Depuis plus de quinze ans, Konbini reçoit des artistes et personnalités mondialement connu·e·s de la pop culture, mais a aussi à cœur de spotter des talents émergents.
À voir aussi sur Konbini
En 2025, après deux éditions des Talents of Tomorrow, on repart en quête de la relève. La rédaction de Konbini vous propose une série de portraits sur les étoiles de demain sur qui on a envie de miser cette année. Des personnalités jeunes, francophones et talentueuses qu’on vous invite à suivre et soutenir dès maintenant.
Sherifflazone débarque comme prévu dans nos locaux. Calme, il nous confie ne pas encore s’être prêté au jeu de l’interview, ajoutant que “d’autres sont prévues pour plus tard”. Évidemment, son premier (vrai) projet arrive, et, avec, les médias, Konbini en première ligne. Celui qui fêtait récemment ses 22 ans cumule, en moins d’une année sur Spotify, environ 150 000 auditeurs par mois. Sherifflazone vient de réaliser une première année pleine de promesse pour l’avenir. Single après single, de “WHITE” à “AMIRI”, en passant par son featuring dantesque avec Keeqaid, il a su marquer les esprits, comptant sur sa confiance, son talent, sa minutie, mais également la validation de grands noms comme Gazo et Wembanyama.
Et si toute cette lumière vous semble abruptement tournée vers lui, sachez que rien n’est le fruit du hasard. Avant les freestyles “On The Radar”, la collaboration futuriste sur le “ZUSHI REMIX” hostée par 63OG ou encore celle avec le Britannique Fimiguerrero, Sherifflazone a fait du chemin, le début de son épopée ne date pas d’hier. Portrait.
“J’fais des prods depuis les drumkits de Lex” – “AMIRI” (2024)
Dans le morceau qui l’a mis sur la carte, “AMIRI”, Sherifflazone démarre son refrain avec cette phrase : “J’fais des prods depuis les drumkits de Lex”, en référence au producteur américain du début des années 2010 Lex Luger. Le rappeur nous le confirme, cette phrase n’est pas de l’ego trip mais la pure vérité. Le natif d’Évry, l’enfant du Parc aux Lièvres ou encore des Aunettes, est également le fils d’un père rappeur et beatmaker autodidacte. C’est ainsi que Sheriff se plonge très jeune dans cet univers : “Il faisait souvent du son à la maison avec du monde, moi j’étais trop petit pour être avec eux, je me cachais derrière la porte pour écouter. À force d’y assister de près ou de loin, j’ai commencé à m’y intéresser.”
© Adrien “hazembsm” Antoine
La curiosité l’amène à trouver ses propres réponses. En 6e, il monte son groupe appelé B2Z avec un pote du collège, CJ. Sheriff existe déjà, Lazone arrivera plus tard. Son explication est simple : le “sheriff” est respecté, il le sera lui aussi. Démarrent alors les premiers textes et morceaux ; rapidement il l’annonce à ses parents, qui vont tout de suite le suivre, tout comme les habitants de son quartier :
“Dès le début, j’arrivais à convaincre alors que j’étais un petit. Ils auraient largement pu me dire que j’étais éclaté. Tous les soirs quand je rentrais du collège, c’était : ‘Eh petit, viens voir, viens faire un freestyle.’ Ça m’a vraiment donné la force. Dès mon enfance, j’étais vraiment à fond dedans, on me parlait de foot ou de jeux vidéo, mais moi, c’était la musique, ma motivation principale.”
Si cela fait dix ans qu’il rappe, son lien avec le beatmaking et les fameux drumkits est encore plus lointain. Alors qu’il voit son père créer devant lui, ses grandes sœurs reçoivent un ordinateur pour Noël, élément déclencheur pour le jeune Sheriff, 8 ans, qui installe FL Studio et ne voit plus sa chambre. “J’étais H24 dans leur chambre, vraiment en squattage.” Depuis, même si le rap a pris le dessus, Sherifflazone continue de s’exercer : “Ça me sert énormément, même pour le rap, les placements.”
“Je m’attendais pas à tout ça. En neuf ans, on a surtout vu les p’tits espoirs, ceux qui ne vont pas au bout”
Sheriff fait ses classes très jeune, et pendant de nombreuses années il diffuse sa musique notamment sur SoundCloud, parfois sur YouTube via des “clips, plutôt des diaporamas car on avait zéro budget”. Dorénavant, il a créé son label, Brightburn, avec Donfrescobaldi et Keyzee, et est coproduit par Avlanche.
Depuis ces premiers pas sur SoundCloud et jusqu’à aujourd’hui, le rappeur cultivera une cadence ultra productive : “En l’espace de deux-trois jours, je pouvais ressortir avec deux mixtapes.” Inspiré premièrement par les morceaux de son père ainsi que par les classiques du rap français comme Rohff, La Fouine, Sultan ou Booba, “la base, quoi”, Sheriff découvre le rap US via un ami et se mange la claque Young Thug à 14 ans. Nouveaux flows et possibilités, le champ de vision s’ouvre : “Indirectement, ce qui composait ma playlist, c’est ça qui m’influençait, ensuite je faisais mon propre mélange.”
© Adrien “Hazembsm” Antoine
En 2019, Sheriff revient en solo sur SoundCloud avec un projet 100 % maison. À cette époque, il est en pleine ébullition créative, jusqu’en 2023. Sherifflazone balance alors sur SoundCloud un morceau enregistré avec son home studio chez son cousin Baby Shanks. Pour le rappeur, ce son n’est pas le meilleur, mais il sentait, comme son entourage, “une énergie différente”. Ce morceau, c’est “AMIRI”, le départ du feu. Le son fonctionne sur SoundCloud, les gens le réclament partout, une trend démarre sur TikTok et “bam, ça a été comme une maladie contagieuse, tout le monde se prend le truc”.
Depuis ce moment, Sheriff a décidé de se consacrer pleinement à la musique après une longue période en tant que barber à Évry. “Je m’attendais pas à tout ça. C’est le premier truc vraiment concret qui arrive. Avant ça, ça faisait déjà neuf ans que j’étais dedans, on a surtout vu les p’tits espoirs, ceux qui ne vont pas au bout.”
“Dans 40 % de mes sons, y a le mot DMV”
Si “AMIRI” fait du boucan à sa sortie, ce morceau en appelle d’autres. “Après ‘AMIRI’, les gens étaient à la recherche d’autres sons et allaient sur mon SoundCloud. À ce moment, c’est pas moi qui choisis les sons qui sortent mais les gens en lançant des trends. C’est eux qui donnent le ton, nous on écoute !” Suivent alors les titres “WHITE”, “FUTURAMA”, “JUGGIN” et les récents “LOCAL” et “SHERIFF”, qui ne font que confirmer l’ADN visuel et musical du rappeur. Sheriff aime tenter, “chercher plus loin”.
Alors que le grand public pensait les flows DMV (type de placements hors temps nécessitant souvent un enregistrement phrase par phrase) essoufflés depuis quelque temps, Sherifflazone en fait son ADN, apparaissant comme leur plus fervent défenseur en France. C’est en 2018 qu’il monte véritablement dans le train, lorsqu’il découvre le couplet de 8ruki sur son featuring “Diss” avec ASHE 22 et JMK$ : “J’entendais ce flow depuis un moment mais sans connaître vraiment l’appellation. Ça m’a directement intrigué.” Également intrigué par les commentaires d’internautes en demi-teinte, il se renseigne et tombe sur l’Américain Baby Jamo : “Il avait des flows accessibles et c’est là que j’ai capté l’essence de tout ça, il m’a fait changer d’ère.”
Sherifflazone est reconnu pour l’utilisation de flows DMV ultra énergiques utilisés sur des prods trap aux tempos rapides et aux basses puissantes. Mais plus que le DMV Flow, le rappeur est le représentant français d’un de ses sous-genres nommé DMV Crank, venu comme son grand frère de l’est des États-Unis. Même si on ne peut résumer le rappeur à cette seule vision artistique, il en reconnaît volontiers son affiliation, notamment dans les textes :
“J’ai 300 sons de côté et dans plus de 40 % je lâche le mot DMV. Ça peut paraître répétitif mais c’est ma volonté de me l’approprier et de le revendiquer. Dans la rue, on parle tous entre nous et j’ai vraiment vu qu’il n’y avait pas vraiment d’artiste du genre qui avait réussi à impacter la street ou les quartiers. Aujourd’hui j’ai réussi à faire capter le flow a certain·e·s et je veux continuer.”
À l’instar d’un Gazo avec la drill, Sheriff a la volonté d’imposer un style précis. Un lien artistique qui se dessine d’autant plus lorsqu’on sait que Gazo l’a cité dans une récente interview auprès de CKO : “C’est dingue.” Il nous avoue avoir échangé avec lui en tant que “simple fan” au moment de Drill FR 1 en 2019, signe prémonitoire sans aucun doute.
© Adrien “Hazembsm” Antoine
“Mon premier projet, je le ressens comme un futur grand step up si tout se passe bien”
Lorsqu’il se lance, Sherifflazone s’ouvre des opportunités impensables au départ, reçoit des messages, de la reconnaissance de la part d’artistes qu’il écoutait avant même son éclosion. “Quand je commence le DMV Flow, je m’attends pas à recevoir ne serait-ce qu’une once de reconnaissance des rappeurs américains.” Début 2024, sa musique traverse l’Atlantique notamment grâce à TikTok et Wemby avant que le Michigan Daily documente le phénomène français.
@plxyboimave Wemby X His Theme Song #fyp#victorwembanyama#kevingarnett#spurs#nba#sherifflazone#amiri ♬ AMIRI - Sherifflazone
En mai 2024, c’est à lui de s’envoler pour une semaine sur les terres qui le font vibrer, les États-Unis, plus précisément leur capitale, Washington. Sheriff enregistre un freestyle “On The Radar” et, surtout, connecte avec la scène DMV américaine à Washington : “C’était logique de se brancher avec ceux qui m’ont soutenu.” Le rappeur assure qu’avoir pu compter sur un soutien outre-Atlantique a “crédibilisé” sa musique, même si son but n’est pas de s’exporter à Washington mais plutôt de convaincre, en France. La motivation du rappeur est simple : devenir le “DMVP” du rap français.
Nous y voilà. “DMVP”, contraction de “MVP” et “DMV”, ou le terme qui guide son ascension fulgurante. Quatre lettres qu’il s’est tatouées sur son bras droit et qui seront à l’honneur comme titre de son premier projet ; le ton est donné : “Ce projet, je le ressens comme un futur grand step up si tout se passe bien.” Sheriff veut frapper fort. Travailleur acharné, il a su se montrer mature, attendant patiemment que la cloche sonne enfin l’heure pour le “sheriff” d’enfiler la cape du “DMVP”. Alors que son projet grandit depuis son voyage à Washington, ses aspirations lui emboîtent le pas, portées par une volonté sans faille de marquer durablement la France de son passage, au fer rouge. Prochaine étape, un concert solo ?
© Adrien “Hazembsm” Antoine