Sur son téléphone, Zahirah, 14 ans, me montre une image en noir et blanc d’Elliott Erwitt qui l’a beaucoup touchée. On y voit un petit garçon tout sourire qui braque un pistolet sur sa tempe. Mina, 13 ans, commente : “On dirait qu’il a tellement supporté de choses qu’il veut en finir. Et qu’il est heureux d’en finir.”
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L’image suivante présente une citation du photographe états-unien que Zahirah a prise en photo lors de sa visite au musée Maillol avec sa classe, il y a quelques semaines : “Je pense que la chose la plus importante qu’on puisse faire en photographie, est de susciter l’émotion, de faire rire ou pleurer, ou les deux à la fois”, lisent les deux collégiennes à l’unisson.
Défi “Les incroyables animaux de Villiers-le-Bel”, 2023. (© Kency)
Après une année passée à enchaîner les “défis photo” avec leurs professeures d’arts plastiques, d’anglais et de français, les élèves en sont désormais persuadé·e·s : la photo est un langage qui permet, peut-être mieux que les mots, de transmettre tout un tas d’émotions et de faire réfléchir celles et ceux qui les regardent.
Lina l’affirme, avec ses photos, elle ne souhaite “pas cibler un public” mais aimerait que “les personnes analysent bien” ce qu’il se passe. Chez Inaya, ce qui importe, ce sont les différentes interprétations qui émergeront de ses œuvres : “Les photos peuvent refléter plusieurs choses. Certaines personnes vont trouver qu’une photo est basique et d’autres vont voir plein de choses à l’intérieur. C’est la façon de voir qui fait [exister] une photo. […] Pour moi, une photo a plusieurs perspectives”.
Mon monde, 2023. (© Zahirah)
Les élèves apprécient également le pouvoir d’orienter les émotions de leur public. Zahirah rapporte aimer se creuser la tête pour trouver des titres et avoir “recommencé plein, plein de fois pour prendre ‘Mon Monde'”, la photo qu’elle a soumise sur le thème “De ma fenêtre” : “Au début, je ne les trouvais pas bien cadrées. Cette photo, c’est là où je vis, ça reflète ma vie, ma cité. J’ai ajouté le mode sombre, j’ai mis la photo en noir et blanc. Je voulais qu’elle ait un air ‘sad’, qu’elle soit un peu dans le noir. Je voulais refléter comment je me sentais dans cette ville”, décrit la jeune fille.
“Oui, parce qu’on n’est pas toujours heureux”, acquiesce Mina. Pour le même thème, la collégienne a immortalisé un oiseau posé sur la balustrade de son immeuble : “Il est seul, il est solitaire, il n’a pas besoin des autres, il est indépendant. C’est le caractère que j’aimerais avoir”, souffle-t-elle.
Solitaire mais heureux, 2023. (© Mina)
Depuis cette année, les deux amies confient davantage observer le monde avec l’idée de l’immortaliser avec leur œil à elles, leur perception, leur sensibilité : “On profite plus. Avant, il y avait des choses [auxquelles] on ne faisait pas attention. Par exemple, mon quartier, avant, je ne le prenais pas en photo et maintenant, je ne fais que ça ! Je l’aime plus, du coup”.
Sur ces paroles, nous discutons du fait que les endroits comme Villiers-le-Bel soient peu pris en photo ou, en tout cas, “moins que Paris”, “alors qu’il y a beaucoup de choses à prendre en photo”, s’exclame Zahirah. Devant l’image du parcours de santé de leur ville, elles commentent la façon dont la photo peut transformer les lieux : “Ça a l’air plus grand comme ça” ; “Ça donne un air de campagne”, sourient-elles.
Le parcours santé, 2023. (© Kency)
Les élèves soulignent comment leur quotidien et leur manière de le voir ont évolué grâce au projet : “Nos photos sont beaucoup mieux, elles sont plus professionnelles. On regarde le ciel, la route, tout ce qui se passe, il y a une grande évolution. Avant, on prenait des photos n’importe comment alors que maintenant, on se place bien, on regarde bien l’horizon et tout ce qui se passe autour de la photo. Après ça, notre photo, elle est parfaite. En plus, avec les nouveaux téléphones qu’on a, on peut les recadrer, les modifier et… ça fait des photos parfaites”, se réjouit Mathis.
Le jeune de 14 ans confie prendre “beaucoup plus de photos qu’avant”. “Maintenant, partout où je passe, si je vois un beau truc, je prends une photo. Par exemple, pour ma photo ‘Pas sage’, j’avais repéré le panneau mais je n’avais pas pensé à le prendre en photo, c’est ma prof qui m’a conseillé. Je me suis baissé, j’ai mis le mode grand angle et j’ai pris ma photo.”
Pas sage, 2023, défi “Formes géométriques”. (© Mathis)
En plus des expositions visitées (Elliott Erwitt au musée Maillol, Zanele Muholi à la Maison européenne de la photographie), les élèves ont rencontré le street artiste Jordane Saget et ont pris part à l’Inside Out Project de JR. À côté de leur collège, ils ont imprimé leurs portraits en noir et blanc, ainsi que ceux de leurs professeures et d’autres personnes à “honorer”.
Inaya a choisi sa mère “parce qu’elle est maître-nageuse, elle aide beaucoup de gens et elle a un grand cœur” ; Zahirah son petit frère et son coach de handball qu’elle a immortalisé avec “son air combattant, dans ses yeux, je vois un truc” ; et Lina a demandé à son “ancien coach sportif, un ancien professeur d’ici”. “Il a fait plusieurs années dans la section football, c’est un pilier du collège, toutes les filles l’ont eu. Il a fait principalement la section féminine de foot donc c’était important de le mettre en valeur. C’est une façon de les remercier aussi, de les afficher comme ça.”
Mina et Zahirah notent l’importance de voir affichée “une dame de ménage”. “Ça se voit qu’elle est fatiguée de son travail, la photo nous dit qu’on doit faire plus attention, mieux entretenir et faciliter son travail.” De même, des personnes âgées vivant dans un EHPAD voisin ont été photographiées : “Parce qu’on oublie les personnes âgées, on oublie ce qu’elles ont fait avant. Le plus important, c’est de réunir tout le monde, peu importe l’âge.”
L’Inside Out Project.
En cette fin d’année scolaire, la 4e C expose le fruit de son travail. Tandis que Lina se félicite d’avoir rencontré le maire et la maire adjointe à cette occasion, Mina admet qu’après avoir redouté que “personne ne vienne”, elle est fière de voir l’exposition sur pied : “Ça fait plaisir parce qu’on a travaillé dur.”
Chez Mathis, la récompense vient surtout de l’énergie créée autour du projet : “Ça a permis un lien avec la classe. Au début de l’année, on n’était pas forcément amis, maintenant, c’est comme une famille, la classe. Maintenant, on est contents d’aller en cours”. Une majorité d’élèves affirme vouloir continuer la photo. Tandis que Zahirah prend sa ville en photo “parce qu’on ne pense pas trop à prendre des paysages, on pense plutôt à prendre des personnes parce qu’elles sont belles mais on ne pense pas à la nature et au reste”, Lina fait de la photo en noir et blanc parce qu’elle estime qu’il y a “beaucoup de couleurs partout maintenant” et qu’il “faut bien apporter un peu de nouveauté”.
Le jour de l’exposition, elle a décidé de mettre son compte Instagram en public parce qu’elle prend désormais ses photos “comme si les gens allaient les voir”. “Dans ma story Snapchat, maintenant, je fais plus attention, et c’est mieux, les gens réagissent et interagissent beaucoup plus qu’avant”, remarque-t-elle. Généreuse et bien consciente du pouvoir de la photo, Mina aimerait que le projet continue et qu’il soit “proposé dès la 6e, pour qu’ils découvrent ça direct[ement]“. On sait déjà où regarder pour voir éclore les prochaines générations de talentueux·ses photographes.
Rentre dans le cercle, défi “En plein effort, le sport à Villiers-le-Bel”, 2023. (© Yasmine Regaigui)
Subway Surfers, 2023. “Au début, je l’avais appelée ‘Jour et nuit’. Mais mes camarades trouvaient que ça faisait penser au jeu ‘Subway Surfers’ et en vrai, je comprends le délire donc j’ai laissé ça. J’ai pris cette photo en attendant le RER quand on allait à Paris pour une expo, le soleil était caché sous les nuages. J’ai vu les rails, j’ai trouvé ça beau et je me suis dit que ça ferait une belle photo. […] Quand je prends une photo, je la laisse un peu de côté parce que, sur le moment, on se dit toujours qu’on adore ce qu’on a pris mais avec le recul, on peut se rendre compte qu’on voit différemment et vouloir la retoucher.” (© Inaya)
2023, défi “Lignes/horizon”. (© Aymane)
2023, défi “Lignes/horizon”. (© Maud Moinon)
2023, défi “Lignes/horizons”. (© Johanne Rastel)
2023, défi “Sapés comme jamais ! La mode à Villiers-le-Bel et à Paris”. (© Lina)
2023, défi “Sapés comme jamais ! La mode à Villiers-le-Bel et à Paris”. (© Kadidatou Sylla)
Zahirah admire cette photo “super bien réalisée” qui “donne envie de manger” tant “on voit bien les épices”, 2023. (© Walid)
Merci à la classe de 4e C du collège Saint-Exupéry de Villiers-le-Bel, à Zahirah, Mina, Lina, Inaya, Mathis, Johanne Rastel, Yasmine Regaigui et Maud Moinon.