Un bébé encore marqué par l’accouchement d’une taille monumentale, une centaine de lourds crânes entassés dans une pièce, un adolescent accroupi de près de cinq mètres de haut… Avec ses sculptures hyperréalistes tantôt minuscules tantôt immenses, Ron Mueck est l’auteur d’une œuvre aussi mystérieuse que fascinante, parfois aux limites du dérangeant.
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Dix ans après sa dernière exposition à la Fondation Cartier, le sculpteur australien, installé sur l’île de Wight dans la Manche, réinvestit les lieux jusqu’au 5 novembre 2023 avec des œuvres inédites en France et certaines de ses sculptures phares. L’occasion de revenir sur la carrière et l’œuvre saisissante de Ron Mueck en cinq faits marquants.
Ron Mueck, Man in a Boat, 2002, collection privée. (© Thomas Salva/Lumento)
Il a commencé sa carrière avec des marionnettes
Né en 1958 à Melbourne, Ron Mueck est rapidement confronté à la création : ses parents étant fabricants de jouets, il s’amuse à donner vie à des marionnettes et à créer des costumes. Étranger aux écoles d’art, il se fait ensuite la main dans les industries du commerce, de la publicité et de la télé.
L’Australien débute avec la décoration de vitrines, puis donne vie à des figurines destinées à la publicité, travaille sur des effets spéciaux sur des plateaux et au cinéma mais aussi à la télévision, puisqu’il collabore notamment avec le célèbre Muppet Show pour lequel il crée des marionnettes. En 1990, il fonde sa propre fabrique de mannequins, destinée aux marchés européens du cinéma et de la publicité. Réalistes, ses poupées sont réalisées de sorte à être photographiées sous un angle bien précis.
Atelier de Ron Mueck, Ventnor, île de Wight, Royaume-Uni, 2023. (© Gautier Deblonde)
C’est une sculpture de Pinocchio qui l’a révélé à un grand galeriste
Au début des années 1990, Ron Mueck commence à créer des sculptures plus réalistes encore, en résine de fibre de verre. C’est à partir de ce matériau qu’en 1996, il réalise une figurine nommée Pinocchio, haute de 83 centimètres, pour sa belle-mère, qui n’est autre que la peintre britannico-portugaise Paula Rego.
La figurine doit servir de modèle à la peintre qui réalise la même année sa toile Geppetto washing Pinocchio, sur laquelle on peut voir Ron Mueck s’occuper de son garçon en fibre de verre. Exposé avec les œuvres de Paula Rego, le Pinocchio du sculpteur attire l’attention du galeriste et collectionneur Charles Saatchi qui lui commande quatre sculptures pour sa collection personnelle… et contribue dans le même temps à lancer sa carrière d’artiste.
Atelier de Ron Mueck, Ventnor, île de Wight, Royaume-Uni, 2023. (© Gautier Deblonde)
Il a réalisé une sculpture en hommage à son père avec ses propres cheveux
Après Pinocchio, tout s’accélère pour Ron Mueck. Désormais considéré comme un artiste et non plus comme un artisan ou un technicien, le sculpteur participe à l’exposition “Sensation: Young British Artists from the Saatchi Collection” donnée en 1997 à la Royal Academy of Arts de Londres où il dévoile son œuvre Dead Dad, qui aborde le deuil de l’artiste et une étape douloureuse mais universelle de la relation parent-enfant.
Cette sculpture d’un homme nu, étalé sur une table dans une posture presque christique, suscite l’enthousiasme du public comme de la critique et lui vaut une certaine renommée dans le paysage artistique contemporain. “Ce qui rendait la pièce si convaincante, c‘est qu’elle était à la fois étonnante par son réalisme apparent et sincèrement poignante par son humilité et sa vulnérabilité”, raconte alors le conservateur australien David Hurlston.
Avec une attention minutieuse portée sur des détails anatomiques (les pieds écartés, les poils, les ongles, etc.) de son Dead Dad, Ron Mueck explore crûment la mort et en livre une interprétation personnelle. L’artiste a en effet puisé dans ses souvenirs pour réaliser cette sculpture et y a ajouté une touche personnelle qui n’est autre que ses propres cheveux, renforçant ainsi la filiation entre lui et la représentation de son père.
Atelier de Ron Mueck, Ventnor, île de Wight, Royaume-Uni, 2023. (© Gautier Deblonde)
Chaque œuvre lui demande des mois, voire des années de travail
Adepte d’un réalisme saisissant qui contraste étrangement avec les dimensions gigantesques ou miniatures de ses œuvres, Ron Mueck s’attarde sur de nombreux détails pour se rapprocher le plus possible de la nature humaine. En 25 ans de carrière, l’artiste n’a donc créé que 48 œuvres puisque chacune d’entre elles lui demande des mois, si ce n’est des années (comme pour Mass) de travail.
Aidé par deux ou trois assistant·e·s, Ron Mueck réalise d’abord une petite maquette en cire ou en argile, avant d’en réaliser une seconde en argile et à l’échelle voulue. Celle-ci comporte déjà des détails tels que les rides ou les plis de peau, et sert à réaliser le moule dans lequel l’artiste coule de la résine ou de la plasticine.
Vient ensuite le moment de peindre ses sculptures, de travailler sur les nuances de l’épiderme, d’implanter les cheveux un à un, de sculpter des chaussures, de créer des vêtements et des bijoux sur-mesure à ses personnages… Un processus long, qui confère à ses sculptures un réalisme saisissant tantôt fort, tantôt fragile.
Pendant deux ans, le photographe Gautier Deblonde a d’ailleurs filmé le sculpteur dans son atelier à Londres pour Still Life: Ron Mueck at Work, alors qu’il réalisait trois des œuvres destinées à son exposition à la Fondation Cartier en 2013. Quant à l’intention qu’il met dans ses œuvres, Ron Mueck préfère ne pas donner d’explications au public et laisser ses personnages, figés dans un moment, créer leur effet.
Ron Mueck, Mass, 2017, National Gallery of Victoria, Melbourne, Australie. (© Tom Ross)
Ses crânes humains pèsent 45 kilogrammes chacun
Jusqu’ici, Ron Mueck s’est attaché à donner une figure humaine à ses sculptures à travers la représentation de détails anatomiques quasi obsessionnels. C’est le cas de A Girl, un nouveau-né aux dimensions hors normes où l’artiste a représenté jusqu’au moindre pli de peau, les taches de sang, le bleu tirant sur le violet du cordon ombilical, l’expression de contrariété ; mais également de Dead Dad avec sa précision chirurgicale ; le Couple under an umbrella, une statue de quatre mètres de haut qui représente un couple de personnes âgées étendues l’une contre l’autre, apparemment pensives.
Son œuvre monumentale Mass, réalisée en 2017 et présentée à la Fondation Cartier (et pour la première fois hors de l’Australie) inaugure quant à elle une nouvelle orientation artistique. Composée de 100 sculptures de crânes humains de 45 kilogrammes chacun amoncelés dans la pièce principale de l’institution parisienne, cette installation imposante s’attaque au thème universel de la mort et non plus à l’individualité comme le faisait jusque-là Ron Mueck.
Pour l’artiste, Mass signe aussi le début d’un travail davantage porté sur la composition, la forme et le geste. Son œuvre Dead Weight (2021) incarne aussi cette évolution : il s’agit de l’un des quatre crânes en fonte de près de deux tonnes que l’artiste a coulé dans les quatre moules utilisés pour Mass… détruisant au passage les moules en question.
Ron Mueck, Mass, 2017, National Gallery of Victoria, Melbourne, Australie. (© Tom Ross)
L’exposition de Ron Mueck est visible jusqu’au 5 novembre 2023 à la Fondation Cartier, à Paris.