Elle existe depuis bien treize ans et elle n’est pas près de disparaître. Née sur YouTube avec des vidéos de make-up filmées en face cam, la tendance #GetReadyWithMe (ou #GRWM) a muté peu à peu en morning/evening routines aux montages plus cutés et chiadés, s’est propagée comme un virus sur Instagram et n’a jamais autant saturé nos écrans verticaux. À moins que cela ne me vise que moi, sombre merde trentenaire avalée par le capitalisme de la vieillesse et de la dysmorphie, à l’algorithme claqué et dont les soirées sont possédées par ces contenus qui dévorent gentiment sa vie sociale. Comme vous le savez déjà, je peux passer des heures à regarder des vidéos de femmes s’appliquant sérums et masques.
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Cette tendance et son pendant inverse #GetUnreadyWithMe me rendent donc un peu folle, car il n’y a rien de plus pornographiquement satisfaisant que de voir une peau pulpée, un visage flambant neuf après un passage d’eau micellaire, une femme qui va prendre sa douche et qui chronomètre tout son parcours matinal, qu’on accompagne à chacune de ces intimes étapes. Tandis qu’on a encore son manteau sur soi, affalée dans le canapé à 2 heures du matin, sans avoir encore pris sa douche, elles, elles avancent pendant qu’on stagne, leurs journées passent, elles sont productives : elles se lèvent à 7 heures du matin, elles terminent leur skincare routine à 7 heures 10, elles lisent un livre à 7 heures 30, elles se cuisinent un porridge à 7 heures 45, elles font leur sport à 8 heures, elles se douchent à 8 heures 30 et elles arrivent à l’heure au travail pour 9 heures 30. Elles ont même le temps de passer prendre un matcha latte dans leur café préféré sur le chemin.
Tout ce temps, tout ce temps qu’on perd, qu’on pourrait utiliser à méditer, à nettoyer son esprit, à faire du sport, à boire un verre avec des ami·e·s, à lire un bon bouquin : tout ce temps qu’on regrettera sur notre lit de mort, parce que cette tendance ne cessera pas. Pourquoi ces contenus sont-ils si irrésistibles et ont connu un regain d’intérêt ces dernières années, à l’ère de la skincare mania dont les marques profitent ? Mon expertise sur le sujet m’a menée à cette conclusion : la pandémie et le confinement hygiéniste nous ont cramé le cerveau.
Cette tendance est venue se glisser là, dans cette faiblesse, dans ce manque, dans cet ennui, dans nos foyers, et insidieusement, elle provoquera le déclin de notre civilisation, une civilisation aux peaux décapées et aux rythmes chaotiques. Qu’avions-nous, à l’époque, de mieux à faire que de regarder des gens se préparer pour ne pas aller au travail et cuire du pain au levain à domicile ? Qu’avons-nous, aujourd’hui, de mieux à faire que de continuer à regarder ces mêmes gens se préparer pour aller au travail ?
#PackWithMe, #CleanWithMe… Nous voulons être dans les vies des autres, regarder les autres, nous sentir moins seules, et voir que ces autres mènent une vie aussi peu trépidante que nous. Sah quel plaisir. Dans ces moments où je me sens bien, c’est-à-dire quand mon addiction est satisfaite et que je consomme des heures entières de vidéos depuis mon onglet “Explorer”, j’ai réussi à dégager trois types d’influences coupables de ma dépendance. Ce sont mes amies et je les ai appelées l’unaesthetic girl, la Temu queen et la useful skincare addict.
L’unaesthetic girl
La reine de cette tendance, c’est Michaela Jessie, une influenceuse à la longue chevelure rousse qui se la joue maladroite et sans filtre. Son concept, c’est de montrer un #GetReadyWithMe sans artifices, un relatable vlog (vlog auquel on peut s’identifier), où elle en met partout, où elle avale de travers, où elle fait tomber plein d’objets par terre, où on la voit décoller sa gouttière dentaire à l’haleine du matin. En bref, un normcore scandinave poussé aux limites du beau, qui nous fait déculpabiliser d’avoir une vie sans aventures. Tout n’est évidemment que pour servir d’accidentels placements de produits, qu’ils soient rémunérés ou non, on n’est pas dupes. On est loin des skincare queens botoxées riches et sans emploi qui ont des sérums à 100 euros et ça fait quand même du bien.
La Temu queen
Alors, elle, elle palpe, elle gagne clairement bien sa vie et elle fait ses courses chez Temu pour choper tous les gadgets de merde qu’elle peut. Elle est là pour nous pousser à la consommation pour pouvoir continuer à remplir ses étagères de babioles sans intérêt, c’est son seul but. Du placement de produits, en veux-tu en voilà, elle ne trouve aucun intérêt à produire une vidéo sans ça. Si elle ne place pas un Pink Stuff de chez GiFi dans une vidéo, c’est simple : elle meurt. Le pire, c’est qu’on risque de se dire qu’on a effectivement besoin de ce robinet à deux trous qui se transforme en fontaine à eau, de ce vapo-nez et de cette brosse moussante pour cils. La cheffe de file de ce mouvement, c’est Operation Niki, et elle n’est pas là pour niaiser.
La useful skincare addict
C’est le type que je préfère évidemment, parce qu’il est utile. Lavinia Rusanda, cette reine du #GetReadyWithMe, est là pour normaliser les peaux acnéiques et ne se positionne pas dans la tendance unaesthetic ou normcore : c’est juste la vie, en fait. Pour le coup, elle respecte la tradition du #GRWM en se foutant face cam, avec sa voix off qui raconte sa vie, son boulot, ses amours, ses emmerdes – et les produits qu’elle applique, bien sûr. Ce genre de représentations sont nécessaires dans un contexte monopolisé par des visages et beautés inaccessibles, fruits de la médecine esthétique. C’est du #GRWM capitaliste, certes, mais conscient.