, on avance, timidement, vers une présence de plus en plus normalisée pour la première et une un poil moins rare pour la seconde. Sex Education l’a bien compris : on ne peut décrire l’éveil de la sexualité chez les ados sans parler de bisexualité ou de pansexualité. Ainsi, dans la saison 2, Ola ressent de l’attirance pour Lily. On la pense d’abord bisexuelle, car Lily est une jeune femme cisgenre, mais c’est Ola elle-même qui se définit pansexuelle. Adam, de son côté, mettra un peu de temps (pas aidé par une montagne d’homophobie intériorisée dont on vous parle plus bas) avant de comprendre qu’il est attiré par les hommes (spécifiquement Eric) mais aussi toujours par les femmes.
Consentement enthousiaste ⎥ Sex Education s’est fait le fer de lance d’une sexualité épanouie, sans tabou et surtout sans honte. Dès le début, l’accent est mis sur le consentement. C’est l’une des grandes batailles féministes de ces dernières années, en particulier avec le mouvement #MeToo, et les séries, parce qu’elles sont de grandes messagères, ont évidemment un rôle à jouer dans les représentations de la sexualité à l’écran. Fini les James Bond qui foutent des torgnoles à leurs conquêtes avant de leur arracher un baiser (le combo violence sexiste + agression sexuelle) et bonjour le “consentement enthousiaste” !
Sex Education a rendu ça sexy : les partenaires se parlent et l’un demande à l’autre si c’est OK de l’embrasser là, de le/la toucher ici, ou de lui titiller la prostate avec le doigt comme on le voit dans la saison 4. On teste, on expérimente, on est tout feu tout flamme… mais on communique et on s’assure que l’autre est toujours partant·e à chaque instant. C’est comme ça que Jackson découvre les bienfaits de la stimulation prostatique !
Coordinateur·ice d’intimité ⎥ Sex Education n’est pas la première à avoir utilisé les services de ces conseillers et conseillères, mais elle a assurément mis un coup de projecteur sur ce métier dont l’existence est assez récente. De la même manière qu’il y a désormais des référent·e·s Covid-19 sur les plateaux anglo-saxons, dont le travail est de s’assurer que le protocole est respecté afin que chacun et chacune puisse bosser en toute sécurité, certaines productions choisissent de s’attacher les services de coordinateur·rice·s d’intimité. Ita O’Brien, l’une des pionnières en la matière, est intervenue sur Sex Education, et David Thackeray a géré la saison 4.
© Netflix
Concrètement, ces personnes, qui ont reçu une formation spécifique, sont présentes sur le tournage dès qu’une scène “intime” (comme le nom du métier l’indique) doit être filmée. Leur job n’est pas de contraindre le ou la réalisatrice ni le cast mais au contraire de rendre la scène de sexe le moins inconfortable possible pour les différent·e·s acteur·rice·s. On les compare souvent à des coordinateur·rice·s de cascades, et à raison : leur présence permet à tout le monde de réfléchir à la chorégraphie des mouvements, en toute sécurité et avec un consentement partagé. Un vrai plus sur un plateau !
Dépression post-partum ⎥ La série aurait pu faire le choix de nous montrer la grossesse du point de vue d’une adolescente, mais en ayant conservé dans son cast principal la sublime et talentueuse Gillian Anderson pour jouer Jean, la mère d’Otis, Sex Education s’est aussi offert un point de vue différent : celui d’une femme d’âge mûr. La cinquantaine flamboyante, Jean est sexuellement active et épanouie, mais lorsqu’elle commence à sentir que son corps change, son premier instinct est bien sûr de penser qu’il s’agit de la ménopause. Perdu ! Elle est enceinte. Alors que son fils s’apprête à quitter le lycée pour la fac, la voilà à pouponner, seule.
Parce que oui, Jean est atrocement seule. Le père ne fait pas partie du tableau, Otis lui reproche de le délaisser alors qu’il ne lui file même pas un petit coup de main, et pour couronner le tout, son insupportable sœur débarque, ce qui ajoute à sa charge mentale. Les hormones font le reste : Jean se tape une dépression post-partum. Pas un “baby blues”, non, une bonne grosse dépression que seules les personnes qui viennent d’accoucher peuvent comprendre. Ce n’est ni glamour ni héroïque, et c’est quelque chose d’encore très relativisé dans notre société. Jean nous dit aussi qu’il est important de demander de l’aide, qu’elle soit amicale, professionnelle et/ou médicamenteuse.
Douche anale ⎥ On ne l’attendait pas, et pourtant, Sex Education l’a fait : une séquence de tutoriel sur le lavement anal présentée par le personnage de Rahim, avec croquis en bonus. Et pour ça, on lui dit merci. Le personnage d’Anwar permet également de mettre en lumière les troubles que peuvent rencontrer la plupart des hommes gays (mais aussi toute personne souhaitant explorer le sexe anal), dont notamment la paranoïa autour de l’hygiène, qui trouve sa source dans une mauvaise connaissance de cette pratique encore trop taboue et donc mal documentée.
© Netflix
Homophobie intériorisée ⎥ C’est la croyance, pour une personne attirée par quelqu’un du même sexe, en des stéréotypes négatifs la concernant. Il est compliqué d’aborder l’homophobie intériorisée dans ce genre de série tant celle-ci est liée à une certaine forme de violence pas forcément adaptée à un jeune public. Et pourtant, Sex Education parvient à dessiner les contours de ce phénomène à travers les personnages d’Eric, qui change radicalement sa façon de s’habiller suite à une agression homophobe en saison 1, et d’Adam, qui a du mal à se défaire de la honte au moment d’assumer sa relation avec Eric en saison 3. Avec nuance et honnêteté, la série parle de honte sans verser dans le discours éculé du misérabilisme queer. Et ça, c’est à applaudir.
Non-binarité ⎥ Lorsqu’il est question d’aborder des néologismes susceptibles de rebuter une partie du public cisgenre et de biaiser le vécu de spectateur·rice·s concerné·e·s, Sex Education sait y faire. En saison 3, son approche de la non-binarité, une identité qui ne se retrouve ni totalement dans le genre masculin ni totalement dans le féminin, en est la preuve. En s’articulant autour de la réforme des uniformes genrés au sein du lycée, la série offre au personnage non binaire de Cal une arche narrative riche et complexe et aborde de façon juste le rapport d’une personne non binaire à son propre corps. Aussi, en lui autorisant une romance, la série s’écarte de l’essentialisation en permettant à son personnage d’exister au-delà de sa non-binarité. Un élément qui peut cruellement manquer dans les récits dits “queers”, la plupart du temps exclusivement centrés autour de l’identité de genre ou l’orientation sexuelle des protagonistes.
TSPT (PTSD) ⎥ Sex Education a, entre autres mérites, su mettre des mots sur des choses aussi abstraites que tristement banales. Lorsque, en saison 2, un homme se masturbe et éjacule sur Aimee dans le bus, la jeune femme se replie d’abord dans sa désinvolture habituelle : rien de grave, tout va bien. Mais le malaise s’installe peu à peu et ses copines, elles, ont compris. Elles vont l’aider à nommer ce qui lui est arrivé : Aimee a été victime d’une agression sexuelle, ni plus ni moins. Les conséquences de cette réalisation, le trouble de stress post-traumatique (TSPT) (en anglais : post-traumatic stress disorder (PTSD)), s’étaleront jusqu’en saison 4, où elle trouvera dans la photographie une forme de catharsis pour gérer son traumatisme.
Vaginisme ⎥ Alors que Lily et Ola se mettent finalement ensemble vers la fin de la saison 2, on les retrouve au lit dans le dernier épisode, s’adonnant à des activités sexuelles réjouissantes, jusqu’à ce que le vagin de Lily ne se referme tel une dionée attrape-mouche, pour reprendre la métaphore florale qu’elle utilise. Elle explique alors à sa partenaire qu’au vu de sa condition, elle préfère se faire plaisir “en surface”, en jouant par exemple davantage avec son clitoris. Et ce qui est vraiment admirable, c’est que la série ne se limite pas à souligner les aspects négatifs du vaginisme de Lily, en tentant d’expliquer quels traumas ou quelles formes d’anxiété lui causent ce mal, mais raconte à la place comment Lily ne se laisse pas définir par cette condition en continuant d’avoir une vie sexuelle malgré son vaginisme.
Validisme ⎥ On a très peu d’exemples de séries dans lesquelles une personne en situation de handicap s’adonne au sexe, une activité pourtant universelle mais dont la fiction a eu tendance à priver ces personnages. On se souvient affectueusement de Special, sur Netflix, avec son héros vivant avec une paralysie cérébrale. Une rareté regrettable qui trouve sa source dans le validisme, qui est l’ensemble de codes sociaux faisant des personnes “valides” la norme sociale.
À travers une scène d’intimité partagée entre les personnages de Maeve et d’Isaac en saison 4, la série a fait bouger les lignes par rapport notamment à la représentation des personnes en fauteuil et a largement été saluée par les fans. La levée de boucliers des élèves du lycée face aux pannes répétées de l’ascenseur et au manque d’accessibilité de l’établissement n’était peut-être pas la plus inspirée ni la plus subtile, mais elle nous a mis du baume au cœur. Et on espère que ça inspirera les lycéens et lycéennes valides à être de meilleur·e·s allié·e·s.
Article écrit par Delphine Rivet et Flavio Sillitti.