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Des débuts entre rap dur et acid jazz
Le duo commence à trouver des petits concerts dans les bars de Philadelphie, ajoutant quelques membres pour une formation acoustique, basse, claviers, guitare, fait assez rare pour du rap à l’époque. Questlove dirige le groupe en maintenant le tempo à la batterie pendant que Black Thought ajoute son rap abrasif et engagé. En 1993, le groupe part à Londres pour enregistrer son premier album Organix. L’Angleterre est alors sous le feu de l’acid jazz avec les succès de Jamiroquai, Brand New Heavies ou US3. Avec son mélange de hip-hop et de soul jazz instrumental, The Roots rentre parfaitement dans ce genre et sa popularité grandit continuellement en Europe.
Mais le groupe rentre tout de même à Philadelphie, sa base, pour travailler son album signature Do You Want More ?? avec les singles “Proceed” et “Distorsion to Static” en 1995. Le groupe est alors proche d’une tendance jazz rap avec d’autres comme Gang Starr, A Tribe Called Quest, Common ou De La Soul. Questlove et Black Thought gomment peu à peu le côté très lyrique et virtuose de leur premier album pour rentrer dans l’efficacité millimétrée du rap.
Ainsi Illadelph Halflife, leur album sorti en 1996, intègre ce nouveau format avec des samples efficaces et des batteries plus directes, complètement en accord avec le rap de l’époque. Leur hit “What They Do” tord les clichés du rap hardcore contemporain. Dans le freestyle de rue “Clones”, ils sont pourtant tout à fait dans ce thème. Le groupe a souvent poussé des jeunes talents hardcore de Philadelphie par ailleurs comme Malik B, Dice Raw, Beanie Sigel ou Peedi Crakk. The Roots joue sur deux tableaux, un pied dehors, un pied dedans et cette dualité leur convient parfaitement. Elle leur appartient.
C’est d’ailleurs cette alternance qui va diriger la carrière du groupe pendant 20 ans. Comme l’explique Questlove dans sa super biographie Mo’ Meta Blues, le groupe est tiraillé par la relation chaotique de Black Thought et Questlove. Parfois complètement en accord sur la direction, d’autres fois à des années-lumière l’un de l’autre, c’est cette synergie à flux tendu qui va donner de la matière à la musique de The Roots. En effet, aucun album du groupe ne se ressemble, tous cherchent un but ultime, une cause réelle ou un symbole pop.
Les architectes de la neo soul
En 1999, l’équilibre du groupe est sûrement à son meilleur niveau avec l’album Things Fall Apart. Il contient leur premier tube international, “You Got Me” avec Erykah Badu (mais écrit avec Jill Scott au départ). C’est l’apparition dans l’épique d’un producteur et claviériste d’exception, Scott Storch. C’est aussi le point de départ d’une ère incroyable, celle des Soulquarians qui vont relancer la neo soul.
Cette équipe va créer des albums importants de D’Angelo, Common, Erykah Badu, Mos Def, Jill Scott, Q-Tip, Talib Kweli ou Slum Village. C’est aussi l’époque où Questlove devient le chef d’orchestre de toute cette communauté, apportant une direction artistique importante à un mouvement en plein essor.
Le groupe marque aussi alors son impact en jouant avec Jay-Z pour son légendaire “MTV Unplugged” juste après son album Blueprint. The Roots est au centre du rap et de la pop mondiale au début des années 2000 et ils vont confirmer avec Phrenology, un album plus rock avec des structures de chanson de moins en moins codées rap.
Leur tube “The Seed 2.0” avec Cody Chesnutt est un parfait exemple du son intemporel que le groupe développe alors. Mais Black Thought n’est pas vraiment heureux dans cette formation et cette direction. Arrive alors un gros clash interne et un album sous-estimé The Tipping Point qui fait quelques concessions musicales avec le producteur Scott Storch, alors en état de grâce suite à son travail pour Dr. Dre. The Roots revient avec un aspect plus brut, sombre et technique sur Game Theory puis Rising Down.
Black Thought montre ainsi qu’il fait partie des meilleurs rappeurs encore en activité, mêlant fond et forme avec une aisance incroyable et un répertoire en constante évolution. Comme le montre ce freestyle incroyable de 10 minutes chez Funkmaster Flex en 2017.
De la rue de Philly au “Tonight Show” de Jimmy
Pendant toutes les années 2000, The Roots s’adapte aux évolutions musicales du rap et de la pop, toujours à sa manière. Mais à l’orée des années 2010, le groupe va se diriger vers des projets collaboratifs qui modernisent le son soul rock des années 1960 et 1970. En composant des albums entiers pour John Legend (Wake Up Everybody, 2010), Betty Wright (Betty Wright:The Movie, 2011) ou Elvis Costello (Wise Up Ghost & Other Songs, 2013), ils révisent les standards anglo-saxons, les dépoussièrent et leur donnent un nouveau souffle.
C’est aussi pendant ces années que le groupe attrape une opportunité unique, devenir l’orchestre du “Late Night Show” puis du “Tonight Show” avec Jimmy Fallon. Tous les soirs. Une véritable victoire entre divertissement et culture totale qui correspond parfaitement à l’ADN de The Roots. Un enchantement qui va rester dans l’histoire. Et laisser le groupe de Philly comme une pièce extrêmement importante de la culture afro-américaine.