Sorti le 20 avril 2011 dans les salles françaises, le deuxième long-métrage de la réalisatrice, qui célébrait l’enfance et la liberté, résonne toujours aussi fort. À la faveur de l’été, ce film lumineux avait la saveur de la normalité, des après-midi d’ennui, de la crème solaire et des amitiés éphémères. Mais surtout, il sublimait la question du genre sans aucune revendication politique.
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“Ce n’est pas un tract. […] Je ne cherche pas à faire de démonstration”, affirmait Céline Sciamma. Mais si Tomboy se voulait être la simple exploration d’un personnage enfantin qui réfléchit et qui observe, il a rapidement pris une dimension politique malgré lui. Joyeux anniversaire à ce chef-d’œuvre de simplicité qui célèbre l’intelligence enfantine.
Une œuvre initiatique universelle
Si Céline Sciamma s’est immédiatement imposée comme une réalisatrice qui sait filmer les femmes, elle est également une grande cinéaste de l’enfance. Et Tomboy, dans son entièreté, la célèbre dans chacune de ses aspérités : son autonomie, son libre arbitre mais aussi ses troubles et même parfois sa cruauté.
Pour cela, elle a su dénicher des actrices débutantes taillées pour leur rôle, l’androgyne et énigmatique Zoé Héran et la petite Malonn Lévala, déconcertante de spontanéité. Elle a également dirigé à la perfection sa bande d’apprentis comédiens, impressionnants de justesse et de naturel, qui nous invitent dans leurs jeux estivaux.
Si les enfants de Tomboy semblent à leur aise, c’est aussi grâce à la simplicité et à l’efficacité du dispositif : vingt jours de tournage, cinquante séquences, deux décors et un quasi-huis clos entre l’appartement et les alentours de la cité. Le scénario élémentaire est également à leur portée car il repose sur un simple et naïf quiproquo : pendant les vacances d’été dans son nouveau quartier, Laure rencontre Lisa. Laure a les cheveux courts et porte un bermuda. Elle sera donc il.
“On m’a dit : ‘C’est une fille qui se fait passer pour un garçon.’ J’ai répondu : ‘Ah OK, rigolo, c’est parce qu’elle veut des amis ?’ Et Céline Sciamma m’a dit : ‘Oui, c’est ça'”, se souvient Zoé Héran, désormais âgée de 22 ans, que So Film a interrogée dans le cadre de son dernier numéro dédié à la notion de genre au cinéma.
Pendant un été de liberté, Laure va donc se réinventer et se faire passer pour Mickaël auprès des autres enfants du quartier : elle joue au foot torse nu, se fabrique un pénis en pâte à modeler pour les jours de baignade et se lie d’une amitié à la frontière de l’amour avec Lisa. Jeanne, sa petite sœur, est son unique complice dans ce mensonge et leur belle sororité, une valeur chère à Céline Sciamma, est sublimée pendant tout le film.
La normalité de l’environnement dans lequel grandit Laure rend également son récit universel. Elle vit une enfance classique, presque générique, ses parents sont parfois absents mais toujours aimants et c’est loin des adultes que les enfants s’amusent et se réinventent en toute autonomie. Ainsi, aucun déterminisme lié à l’éducation familiale ne vient politiser la démarche de Laure. Simple jeu ou véritable questionnement identitaire : le film ne tranchera pas.
La réaction de la maman de Laure lorsqu’elle découvre les jeux estivaux de sa fille ne prend pas parti non plus. Elle est dure mais également humaine et on comprend ses larmes de colère face à ce qu’elle vit comme une trahison de la part de son enfant, ou comme le signe de son mal-être. Mais c’est lorsque l’été touche à sa fin et que la rentrée des classes approche que Tomboy vire au huis clos angoissant. Bientôt, Laure ne pourra plus faire semblant et Céline Sciamma ménage le suspense à la perfection.
Un Tomboy de mauvais genre
Dès sa naissance en 2011, le petit Tomboy a fait beaucoup de bruit. Il a reçu le Teddy Jury Award, qui récompense une œuvre sur un sujet LGBT à la Berlinale et, la même année, il est entré dans les catalogues des programmes “École et cinéma” et “Collèges et cinéma”, soutenus par le ministère de l’Éducation nationale et le CNC, pour “ses qualités artistiques indéniables”.
“Apparente simplicité de la mise en scène, art du suspense maîtrisé et direction du jeu des jeunes acteurs non professionnel […], Tomboy est un film à hauteur d’enfant, et je ne vous cache pas que c’est difficile de faire rentrer des œuvres contemporaines de qualité, avec cette fraîcheur”, s’est enthousiasmée Delphine Lizot, coordinatrice nationale du dispositif, dans les colonnes de So Film.
Mais déjà, ça ne passe pas et la fronde s’organise. “Tomboy a-t-il sa place à l’école ?”, titrait alors Le Courrier de l’Ouest, le 9 décembre, en s’appuyant sur la lettre d’une maman d’un élève scolarisé à Niort adressée à la directrice de l’école et au directeur académique, visiblement très en colère : “Il est tout à fait dangereux de laisser penser à des enfants de 9 ans que l’on peut changer de sexe, qui plus est sans dommage”, estimait-elle.
Récupérée par La Manif pour tous, la polémique a enflé et une pétition contre la diffusion du film dans les écoles a été lancée, recueillant plus de 41 000 signatures. En février 2013, Tomboy était diffusé sur Arte et s’est cette fois-ci attiré les foudres des ultra-catholiques de Civitas, qui accusaient la chaîne franco-allemande de “prosélytisme en faveur de l’idéologie du genre”.
“Les parents étaient un peu plus vénères. On a pris à partie ma mère en lui demandant comment elle avait pu laisser passer certaines scènes comme celle de la baignoire. […] Quand les affiches sont sorties, c’était un peu trop. Ma mère a même demandé à la mairie de ne pas en mettre devant mon collège”, s’est souvenue Zoé Héran pour So Film.
Dix ans plus tard…
Dix ans après sa sortie, laisse-t-on enfin Tomboy en paix ? Le film poursuit son petit bonhomme de chemin et figure toujours au programme d'”École et cinéma”. Au cours de l’année scolaire 2019-2020, 45 000 élèves ont vu le film en France, rapporte So Film, qui constate néanmoins quelques annulations. Si certains parents continuent de refuser que leurs enfants assistent à la projection, ce sont désormais des cas isolés.
“Il faut ménager les réactions parfois très violentes de certains […], mais contrairement à l’époque de la polémique, il n’y a pas lieu d’établir un dispositif particulier car ce sont vraiment des cas très isolés”, tempère Caroline Robin, coordinatrice en action culturelle à la direction des services départementaux de l’Éducation nationale en Charentes, dans les colonnes du magazine.
Mais surtout, grâce à la nouvelle notoriété de sa maman hors de l’Hexagone, Tomboy s’offre désormais une seconde jeunesse à l’international. Portrait de la jeune fille en feu, son dernier long-métrage, a remporté un incroyable succès à l’international, franchissant le seuil symbolique du million d’entrées hors de nos frontières, notamment aux États-Unis avec ses 270 000 tickets vendus, et en Corée du Sud où 150 000 spectateurs ont vu le film.
Ce succès a donc poussé le distributeur Bluelabel Pictures à sortir les films précédents de la réalisatrice, encore inédits, sur les grands écrans coréens. En mai dernier, Tomboy était alors proposé dans 361 salles et avait réuni 310 000 cinéphiles ainsi qu’une solide adhésion sur les réseaux sociaux, grâce notamment à une campagne marketing à destination d’un public jeune et l’essor récent d’un public coréen féminin amateur de cinéma indépendant.
Maintenant que Tomboy a atteint l’âge de raison, on espère qu’il aura des petits frères et petites sœurs au moins aussi turbulents que lui pour prendre la relève et continuer à pousser les esprits étriqués dans leurs retranchements.