Baptiste, 29 ans, est en couple avec Samia, quand il fait la rencontre de Cookie Kunty, une jeune drag-queen de la nuit parisienne. Poussé par l’idée d’un projet photo avec elle, il s’immerge dans un univers dont il ignore tout, et découvre Quentin, le jeune homme derrière la drag-queen, qui consacre sa vie au détriment de ses amours à ces trois nuits par semaine durant lesquelles il se mue en une blonde somptueuse.
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Le jeune réalisateur Florent Gouëlou connaît la scène drag parisienne puisqu’il y performe lui-même en Javel Habibi. Avec Trois nuits par semaine, il signe un premier film libre et politique qui nous plonge sous les paillettes du drag grâce à une romance surprenante et émouvante. Entretien.
Konbini | Trois nuits par semaine est une comédie romantique. Quels sont les codes du genre que tu as repris et ceux que tu as choisi de détourner ?
Florent Gouëlou | Le canevas de la comédie romantique a guidé l’écriture du film comme une référence. J’ai donc choisi de reprendre le code de la rencontre façon “meet cute” et ici, c’est Baptiste qui allume la cigarette de Cookie et ce premier regard. Coup de foudre à Nothing Hill, où les amis font en sorte que la rencontre ait lieu à la fin, m’a aussi beaucoup inspiré, mais dans mon film, c’est la sœur qui provoque les retrouvailles.
Mais surtout, je voulais que ce soit le drag qui permette la rencontre entre les deux garçons, mais qui l’empêche aussi. Je ne voulais pas que ce soit le désir d’un garçon pour un autre qui fasse obstacle, mais bien le travail de Quentin qui n’a pas de place dans sa vie pour Baptiste. Cookie est son propre obstacle. Enfin, j’ai voulu reproduire le schéma du triangle amoureux, ils ne sont que deux mais se retrouvent à trois. Je voulais explorer le rapport entre Baptiste et Cookie, entre Baptiste et Quentin mais aussi entre Cookie et Quentin.
Le drag au cinéma est quasi inexistant. Quelles ont été tes références ou au contraire, tes antimodèles ?
Le drag était quand même présent dans l’imaginaire collectif. Il y a Priscilla, folle du désert, sorti en 1994, qui m’a inspiré par son humour, le trouple et le road-movie qu’il mettait en scène. Il y avait aussi des queens dans Pédale douce et un cabaret transformiste dans Chouchou, par exemple.
Mais mes inspirations ont plus été hors du drag à l’écran. Spielberg et sa façon de filmer la magie de la rencontre, avec toujours cette figure de style du personnage frappé d’émerveillement et ces travellings avant, m’ont beaucoup inspiré. Il y a aussi un peu de Vertigo d’Hitchcock car Cookie est une véritable blonde hitchcockienne et bien sûr beaucoup d’Almodovar qui a filmé des drag-queens, mais qui a aussi guidé mon écriture des personnages secondaires qui ne doivent jamais être utilitaires. En fait, je vois mon film comme un mash-up entre Little Miss Sunshine pour le road trip familial et Tournée de Mathieu Amalric pour son burlesque.
(© Calypso Baquey)
Dans tes trois courts-métrages [Un homme mon fils, Beauty Boys et Premier amour, ndlr], tu filmais déjà Quentin Eck, mais uniquement en Cookie. Ce temps était-il nécessaire avant de lui proposer un personnage “out of drag” à l’écran ?
Ce n’était pas pensé comme un processus, mais ça a créé une relation de travail et de confiance qui m’a ensuite permis d’aller plus loin. Mais c’est surtout mon regard sur le drag qui a changé au fur et à mesure que je cohabitais avec ce sujet. Au début, c’était une simple figure inspirante et dans mon troisième film, c’est devenu une personne qui évoque son identité civile hors drag. Pour notre quatrième collaboration, je me suis permis d’inventer deux personnages, une Cookie de fiction et un Quentin qui est un être civil imaginaire.
Il n’y a pas de questionnements de la part de Baptiste ou de sa copine sur sa sexualité et c’est à la fois beau et surprenant. Comment as-tu pensé ce personnage ?
Trois nuits par semaine est un film sur la traversée des genres, bien sûr, mais aussi des genres de cinéma et Baptiste est un personnage qui se déploie, qui est en mouvement. Je l’ai pensé comme un garçon empêché au début, mais qui va développer sa créativité au contact des queens. C’est aussi la raison pour laquelle à un moment, le film bascule dans le road-movie car quelque chose s’ouvre, il prend la route. Je l’ai écrit comme une éclosion, au début il n’est qu’un regard puis il apprend à dire son désir et son amour.
Outre réalisateur, tu es toi-même drag-queen. Dans quel personnage te retrouves-tu le plus ?
Je suis tous les personnages, c’est un autoportrait très collectif. Je suis Baptiste il y a six ans quand je découvre le drag, je suis Cookie aujourd’hui, je suis Samia qui essaie de coconstruire une relation et je suis également Chiara quand elle dit qu'”il n’y a pas que le drag dans la vie“.
(© Calypso Baquey)
Ton film sort après le phénomène Drag Race France. Penses-tu qu’il va être porté par le succès de l’émission ?
Je suis content d’arriver après Drag Race car j’ai l’impression de proposer un objet complémentaire. La téléréalité, c’est l’absence de hors-champ, c’est faire spectacle de tout montrer et on construit des confessionnaux pour accéder à la voix intérieure des personnes. Au cinéma, on travaille la question du hors-champ et on montre un phénomène tout en lui laissant un espace en coulisses pour conserver du mystère. Il y a aussi une magie du off, de ce qu’il se passe après le spectacle.
Il y a eu une première ouverture par la télévision, mais je pense que mon film est un objet plus poétique qui apporte un point de vue complémentaire.
Face à l’immense popularité des drag-queens, on peut craindre une dilution du discours militant inhérent à cet art. C’était important pour toi, d’incorporer à ton film des thématiques politiques ?
Mon film est un peu comme un cheval de Troie, il y a une pensée politique qui le traverse. On peut y voir un objet de pur divertissement, pensé pour le plaisir et l’émotion, mais c’est un film d’amour traversé par une conscience politique qui est la mienne car je pense que le désir est politique, être un homme qui désire un autre homme, c’est politique.
Je suis conscient des représentations que je fabrique donc j’ai également beaucoup soigné les personnages féminins et j’ai été attentif à la diversité dans le choix de mes comédiennes et mes comédiens. J’aurais aussi aimé filmer plus de drag-kings, mais pour des questions d’agenda, ça n’a pas été possible. Mais le plus politique pour moi, c’était de montrer qu’on peut faire société avec nos différences.
Côté équipe technique, comment t’es-tu entouré pour les costumes ou le make-up, fondamentaux pour les drag-queens ?
J’ai choisi tous mes collaborateurs, même les costumes et le make-up, car c’était important d’être cohérent. J’avais deux personnes aux costumes [Clément Vachelard et Aurélien Di Roco, ndlr] et un perruquier très doué. Les queens étaient leur propre make-up artist, mais c’était leur seul endroit de liberté, elles ont dû accepter qu’on les habille et que je choisisse leurs costumes, même si certaines tenues provenaient de leur garde-robe. J’ai également eu la chance de rencontrer une cheffe décoratrice [Clémence Ney, ndlr] qui a très bien compris l’univers du drag et qui a su en raconter le côté prosaïque, mais aussi la sophistication.
(© Calypso Baquey)
La scène et le cinéma sont a fortiori antagonistes. Comment bien filmer le spectacle, central dans ton film ?
J’ai travaillé avec les mêmes équipes que j’avais déjà formées pour mes courts-métrages. J’avais donc le même chef opérateur [Vadim Alsayed, ndlr] qui sait très bien filmer et éclairer les queens et qui est très doué pour filmer à la fois le spectacle et l’intimité. Il sait être au plus près des acteurs dans les scènes de sensualité, mais également gérer des scènes de grand spectacle avec beaucoup de lumière et de machineries.
À l’occasion de la sortie de Trois nuits par semaine, le 9 novembre au cinéma, les photos de Calypso Baquey sont exposées à la Galerie Cinema, 26 rue Saint Claude, jusqu’au 26 novembre.