La diffusion de séries inspirées de faits divers, à l’image de celle diffusée à partir de vendredi sur Netflix sur l’affaire d’Outreau, a un impact “ambivalent” sur les victimes, entre effet de résilience et résurgence du traumatisme, souligne Jérôme Moreau, porte-parole de la fédération France Victimes.
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Il est important de trouver un équilibre entre liberté de réalisation et droit à la vie privée des victimes et de ne pas “héroïser” les auteurs des crimes, dit-il à l’AFP, à l’heure où les true crimes se multiplient sur les plateformes de vidéo à la demande. De Grégory à Making a Murderer, en passant par Dahmer, ces séries suscitent toujours un fort engouement, grimpant souvent en haut des classements des contenus les plus visionnés.
AFP | Comment ces séries true crimes sont-elles vécues par les victimes ?
Jérôme Moreau | C’est très ambivalent. Il y a une certaine forme de reconnaissance via ces séries qui montrent que les victimes existent et qui peuvent mettre l’accent sur leur situation, montrer les préjudices qu’elles ont subis et les parcours extrêmement difficiles par lesquels elles sont passées. Cela permet également à la société d’être confrontée à des histoires taboues.
Ces récits peuvent également permettre parfois de faire résilience. Certaines victimes écrivent des livres, d’autres en parlent à la télévision de manière très libre, d’autres participent à la rédaction de séries… Cela permet aussi de ne pas oublier les affaires et de continuer à faire parler d’elles, c’est important pour la mémoire collective, il y a un peu cette idée de reconnaissance dont ont besoin les victimes pour se restaurer.
Certaines victimes et certains proches de victimes peuvent toutefois mal le vivre, on l’a vu récemment aux États-Unis avec la série sur Jeffrey Dahmer, un tueur en série notoire.
C’est l’ambivalence dont je parlais. À chaque fois qu’on parle de l’histoire, cela va être difficile de tourner la page et de reprendre le cours de sa vie, si tant est que cela puisse être fait quand on a subi un crime. Il y a aussi la question du droit à la vie privée : il faut trouver un équilibre entre le respect de ce droit et le respect de la liberté de la réalisation. Il n’y a pas besoin d’autorisation formelle des victimes ou de leurs proches pour la réalisation des fictions mais si les victimes sont d’accord, cela légitimera d’autant plus la réalisation.
Il y a un point sur lequel il faut également être vigilant, c’est la question de la romantisation de l’affaire : c’est fondamental qu’on n’héroïse pas l’auteur, qu’il ne soit pas celui qui va devenir celui pour lequel on prend fait et cause. On voit bien que la société a une curiosité un peu macabre, une forme de voyeurisme, qu’on est attirés par l’interdit, l’indicible et l'”inentendable”. Mais les victimes ne doivent pas être oubliées.
Les productions doivent être attentives à ne pas brouiller l’image des victimes, les mises en scène doivent mettre en avant que les victimes – a fortiori quand elles sont mineures, c’est le cas dans l’affaire d’Outreau – ne sont coupables de rien dans les faits criminels et que ce sont les auteurs qui sont coupables de tout.
Quels sont les garde-fous ?
À partir du moment où c’est une fiction ou que ça a été romantisé, il faut le dire et préciser que cela ne retrace pas l’intégralité des faits. Il faudrait avoir cette précaution et dire : “C’est tiré de faits réels mais ce n’est pas la manifestation de la vérité”, c’est de la responsabilité des producteurs de le dire et de l’écrire de manière claire.