Habituées des Golden Globes, Tina Fey et Amy Poehler ont pour la quatrième fois coprésenté la cérémonie de remise de prix ce dimanche 28 février. Mais cette année, les deux complices ont enchaîné les blagues chacune de leur côté du continent, à des milliers de kilomètres de distance.
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Covid oblige, la soirée a eu lieu en visioconférence, privée de ses célébrités et du traditionnel tapis rouge. Tina Fey était en direct de la Rainbow Room à New York et Amy Poehler du Beverly Hilton à Los Angeles, toutes deux devant un parterre de travailleurs essentiels en lieu et place des stars “qui ont ainsi pu rester chez elles, en sécurité”.
Mais la distance n’aura su altérer l’alchimie entre les deux célèbres amies et, ensemble, elles ont gentiment vanné certains nominés et tiré à boulets rouges sur le manque de diversité de l’Association de la presse étrangère de Hollywood (HFPA) qui décerne les récompenses.
“Tout le monde est naturellement contrarié par les choix de la HFPA. De nombreux navets tape-à-l’œil ont été nominés. Ça arrive tout le temps. C’est leur truc. Mais de nombreux acteurs noirs et projets menés par des artistes noirs ont été omis […]. On sait que ce genre de cérémonies sont nulles. […] Mais même dans les trucs les plus nuls, l’inclusivité est importante. Or, il n’y a pas un seul membre noir au sein de la Hollywood Foreign Press Association. Peut-être que vous n’avez pas reçu le mémo comme vous travaillez depuis le fond d’un McDonald’s en France mais il faut vraiment que ça change.”
Succéder à Ricky Gervais et son corrosif discours d’ouverture des 77e Golden Globes dans un contexte de distanciation sociale et virtuelle n’aura pas été une mince affaire. Mais entendre s’élever ces deux voix précieuses dans le consensuel paysage hollywoodien fut, une fois encore, très réjouissant. Portrait d’un duo d’artistes essentiel.
Des piliers du Saturday Night Live
Comme de nombreuses stars de l’humour outre-Atlantique, Tina Fey et Amy Poehler sont des reines de la comédie américaine totalement sous-cotées en France. À l’instar de Kristen Wiig ou Maya Rudolph, révélées sur le grand écran grâce à l’excellent Mes meilleures amies, le duo Fey/Poehler a fait les beaux jours du Saturday Night Live dans les années 2000.
Toutes deux ont fait partie du club très privilégié des “full cast members” du SNL et ont ainsi marqué l’histoire de l’émission. Amy Poehler est promue dès sa première saison à l’antenne et est la première femme dans l’histoire de l’émission à recevoir cette distinction aussi rapidement.
Tina Fey est quant à elle la première femme à occuper le poste de scénariste en chef pour l’émission. Elle est également co-animatrice du bulletin d’information parodique SNL Weekend Update aux côtés de Jimmy Fallon, qui quitte le show en 2004 et est alors remplacé par Amy Poehler. Pour la première fois, deux femmes sont à la tête de l’émission.
Dès les années 2000, le duo Fey/Poehler n’a de cesse d’étriller la misogynie, avec pédagogie et surtout beaucoup humour, dans un milieu alors encore très masculin. Elles ont ainsi ouvert la voie à une nouvelle génération d’humoristes féministes talentueuses, avec en cheffe de file, l’autre célèbre Amy de l’humour américain : Amy Schumer.
Amy Poehler poursuit jusqu’en 2008 une impressionnante carrière de huit saisons sur le plateau du SNL, tandis que Tina Fey quitte l’émission en 2006 pour se consacrer à sa sitcom 30 Rock. Mais de cette fructueuse collaboration sur les bancs du Saturday Night Live sont nées une amitié solide et une alchimie artistique toujours au rendez-vous.
Des héroïnes de sitcoms à succès
Les 78e Golden Globes se sont tenus dans un contexte très peu favorable au cinéma, délaissé au profit des plateformes et donc des séries, dont se sont amusées les deux humoristes. “Les séries TV, c’est ce qu’on regarde pendant cinq heures d’affilée et les films, c’est ce qu’on ne lance pas parce que ça dure deux heures. On ne veut pas passer deux heures devant sa télé mais on veut bien être devant sa télé une heure cinq fois“, ont-elles plaisanté. Pourtant, les deux actrices sont elles-mêmes responsables de longues heures de binge watching puisqu’elles sont les héroïnes d’excellentes workplace sitcoms à succès.
À ma droite, Tina Fey et les 135 épisodes de 30 Rock, chronique des coulisses d’une émission de télé, sorte de version bon marché du SNL pour NBC et largement inspirée de l’expérience de scénariste de sa créatrice. Elle y a également endossé le rôle principal de Liz Lemon, la productrice de l’émission qui tente de manager au mieux une bande de scénaristes infantiles. Dans 30 Rock, Tina Fey sondait les états d’âme de son personnage féminin qui pataugeait dans de multiples contradictions, tiraillé entre les impératifs de sa position de girl boss et ses idéaux démocrates au service d’une multinationale.
À ma gauche, Amy Poehler, interprète de l’inégalable Leslie Knope dans l’excellente Parks and Recreation, créée par Greg Daniels et Michael Schur après The Office. Elle aussi y interrogeait les idéaux d’une girl boss enthousiaste et attachante, directrice adjointe du département des Parcs et Loisirs de la mairie de Pawnee, une petite ville fictive et déprimante de l’Indiana, qui se rêve en première femme présidente des États-Unis. Poehler se glissait dans un rôle qu’elle aime à imaginer comme son double fictionnel : un personnage excessif, une manageuse parfois exaspérante mais faisant preuve d’un féminisme à toute épreuve et d’un sens de l’amitié et de la loyauté inégalé.
Toutes deux réitéreront ensuite dans l’ombre d’autres séries féministes : Tina Fey en tant que créatrice de l’ovni Unbreakable Kimmy Schmidt et Amy Poehler en tant que productrice de Russian Doll ou de la pépite Broad City. Ensemble ou séparément, par le biais de leurs sketches ou de leurs fictions, elles ont fait évoluer la représentation des personnages féminins dans la culture populaire, au travers d’héroïnes duelles qui jamais ne s’excusent de leurs aspérités.
Des voix à part sur grand écran
Mais le duo a également voix au chapitre sur grand écran. Si chacune de leurs apparitions communes est toujours un petit événement et la perspective d’un réjouissant moment d’humour, c’est également une rareté qu’elles cultivent, ne partageant que rarement le haut de l’affiche.
En 2008, elles apparaissaient pour la première fois ensemble au cinéma pour traiter de la grossesse et de la maternité dans Baby Mama. En 2015, les deux complices ont été réunies par le réalisateur de Pitch Perfect pour camper deux sœurs que tout oppose. Loin des personnages de Liz Lemon et Leslie Knope, elles ont invité à la fête leurs vieilles copines du SNL pour nous livrer Sisters, une comédie déjantée à sketches un poil lourde mais jubilatoire car emmenée par deux artistes talentueuses.
Mais avec Amy Poehler et Tina Fey, loin des yeux rime avec près du cœur. Lorsqu’elles ne partagent pas l’affiche, les deux amies ne s’oublient pas et font régulièrement appel l’une à l’autre pour leurs projets respectifs. En 2004, Tina Fey scénarisait le désormais cultissime Lolita malgré moi dans lequel Amy Poehler interprétait la mère de Regina George. Un rôle qui aurait pu lui échapper si son amie n’avait pas insisté, Mark Waters craignant que le film ne ressemble à “un film du SNL”
De son côté, Amy Poehler a fait appel à sa sœur d’âme pour sa première réalisation dans laquelle elle a réuni d’autres anciennes du SNL – Maya Rudolph, Rachel Dratch, Ana Gasteyer, Paula Pell et Emily Spivey. En 2019, elle réalisait donc pour Netflix Wine Country, une comédie sur son thème de prédilection, la sororité et l’amitié au féminin, cette fois-ci confrontées au vieillissement.
Pour son prochain projet, la réalisatrice se concentrera sur la nouvelle génération et revisitera pour Netflix le genre éculé du teen movie. Elle y incarnera une mère au passé riot grrrl qui aidera sa fille, une lycéenne discrète, à lancer une révolution féministe dans les couloirs du lycée grâce à Moxie, un fanzine féministe.
Cette fois-ci, pas de Tina à l’horizon mais un public adolescent qu’Amy Poehler connaît bien et une pédagogie qu’elle maîtrise puisqu’elle tient depuis plusieurs années un blog et une chaîne YouTube intitulés “Smart Girls” sur lesquels elle informe les jeunes filles d’aujourd’hui sur des sujets d’égalité, de féminisme et d’empowerment pour ne pas se sentir “obligée de rire aux vannes pas drôles des garçons”. Des vannes qu’elle a donc choisi de faire elle-même.