“La colère, c’est l’émotion la plus facile à jouer. Trop facile. Ce qui est plus compliqué, c’est la douleur”. Cette leçon, prononcée lors d’un atelier de réhabilitation à travers l’art (RTA) au centre correctionnel de Sing Sing, dans l’État de New York, pourrait servir de leitmotiv au film de Greg Kwedar.
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Inspiré d’un vrai programme existant depuis 1996, Sing Sing, en salle le 29 janvier, suit un groupe de détenus américains qui apprennent à se réparer et enrichir leur existence carcérale grâce au théâtre. Au sein d’un casting exceptionnel, capable de jouer aussi bien la colère que la douleur, la compassion ou encore la mélancolie, on croise des acteurs professionnels, mais aussi de nombreux anciens détenus ayant eux-mêmes participé au RTA.
Divine G est un ancien danseur, incarcéré depuis des années pour un crime qu’il n’a pas commis, qui passe le temps en écrivant des pièces de théâtre dans sa cellule et en dispensant sa sagesse aux autres détenus. Incarné par Colman Domingo, dont le charisme puissant faisait déjà mouche dans un épisode spécial d’Euphoria, il s’agit d’un leader naturel, à la fois patient, éloquent et serein.
Ce n’est pas le cas de Clarence “Divine Eye” Maclin, qu’il recrute au début du film pour rejoindre la troupe, après l’avoir vu jouer les gros durs dans la cour de la prison. Derrière ses airs renfrognés, Divine Eye va peu à peu se révéler en se découvrant une nouvelle passion pour le théâtre. Si le scénario amorce d’abord une légère rivalité entre les deux hommes, il se désintéresse rapidement de ce cliché narratif pour évoluer vers d’autres enjeux, plus complexes et plus internes.
Comment se réparer à travers l’art
Sing Sing est avant tout une ode à la créativité et au pouvoir rédempteur de l’art. Le théâtre, l’écriture et l’expression scénique sont autant de moyens pour ces hommes de retrouver leur humanité dans un système déshumanisant. À travers les répétitions, la camaraderie, ou encore les exercices de méditation, ils apprennent à être vulnérables les uns avec les autres, à communiquer positivement et à prendre confiance en eux. Si le film évite de se complaire dans toute forme de misérabilisme sur la vie en prison, on perçoit malgré tout la dureté de leur quotidien, à travers leurs récits, ou encore lors d’une brève scène de fouille, où les gardes, hors-champ, retournent entièrement la cellule de Divine G.
Ici, on est loin de l’univers sombre et violent de Oz, Midnight Express ou autres Bronson. Il n’est pas question de choquer le public et le film émet même un commentaire méta à ce sujet, lorsque les détenus décident de monter une pièce comique, pour changer du registre habituel : “Ici, tous les jours, on ne vit que le traumatisme et la douleur. On ne pourrait pas donner aux autres de quoi rire un peu ?”, plaide Divine Eye.
Le groupe, mené par un professeur bienveillant (Paul Raci), s’attèle alors à monter une pièce qui contiendrait, entre autres : une histoire de voyage dans le temps, des pirates, l’Égypte ancienne, des cow-boys, des gladiateurs, des numéros musicaux, Freddy Krueger et même Hamlet… Grâce au théâtre, ces hommes parviennent ainsi à se créer un riche imaginaire, tout en restant derrière les barreaux.
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<em>Sing Sing</em> ©Metropolitan
La grâce et la délicatesse du film s’expriment aussi à travers ses décors. Avec son impressionnant plafond voûté, la salle de répétition est filmée comme un espace de respiration au sein du centre correctionnel, un refuge vaste et accueillant qui tranche avec les couloirs exigus bordés de cellules. Tourné en 16mm par Pat Scola, le film surprend par sa photographie douce, organique et baignée de lumière, qui offre un contraste saisissant avec la condition oppressante que subissent les détenus et la caméra, souvent en mouvement, confère à ses acteurs une spontanéité vivifiante.
Les meilleures performances de l’année
La plus grande force de Sing Sing est indéniablement son groupe de brillants interprètes. Non seulement Colman Domingo, mais aussi Sean San José dans le rôle de Mike Mike, ou David “Dap” Giraudy, Jon-Adrian “JJ” Velazquez ou Patrick “Preme” Griffin dans leurs propres rôles – tous les anciens détenus ont eu le choix entre incarner un personnage de fiction, ou se jouer eux-mêmes.
Parmi eux, Clarence “Divine Eye” Maclin, qui incarne une version plus jeune de lui-même, tour à tour dur, impulsif et vulnérable, et livre sans conteste la meilleure performance de l’année. On regrette que l’Académie des Oscars n’ait pas souhaité reconnaître cette remarquable interprétation, bien que le film ait obtenu plusieurs nominations, notamment une dans la catégorie Meilleur acteur pour Colman Domingo, Meilleure chanson originale et Meilleur scénario adapté pour Greg Kwedar, Clint Bentley, Clarence Maclin et John “Divine G” Whitfield.
Alors que démarre son générique de fin un poil sirupeux, les mauvaises langues viendront sans doute critiquer les “bons sentiments” du film, son arc conventionnel de rédemption, d’amitié masculine et de découverte de soi. Malgré ses éléments indéniablement feel good, Sing Sing est nettement moins convenu qu’il n’y paraît, déjà parce qu’il parvient à intégrer avec aisance des éléments documentaires à sa narration, mais aussi parce que créer un récit de prison plein d’humour, de cœur et de douceur, ce n’est pas si commun que ça. Parce que voir un film de fiction majoritairement incarné par d’anciens détenus américains se retrouver aux Oscars, ça n’arrive pas tous les jours.