“Six heures d’horreur” : quand Marina Abramović laissait son public la mutiler pour l’amour de l’art

“Six heures d’horreur” : quand Marina Abramović laissait son public la mutiler pour l’amour de l’art

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© Marina Abramović/Marina Abramović Archives/Photo : Donatelli Sbarra

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le , modifié le

En 1974, Marina Abramović livrait l’une performance des plus radicales de sa carrière.

C’est au Studio Morra, à Naples, en 1974, que Marina Abramović, alors âgée de 28 ans, a donné l’une des performances les plus radicales de sa carrière : Rhythm 0Un peu comme dans The Artist is Present (2010), Rhythm 0 est une performance au cours de laquelle l’artiste serbe resta stoïque pendant six heures et échangea un moment d’une haute intensité avec les participant·e·s. Sauf qu’il y a une petite nuance : pour celle-ci, des objets étaient mis à disposition du public.

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Parmi ces 72 objets disposés sur la table à côté d’elle, figuraient un parfum, du miel, des raisins, du pain, une plume, un Polaroid, une cuillère, une fourchette, de la peinture, des fleurs, mais aussi des ciseaux, une aiguille, une scie, des clous, une barre en métal, un scalpel, une bougie, un couteau, et une arme à feu chargée d’une unique balle. Vous l’aurez compris : ces objets étaient divisés en deux parties. D’un côté, la souffrance, de l’autre, le plaisir. Les instructions étaient les suivantes : “Il y a 72 objets sur la table que n’importe qui peut utiliser sur moi comme il le désire. Performance. Je suis l’objet. Pendant cette période, je prends l’intégralité de la responsabilité. Durée : 6 heures (20 heures – 2 heures).”

La performeuse était alors à la merci de toutes et tous, et le public pouvait disposer à sa guise de son corps, s’emparer de ces items sans limite. Le but de cette œuvre était de connaître les limites du public, qui faisait partie intégrante de la performance : jusqu’où irait-il et qu’est-ce qu’il partagerait avec l’artiste, qu’est-ce qu’il lui confierait, lui demanderait ? Au début, tout se passe bien : les visiteur·se·s la parfumaient, l’embrassaient, l’enlaçaient, lui offraient des roses, du pain, du miel, des raisins, la caressaient avec la plume, discutaillaient.

Marina Abramović, Rhythm 0, 1974, performance de 6 heures, Studio Morra, Naples. (© Marina Abramović Archives/Photo : Donatelli Sbarra)

“Six heures de véritable horreur”

Puis, la performance a viré au cauchemar et a remué les vices les plus profonds chez certain·e·s, qui se sont mis·es, progressivement, à la malmener, à la maltraiter, à l’agresser, à la lacérer, à la violenter. L’artiste ne cillait pas. Thomas McEvilley, un critique d’art présent, a témoigné de ce moment : Ça a commencé docilement. Quelqu’un l’a fait tourner sur elle-même. Quelqu’un a mis ses bras en l’air. Quelqu’un l’a touchée de façon assez intime. La nuit napolitaine a commencé à chauffer. Au bout de trois heures, tous ses vêtements ont été coupés avec des lames de rasoir. Une heure plus tard, les mêmes lames ont commencé à explorer sa peau. Sa gorge a été tranchée pour que quelqu’un puisse sucer son sang. Diverses agressions sexuelles ont été commises sur son corps. Elle était tellement attachée à sa performance qu’elle n’aurait pas résisté à un viol ou à un meurtre.”

Abramović rapporte que des visiteur·se·s se sont également amusé·e·s à la déshabiller, à la porter pour l’allonger sur la table. Au fil de la performance, le public témoin a fini par former un groupe de protection autonome. C’est au moment où un visiteur a placé le pistolet chargé devant sa tête, en posant les doigts de l’artiste sur la gâchette, que le groupe est intervenu, menant à une altercation dans le public où protecteur·rice·s bienveillant·e·s et défenseur·e·s du libre déroulement de la performance s’opposaient. À la fin des six longues heures, le public a fui de la galerie pour éviter toute confrontation avec l’artiste, nue, souillée, mutilée et en pleurs.

Marina Abramović n’a pas peur de mourir, et sa performance Rest Energy, avec son ex-partenaire Ulay tenant une flèche visant son corps, nous l’a bien prouvé. “Ce que j’ai appris, c’est que si vous laissez le public décider, il peut vous tuer. Je me suis sentie vraiment violée : ils ont découpé mes vêtements, planté des épines de rose dans mon ventre, une personne a pointé le pistolet sur ma tête et un autre lui a retiré. Cela a créé une atmosphère agressive”, a confié Marina Abramović, à l’issue de sa performance. Initialement, Rhythm 0 n’avait pas pour but d’amener le public à la lacérer et à sucer son sang mais la performance a fini par prendre, bien malheureusement, cette tournure. Rhythm 0 a fini par faire ressortir toute la malveillance et la malfaisance humaine qui se manifeste face à un corps vulnérable.

Si vous voulez voir cette œuvre et la reproduction en direct de performances de Marina Abramović par des artistes entraîné·e·s par elle et elle seule, vous pouvez visiter sa rétrospective à la Royal Academy of Arts de Londres. Le planning des “reperformances” est disponible ici.